L’oiseau qu’on n’ouït jamais
L’oiseau qu’on n’ouït jamais, recueil illustré des somptueuses images gravées puis imprimées une page à la fois par Marie Vilain, a été édité en 2021 par Berline-Hubert-Vortex. Bonne nouvelle... sauf que le premier tirage fut épuisé en quelques semaines. Une réédition demanderait beaucoup de temps, peut-être un jour ?
Les 14 sonnets fractals (4-4-3-3 syllabes) ne recourent qu’à des rimes prohibées : une consonne finale "plurielle" (s ou x) corrompt la liaison supposée. Relisons Mallarmé - petit air 2 :
Voix étrangère au bosquET Ou par nul écho suivie, L’oiseau qu’on n’ouït jamAIS Une autre fois en la vie.
Les canons prosodiques fixées par Malherbe et Banville supposent que les consonnes finales riment, même non prononcées ; "bosqueT" & "jamaiS" sont donc incompatibles. Aucun poème de Mallarmé n'a dérogé à la règle... sauf ici, souscrivant par anticipation au 1er principe de Roubaud : la rime "fautive" dit d'elle-même qu'on ne l'entendit jamais. Écoutons-en d'autres, 14 micro-sonnets dont l'ensemble forme un méga-sonnet ornithologique.
À noter, la liste Oulipo a trouvé un nom à cette forme : ouïseaunet.
Un bec dedans n’a pas de dent Les piafs rient des caries Montez hommages Tombe un fromage du jabot des corbeaux Va-t’en moquer les perroquets Ils redisent nos bêtises On sait par truche- -ment des autruches boucher un s- -outerrain
Muets accueils qu’en un clin d’œil vous souhaitent les chouettes Que nul n’ulule sorts ni formules Les hiboux c’est tabou Leurre grisé aux alizés Nuée êtes- vous mouette ? Frégate en vrilles qu’on colorie Point rouge et trait de jais
Bird dans Parker’s Mood sait par cœur chaque note des linottes La crête roide fait aux pintades bombe d’os staccato Poor Lords of War les casoars n’ont hélas que pics et casques
Combien de plumes pèse une enclume ? De duvets un pavé ? Les pélicans accostent quand des dorades sont en rade Sous l’onde calme battent des palmes Les panards d’un canard
Post-scriptum en janvier 2023, motivé par les récents ouïseaunets d’oulipotes : Annie Hupé, Alexandre Carret, Bernard Maréchal, Nicolas Graner et Noël Bernard —
Le canari maudit Paris On se caille Butte-aux-Cailles Gueux pyromane Phénix en flammes fait pin-pon sous les ponts Riri Loulou sèchent jaloux Fifi ferme l’huis des Thermes Un legs de douane farde en pivoines les oiseaux de Rousseau Souffle-t-il Pan sur nos tympans pour qu’on n’oie plus les oies ! L’œil de Soulages boute au plumage des corbeaux un flambeau Comment Bonnard peint les canards ? Il les laque sur des flaques James Bond vise haut les cerises Dr No les moineaux
Bombyx mori à cocon gris : que de joies vaut la soie ! Du papillon au moins ayons la mémoire en nos moires.
— Tant de gerfauts, asked Truffaut, ça murmure quels augures ? — De fuir les coqs, answers Hitchcock : ma phobie pis que pies !
Ci-dessous le premier ouïseaunet a des vers holorimes, le second des distiques en contrepèteries.
Cuistre à moineau = cuit stramoine aux dix rondelles d’hirondelle Défaut des merles des mots déferlent du mauvais mot duvet
Sonnet de 14 ouïseaunets (4+4+3+3) sous forme de conte :
Deux savants fous font du kung-fu à l’Asile des Missiles. Ces Montgolfier profitent fiers des poussettes d’Archimède. L’un me héla et dit : hélas point d’hélices, vieil Ulysse. L’autre : volons tel Zébulon en voltige chez les Stryges.
Vois ces ballons sur l’aquilon, outres pleines d’hydrogène. Zéro moteur à nos planeurs, tu t’envoles sans pétrole. Réservoir sec que fait Saint-Ex des ouailles ? Il rimaye. Quand nous avions un avion, atterrîmes- -nous en rime ?
L’azur est plein de zeppelins, des machines made in Chine. Car Xi Jinping fait des loopings, il repère vos repaires. Des culs-bénits au Grand Zénith : « Aïe aïe aïe tu mitrailles ! »
Céleste don, nous bombardons, ça te change- -ra des anges. Ce magasin dessous nos zincs ? Pour les bombes, ma colombe ! Deux savants fous font du kung-fu, aussi sages que l’orage.
Légende du Grimoire des Oies de Pirou —
I — Faire-part — Combien d’œufs ? Neuf éclos tout neufs : jour de joie chez les oies.
II — Les 9 Ouïseaunets du Grimoire — Bien des grimoires portent à croire au grand art d’avatars. Mais il n’est qu’un de ces bouquins qui costume tout en plumes. Les mue et fuite étaient écrites, parchemins cousus main. On y montra par des mantras quelle voie vont les oies. Leur empennage rit des menaces de Vikings : hop ! looping. Le livre ouvert page à l’envers re-transforme en bonshommes… Sauf si l’on brûle mots et formules : c’est cramé à jamais. Dès lors toujours on migre pour redescendre sur des cendres. Cerbère aboie après les oies : ouah ouah ouah par trois fois.
III — Post-scriptum — Ci post-scriptum aux vieux albums qu’on déclame dans les flammes. Coin (coin peinard) d’où les canards et les cygnes font un signe. Mais l’oie hélas que l’on héla plonge et couve dans les douves. Là le donjon cèle aux oisons des histoires de grimoire.
Robert Rapilly, samedi 18 février 2023, à 14:24 [in Sonnets] Aucun commentaire - aucun trackback