Le blogue de Robert Rapilly

La Grive de Bicknell


Apprivoiser Québec, c’est souscrire aux hivers, détroit que la boussole enclave, paysage, scission où rougeoie un jubilatoire âge, palabre rallumée au coin des univers.
D'écumeux gris dessus, la passerelle tangue ; arrimée en rhizome, elle ira prendre langue et s’attabler au cours désigné du ressac.
L’inextinguible tact enseigne la dérive : de toi cime algonquine à mon fjord Tadoussac, ton visage immuable enjoint d’ouïr la grive.

(en ordre alphabétique les 10 mots de la « semaine de la langue française » du 14 au 24 mars 2008)

Québec 1608 & 4 post-scriptum

Apprivoiser l'ouest
boussole dans l'Atlantique
vent jubilatoire

Palabre envolé(e)
ancrons cette passerelle
rhizome iroquois

S'attabler quel tact
toi Samuel de Champlain
ton visage est pâle




Synérèse sur « l'ouest » (premier vers) ; 3 haïkus où défilent en ordre alphabétique les 10 mots de la « semaine de la langue française » du 14 au 24 mars 2008 : apprivoiser, boussole, jubilatoire, palabre, passerelle, rhizome, s'attabler, tact, toi, visage. On fêtera dans l'élan les 400 ans de la ville de Québec, fondée le 3 juillet 1608 par Samuel de Champlain, dit « le Père de la Nouvelle-France ».


Dimomira
En partant de là et en suivant trois jours l'est de sa boussole, l'homme se trouve à Dimomira, une ville avec soixante coupoles d'argent, des rues pavées d'étain, un théâtre en cristal, le visage en bronze de tous les dieux, un coq en or qui chante chaque matin sur une tour. Toutes ces beautés, le voyageur les connaît pour les avoir vues dans d'autres villes. Mais le propre de celle-ci est que si l'on y arrive un soir de septembre, quand les jours raccourcissent, qu'un rhizome de câbles allume ensemble les lampes multicolores aux portes des friteries, et que d'une passerelle la voix jubilatoire d'une femme crie (avec le tact qui sied à apprivoiser) : toi !, on ne résiste à s'attabler parmi ceux qui à l'heure présente pensent qu'ils ont déjà tenu pareille palabre et qu'ils en ont été heureux.

D'après Diomira d'Italo Calvino - Les villes invisibles (Seuil), traduit de l’italien par Jean Thibaudeau


Fatradizain
Ce qui suit est si limpide qu'on pourrait passer à côté des sombres contraintes formelles :
fatrasie à la mode d'Arras recyclée ;
dizain, ou sonnet acéphale à la Maynard (un seul quatrain) ;
alexandrins isocèles ;
les 10 mots en ordre alphabétique, un à chaque vers.

Las de n’apprivoiser la terrible trompette
Apporte une boussole aux Princes ténébreux
Le soc jubilatoire épris d'un champ répète
Un québécois palabre à ce foin belge creux

Vaquons de passerelle en défuntes cadences
Ton rhizome est valise où Cyrano tu danses
S’attabler sans crayon fourgonnera le truc

Nous transpirons de tact et l’Encyclopédie
Confondit toi la Bulle et Clairette de Die
Du visage dépeint sourd l’émission de stuc


Saint-Laurent (dizain d'après les rimes d'une berceuse)

Pour l’apprivoiser ne l’éveille
La boussole au fleuve prédit
Jubilatoire s’il sommeille
Palabre tenu sur son lit

Passerelle de ma faiblesse
Un rhizome plonge et progresse
S’attabler radier en chemin

Tact on s’invite et je t’écoute
Toi par qui se façonne en route
Mon visage au creux de ta main


10 mots & 10 ans en Annan
Trois suffocantes semaines s’écoulèrent à apprivoiser des chameaux. Puis, juchés sur nos grands ongulés et guidés par la boussole, nous touchâmes à la vallée du Vent Jubilatoire : le pays d’Annan. L’air toujours dansant charrie des effluves de désert et de mer, et transporte une fine poussière couleur de rouille qui finit par imprégner chaque vêtement. Son sifflement enjoué ne s’arrête jamais, au point d’interdire toute palabre dans la rue. Le Manuel de la Rose des Sables raconte que si le vent devait cesser un jour de souffler, tout s’effondrerait : le théâtre et le temple, l’ogive et le contrefort, le mur et la passerelle.

En Annan, au jour de la première pluie de printemps, l’enfant qui va avoir dix ans dans l’année creuse de ses mains le sol de l’Oasis aux Oracles. Il en extrait au hasard une pierre d’argent, enfouie sous le rhizome d’iris géants.

Sur cette pierre est gravé son devenir d’adulte. Le sort désigne aussi bien son futur métier, le nombre d’enfants à s’attabler chaque jour en sa maison, l’identité de son compagnon ou de sa compagne que la date de sa mort. Certaines vies seront empreintes de tact et de civilité, d’autres d’une effrayante banalité, quelques-uns enfin tumultueuses et sanglantes.

Nous avons fait part à notre guide de notre étonnement.

— Toi qui orientes nos pas, sais-tu pourquoi, aussi terrible soit-il, tous les citoyens d’Annan se conforment à leur destin sans amertume ni révolte ?
Comme le vent ondule les blés, un sourire effleura son visage.
— Subir le plus tragique des destins n’est rien, si l’on se sait innocent de son propre malheur.

D'après Annan d'Hervé Le Tellier


Autobiografil

Nous sommes les citoyens de la logosphère (Gaston Bachelard à propos de radiophonie - La Nef 73-74, février-mars 1951)

En 2007, toute la terre est occupée à s’imprégner de simulacres télévisés, téléphonés, encodés. Aucune Muraille de Chine ne résiste à google, clé omnipotente. Rien ici ou là qui ne puisse dans la seconde franchir océans et continents. Aussitôt advenu tout sera connu, répertorié, normalisé, banal… Tout ? Non ! À l’écart de la planète enrégimentée, des villages singuliers résistent encore et toujours à la normalisation. Et la vie retrouve sel et sens pour qui rencontre les Irréductibles parmi nos semblables.

La musique, fade poudre instantanée, s’est-elle dissoute dans l’onde électromagnétique universelle ? Pas toute la musique ! se réjouissent les auditeurs de Joane Hétu, chanteuse et saxophoniste québécoise. On fait l’expérience d’une émotion brute, fondamentale en assistant à son interprétation de Filature avec l’Ensemble SuperMusique.

Filature transpose sur scène le passé de tisserande de Joane Hétu, en 3 actes qui filent la métaphore : la Chaîne (5 hommes), la Trame (5 femmes), le Motif (orchestre complet… et public ébahi à Victoriaville en mai). Contre-chant de virtuose sobriété, la vidéo de Pierre Hébert pare en direct les sons de Hétu, Auclair, Del Fabbro, Gignac, Guilbeault, Labrosse, Palardy, Tanguay, Venba et de l’ange oumupien Jean Derome.

Billet repris d'une chronique d'Yvan Maurage (alias mézigue) dans les Nouvelles d'Archimède n° 46

Morælimide Gaston Miron

Morale élémentaire imitée de Gaston Miron

froid fortuit    effroi fixe        mots cachés
                 mots montagneux

sang rouge       mort étroite       passage balourd
                 éternité maigre

lieu grand       passage brûlant    espèce diamantaire
                 pluie séculaire

                 je ne sais plus
                 les perles de vivre
                 tu sais la carte
                 mon bel amour
                 soudain ça te prend
                 ce feu aux cheveux
                 aérolithe

vitres petites   pas brisés         main empierrée
                 yeux larges

Giant steps



Je l’ai vu pointer du néant
Clavier ouvert s'ira créant
Oscar Peterson ciel béant
Maître idéal
Civilité de doux géant
À Montréal

... suivant le modèle de Imitation de Guillaume d'Aquitaine. Et, dans l'élan, un autre poème à Lucien, offert quand il a eu 16 ans :

Tu l'as trop ! ulula résolu ce Pater
Alézé, part sapé le pas trapèze
L'are tapecul osera Lulu Port-Salut

Ça n’a aucun sens ? Mais si, ça en a 4 ! Depuis le T initial ou final (matrice carrée ci-dessous), on lit le même texte horizontalement ou verticalement. Cf. origami.

T U L A S T R O P
U L U L A R E S O
L U C E P A T E R
A L E Z E P A R T
S A P E L E P A S
T R A P E Z E L A
R E T A P E C U L
O S E R A L U L U
P O R T S A L U T

Les chats de Nelligan



Aux becs de gaz éteints, la nuit, en la maison,
Ils prolongent souvent des plaintes éternelles ;
Et sans que nous puissions dans leurs glauques prunelles
En sonder la sinistre et mystique raison.

Parfois, leur dos aussi secoue un long frisson ;
Leur poil vif se hérisse à des jets d'étincelles
Vers les minuits affreux d'horloges solennelles
Qu'ils écoutent sonner de bizarre façon.

Cette terreur du chat, âmes glabres de bêtes,
Viendra versant ses feux griffer les cœurs, les têtes.
Ô spasmes, gueule ouverte au fond d’un noir fauteuil !

Près de l’âtre d’angoisse, horreur des servitudes,
Nos chats montrent des yeux de sympathie au deuil,
Tout joyeux aux bruissants soucis des solitudes.


Les 2 quatrains d'Émile Nelligan ci-dessus, d'humeur bien plus sombre, partagent cependant avec "Les chats" de Baudelaire une rime (-son) et 4 mots : "maison", "prunelles", "mystique(s)", "étincelles".
À supposer que ç'ait été un sonnet dont on a égaré les tercets, qu'aurait écrit Nelligan ? Pour tenter d'y répondre, tous les mots ici proviennent d'autres vers félins du poète québécois, "horreur" et "solitudes" de Baudelaire.

La Ballade à Montcalm - Strophes 1 à 15

Montcalm de Saint-Véran
mord mâts, van, cantilène,
scandinave malt mort,
en malstrom TV canadienne.

Épisodes 1 à 15

1
Unique enfant du Rhône
qui vécût à l’huronne,
vint donc seul, mais marrant,
Montcalm de Saint-Véran d’
entre Gard et montagne.
Lisons ce qu’en témoigne,
broché de parchemin,
son carnet en chemin.

2
Que relate l’antique
agenda d’Atlantique ?
Que Saint-Véran Montcalm
n’accosta pas à Palm-
-Beach où vont les marquises :
rien que nobles banquises
l’ont jamais sacré roi d’
Oswego et du froid.

3
Mousse dans la Royale
du temps des nefs à voile,
de prime l’admit-on
au rang de marmiton.
Le petit poisson nage,
accroît son poids, son âge,
pourvu qu’ait bien nagé
et que devienne âgé !

4
Au port de la sardine,
ça dîne et ça re-dîne.
En mangeant l’appétit
vient petit à petit.
Sur les barques bretonnes,
tout se calibre en tonnes :
les gars à noms bretons
pêchent de nombreux thons.

5
Il apprend en patrie
de pluviométrie
qu’on n’endosse à Quimper
que pelisse et qu’imper.
Cadet de la marine,
l'air enfle sa narine.
Sorti de Douarnenez,
le vent vient droit au nez.

6
Il invective, il prise
le pif face à la brise.
Maudit vent qui t'abats
sur la blague aux tabacs !
Son brûle-gueule fume
et guérira du rhume,
en appoint aux sérums
des ratafias et rhums.

7
Mais bientôt l’équipage
eut la mer, pas la plage.
Trop d’eau sans les troquets
ni les bistros des quais.
Rien, le blanc, cette écume,
une corne de brume,
un treuil et un chalut...
Vieil océan salut !

8
Voile de frais mystère,
l’azur cerne la terre
d’indigos pas que beaux.
Du pont des paquebots,
une vague, une lame,
ça met le vague à l’âme.
Dame ! matez les eaux,
compagnons matelots.

9
Qui possède l’épée
d’océane épopée,
n’est-ce donc l’Espadon
qu’arma Poséidon ?
Quelle ombre frôle l’onde
où finit notre monde,
l’Hollandais Volant sur
l’azur, l’azur, l’azur ?

10
S’enfle un souffle en ces toiles
d’oxymauresques voiles.
Montcalm, tu confondras
la Royale et tes draps.
Escargots de Bourgogne
et cargos de Boulogne,
tant de coques se font
que l’oreille confond !

11
Un dicton de Koksijde
(Lorsque coque s’oxyde,
ça chavire à l’envers
avant chenal d’Anvers)
retentit du naufrage
de marins d’un autre âge.
Sans citron la poisse ! On
n’aime plus le poisson.

12
Et si jamais l’on sombre,
implorons que notre ombre,
désolation d’ennuis,
s’évade enfin des nuits
en abysse blafarde !
Saint-Véran cauchemarde
mais son trois-mâts le rend
indemne au Saint-Laurent.

13
À terre on perd sa trace :
un lot de paperasse
s’envola du journal, m’
a-t-on dit de Montcalm.
Or, une descendante
se trouve être ma tante,
grand clerc et lumière en
science de Saint-Véran.

14
Prairie aux découvertes,
scrutons les pistes vertes
où le soleil a lui
sur son parcours à lui.
Wanted sur les archives,
jouons les détectives,
parcourons à dada
le vaste Canada !

15
Affranchie âme amère,
la frangine à ma mère
sera guide à tâtons
des prochains feuilletons.
Son chef fiché de plumes,
suspendu dans les brumes,
ondule en vol plané
où passe son poney.

(à suivre)

La Ballade à Montcalm

Épisodes 11 à 15

11
Un dicton de Koksijde
(Lorsque coque s’oxyde,
ça chavire à l’envers
avant chenal d’Anvers)
retentit du naufrage
de marins d’un autre âge.
Sans citron la poisse ! On
n’aime plus le poisson.

12
Et si jamais l’on sombre,
implorons que notre ombre,
désolation d’ennuis,
s’évade enfin des nuits
en abysse blafarde !
Saint-Véran cauchemarde
mais son trois-mâts le rend
indemne au Saint-Laurent.

13
À terre on perd sa trace :
un lot de paperasse
s’envola du journal, m’
a-t-on dit de Montcalm.
Or, une descendante
se trouve être ma tante,
grand clerc et lumière en
science de Saint-Véran.

14
Prairie aux découvertes,
scrutons les pistes vertes
où le soleil a lui
sur son parcours à lui.
Wanted sur les archives,
jouons les détectives,
parcourons à dada
le vaste Canada !

15
Affranchie âme amère,
la frangine à ma mère
sera guide à tâtons
des prochains feuilletons.
Son chef fiché de plumes,
suspendu dans les brumes,
ondule en vol plané
où passe son poney.

(à suivre)

Québec

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