Apprivoiser l'ouest
boussole dans l'Atlantique
vent jubilatoire

Palabre envolé(e)
ancrons cette passerelle
rhizome iroquois

S'attabler quel tact
toi Samuel de Champlain
ton visage est pâle




Synérèse sur « l'ouest » (premier vers) ; 3 haïkus où défilent en ordre alphabétique les 10 mots de la « semaine de la langue française » du 14 au 24 mars 2008 : apprivoiser, boussole, jubilatoire, palabre, passerelle, rhizome, s'attabler, tact, toi, visage. On fêtera dans l'élan les 400 ans de la ville de Québec, fondée le 3 juillet 1608 par Samuel de Champlain, dit « le Père de la Nouvelle-France ».


Dimomira
En partant de là et en suivant trois jours l'est de sa boussole, l'homme se trouve à Dimomira, une ville avec soixante coupoles d'argent, des rues pavées d'étain, un théâtre en cristal, le visage en bronze de tous les dieux, un coq en or qui chante chaque matin sur une tour. Toutes ces beautés, le voyageur les connaît pour les avoir vues dans d'autres villes. Mais le propre de celle-ci est que si l'on y arrive un soir de septembre, quand les jours raccourcissent, qu'un rhizome de câbles allume ensemble les lampes multicolores aux portes des friteries, et que d'une passerelle la voix jubilatoire d'une femme crie (avec le tact qui sied à apprivoiser) : toi !, on ne résiste à s'attabler parmi ceux qui à l'heure présente pensent qu'ils ont déjà tenu pareille palabre et qu'ils en ont été heureux.

D'après Diomira d'Italo Calvino - Les villes invisibles (Seuil), traduit de l’italien par Jean Thibaudeau


Fatradizain
Ce qui suit est si limpide qu'on pourrait passer à côté des sombres contraintes formelles :
fatrasie à la mode d'Arras recyclée ;
dizain, ou sonnet acéphale à la Maynard (un seul quatrain) ;
alexandrins isocèles ;
les 10 mots en ordre alphabétique, un à chaque vers.

Las de n’apprivoiser la terrible trompette
Apporte une boussole aux Princes ténébreux
Le soc jubilatoire épris d'un champ répète
Un québécois palabre à ce foin belge creux

Vaquons de passerelle en défuntes cadences
Ton rhizome est valise où Cyrano tu danses
S’attabler sans crayon fourgonnera le truc

Nous transpirons de tact et l’Encyclopédie
Confondit toi la Bulle et Clairette de Die
Du visage dépeint sourd l’émission de stuc


Saint-Laurent (dizain d'après les rimes d'une berceuse)

Pour l’apprivoiser ne l’éveille
La boussole au fleuve prédit
Jubilatoire s’il sommeille
Palabre tenu sur son lit

Passerelle de ma faiblesse
Un rhizome plonge et progresse
S’attabler radier en chemin

Tact on s’invite et je t’écoute
Toi par qui se façonne en route
Mon visage au creux de ta main


10 mots & 10 ans en Annan
Trois suffocantes semaines s’écoulèrent à apprivoiser des chameaux. Puis, juchés sur nos grands ongulés et guidés par la boussole, nous touchâmes à la vallée du Vent Jubilatoire : le pays d’Annan. L’air toujours dansant charrie des effluves de désert et de mer, et transporte une fine poussière couleur de rouille qui finit par imprégner chaque vêtement. Son sifflement enjoué ne s’arrête jamais, au point d’interdire toute palabre dans la rue. Le Manuel de la Rose des Sables raconte que si le vent devait cesser un jour de souffler, tout s’effondrerait : le théâtre et le temple, l’ogive et le contrefort, le mur et la passerelle.

En Annan, au jour de la première pluie de printemps, l’enfant qui va avoir dix ans dans l’année creuse de ses mains le sol de l’Oasis aux Oracles. Il en extrait au hasard une pierre d’argent, enfouie sous le rhizome d’iris géants.

Sur cette pierre est gravé son devenir d’adulte. Le sort désigne aussi bien son futur métier, le nombre d’enfants à s’attabler chaque jour en sa maison, l’identité de son compagnon ou de sa compagne que la date de sa mort. Certaines vies seront empreintes de tact et de civilité, d’autres d’une effrayante banalité, quelques-uns enfin tumultueuses et sanglantes.

Nous avons fait part à notre guide de notre étonnement.

— Toi qui orientes nos pas, sais-tu pourquoi, aussi terrible soit-il, tous les citoyens d’Annan se conforment à leur destin sans amertume ni révolte ?
Comme le vent ondule les blés, un sourire effleura son visage.
— Subir le plus tragique des destins n’est rien, si l’on se sait innocent de son propre malheur.

D'après Annan d'Hervé Le Tellier