Le blogue de Robert Rapilly

Holorimes monovocaliques

Après Daniel Marmié (in "De la reine à la tour / Cent poèmes holorimes", éd. De Fallois 1995), Gilles Esposito-Farèse a écrit des vers holorimes monovocaliques en E. Imitons-les avec des alexandrins en A, en I, en O, en U.



Marchant à Madras tard, à Panama sans dard,
Marc chanta mad-rasta, râpa n’amassant d’arts.
Karl amant d’appas va, pas Zappa massant bas,
car l’Amanda pava pas à pas ma samba.

Deux remarques —. Comme la Place du Saint vénitien, ce "Marc" se prononcera "Mar(c)". Et il y a entorses à la liaison supposée — pour précédent la rime magnanime/Nîmes du célèbre Gall amant de la reine, par Marc Monnier.




Mi-slip simili bis, six vins Sidi, dix cris...
Miss Lip ci mit l’ibis si Vinci dit : « Dick, ris ! »




Mon tonton Bob oblong : « Ô Toronto nom d’ors,
montons ton bobo blond ; Otto rond, tonnons : dors ! »




Tu mus Lustucru d’Urk : Hun mûr, futur Ubu,
tumulus... tu crus dur qu’un mur fût urubu.




L'ami dodu / la, mi, do d'ut (sonnet) —

Râ massacra, chassa Val d’Aa,
ramassa crachats à Valda,
parla paradant sans sambas
par l’apparat dansant sans bas.

Divin Cid, Iris dit : « Tchin, fils !
dix vins sidi-riz ! dix gin-fizz ! »
L’infinitif ? Si Jimi (slip-
-lin) finit tif, ci-gît Miss Lip.

Ô Strogoff ! honorons d'oblongs
Ostrogoths : phonos ronds, dos blonds.
Doc Thor, domptons ton cocon mort :
d’Oc tordons tonton, coq on mord.

Sûr ! Plut du cul qu’urubu lût
surplus : Duc, Hulk, Ur, Ubu, l’Ut…

Automnets et autres poèmes sonnettisés

La forme dite automnet, sur une idée de Gilles Esposito-Farèse, caractérise les sonnets en
4+4+4+3
4+4+4+3
4+4+3
4+4+3 syllabes,
d'après le rythme bancal de la Chanson d'automne de Paul Verlaine, ici à peine retouchée :

Quel glas résonne
Aux sanglots longs
Des violons
De l’automne ?

Cette onde tonne,
Blessant mon cœur
D’une langueur
Monotone...

Tout suffocant
Et blême quand
Sonne l’heure,

Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure.




Le spleen affleure,
Tout suffocant
Et blême quand
Sonne l’heure.

Sans fard ni leurre,
Les jours anciens
Je m’en souviens
Et je pleure.

Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte

Deçà delà,
Pareil à la
Feuille morte.




Automnet à chanter comme il vous plaira :

— Au clair de lune
Ami Pierrot
Prête ta plume
Pour un mot

Plus de loupiote
Je suis sans feu
Ouvre ta porte
De par Dieu

— Au clair de lune
Ci point de plume
Dit Pierrot

Mais la voisine
Attise un spot
En cuisine




D'après L'invitation au voyage de Baudelaire :

J’aime à loisir
Songer aux charmes
De traîtres larmes
Puis mourir

Là-bas ensemble
Allons ma sœur
Où la douceur
Te ressemble

L’astre mouillé
D’un ciel brouillé
Mêle d’ambre

La rare odeur
Dont notre chambre
Soit la fleur




Ordre et beauté
Là tout est calme
Nommons la palme
Volupté

Orientale
L’onde en secret
Nous parlerait
Vox natale

Riches plafonds
Miroirs profonds
Tout abonde

Par ces vaisseaux
Du bout du monde
Aux canaux




Pour assouvir
La ville entière
Toute lumière
Vaut désir

Sang d’Hyacinthe
L’or des couchants
Revêt les champs
Et l’enceinte

Le bois des ans
À fils luisants
S’ensoleille

Mystérieux
Tant le vermeil
De tes yeux




D'après Hugo, À un poète aveugle in Les Contemplations :

Merci Poète
Lare pieux
Qu’un radieux
Vers projette

Notre seuil luit
Cerclé d’étoiles
Tu le dévoiles
Dans la nuit

La triste brume
Lors se rallume
Par ton œil

Tu perces l’ombre
Delà l’écueil
Nul ne sombre




"Boileautomnet", titre combinant la forme automnet à l'injonction de Boileau in L'Art poétique, qui réfute "qu'un mot déjà mis osât s'y remontrer". Or donc, aucune répétition ci-après :

La cantilène
Boileautomnet
Porte signet
De Verlaine.

Vers précédents
Tétrasyllabes,
Puis voix finales
Sur trois temps,

On n’y répète
Avant perpète
Aucun mot.

Ainsi s’étoffe
— Rire ou sanglot —
Chaque strophe.




Sur la même idée de transformer en sonnet un poème qui ne l'était pas, réduction de L’Albatros de Baudelaire, où disparaît un couple de vers des deux quatrains finals :

Souvent pour s’amuser les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers
Qui suivent indolents compagnons de voyage
Le navire glissant sur les gouffres amers

À peine les ont-ils déposés sur les planches
Que ces rois de l’azur maladroits et honteux
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux

Ce voyageur ailé comme il est gauche et veule
L’un agace son bec avec un brûle-gueule
L’autre mime en boitant l’infirme qui volait

Le Poëte est semblable au prince des nuées
Exilé sur le sol au milieu des huées
Lui naguère si beau qu’il est comique et laid




Même transformation appliquée à Demain dès l'aube de Hugo :

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Et quand j’arriverai m’incliner sur ta tombe,
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur.

Je verrai, retenu par l’ombre au bord du vase,
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur
Où vole un papillon arrêté dans l’extase.




Lubin sonnettisé :

— Au clair de la Lune,
Mon ami Pierrot,
Prête-moi ta plume
Pour écrire un mot !

Ma chandelle est morte,
Je n'ai plus de feu,
Ouvre-moi ta porte
Pour l'amour de Dieu...

— Au clair de la Lune,
Je n'ai pas de plume,
Répondit Pierrot.

Va chez la voisine :
Elle tient bistrot
Dedans sa cuisine.



D'après Clément Marot :

Lorsque Maillard, juge d’Enfer
Menait Semblançay l’âme rendre
À Montfaucon, gibet où pendre
Croquant, malandrin, brise-fer,

À votre avis, lequel en somme
Des deux tenait meilleur maintien ?
Pour le vous faire entendre bien,
Maillard semblait piètre bonhomme :

Qui mort va prendre, est-ce Maillard
Ou Semblançay, ferme vieillard ?
Confuse apparaît la sentence,

Et pour vrai l’on croirait sensé
Que fût mené sous la potence
Maillard en lieu de Semblançay.

Rétroviseur sur la Légende

Le caméléon
Voyant l’œil de qui le voit
Fond dans le décor

Ce haïku m’a conduit à explorer les répercussions oulipotentielles d’une loi optique relative à la notion de miroir : suivant une analogie certes tirée par les cheveux, il s’agirait de réécrire La Légende des siècles en sens inverse, espèce d’image-retour à intituler "Rétroviseur sur la Légende" ou encore "Flash-back Centuries". Afin de tester la faisabilité du projet, ç’a été aussitôt La Conscience à quoi j’ai pensé, où l’œil divin traque Caïn. À la différence du haïku, tout d'immédiateté, le chantier dactylographique m’a pris du temps, d’autant que j’ai creusé deux veines distinctes :

—> remonter une à une les images, les idées, les gestes du poème-source — en écartant donc les belles rimes du Maître ;

—> copier en ordre inverse les alexandrins originaux ; adapter la syntaxe en retouchant aussi peu que possible au texte-souche (chantier en suspens).

L’exercice s’avère ad hoc pour s’imprégner de la prosodie hugolienne. Ici l’alexandrin constitue une unité discrète puissante, économe notamment en rejets et contre-rejets, procédé dont j'ai usé à l'envi. La sensation diffère de la mécanique de précision requise si l’on compose à partir de Mallarmé ; on se sent plutôt comme un minuscule bernard-l’hermite qui asticoterait le léviathan. C’est ultra puissant, avec peut-être çà et là des chevilles — chez moi oui, mais aussi chez papa Victor. Constat double à l’arrivée : la forme ramassée du haïku suffit à en dire autant que 68 alexandrins ; dès lors, la technique de camouflage du caméléon est sans comparaison meilleure que les multiples tentatives du malheureux Caïn.

PS — À noter, selon un protocole voisin, une réécriture du Desdichado par Alexandre Carret. L'ordre des premiers hémistiches a été inversé quand les seconds hémistiches sont restés à leur place — là aussi quelques ajustements rétablissent une syntaxe correcte.

PPS — Et lire plus bas en commentaire "Le val du dormeur" de Nicolas Graner. Les vers s'y inversent à peine modifiés, de sorte que la distribution des rimes soit conforme à la structure d'un sonnet.

En post-scriptum, quelques poèmes et comptines tête-bêche...




La Rémanence (1) —

Caïn jusqu’en sa tombe est la cible d’un œil.
L’œil lui darde le front sous ce vaste cercueil.
Là son ombre accroupie abomine la place,
et cette sombre voûte engloutit l’ord espace.
« C’est bien ! » crut-il naïf, alors qu’on eut percé
pour n’être vu ni voir l’insondable fossé :
sépulcre solitaire, à supposer que plaise
au damné d’habiter enseveli de glaise.
« Car il est là toujours ! » avait-il répondu
à Tsilla qui priait « L’œil a-t-il point fondu ? »
quand, plus tôt en saison, sa lugubre détresse
hantait depuis le centre une tour forteresse.
On avait, porte close, affiché pour avis
« Que Dieu reste dehors ! » : un panneau, quatre vis
crochetant la muraille en pays de ténèbres,
et contour d’une nuit tout de spectres funèbres.
Aux feux d’enfer, la ville opposait des frissons,
le fer emprisonnait l’ouvrage des maçons ;
plus de toile aux parois mais l’aplomb de la roche,
et vers le ciel maudit, des flèches qu’on décoche !
Que passe un pèlerin, on lui crève les yeux :
enfant de Seth, d’Énos ou d’exotiques lieux,
tous chassés de la plaine où Caïn en démence
s’entête d’ériger une bâtisse immense.
Le maître forgeron était Tubalcaïn,
patron de l’huisserie et cousin de Vulcain.
Or, cette citadelle, il la fallait bien ceindre,
de sorte qu’alentour on ne pût que la craindre :
« Arcs tranchants, tours en pointe ! avait prescrit Hénoch,
et que s’objecte à l’œil du granit tout d’un bloc ! »
Comme conté plus haut, rien n’y fit : ni le bronze,
étanche bouclier que nul rayon ne fronce,
ni l’éclat des clairons fondus de ce métal
qui brave l’Éternel et l’œil, selon Jubal.
« Mais je le vois encor, dit-il déjà la veille ;
fais, ma douce Tsilla, qu’enfin cet œil sommeille ! »
Lors sa petite-fille, afin qu’il ne vît rien,
avait fixé du plomb au pied de chaque lien.
La muraille flottante, on le sait, fut fragile,
la tente dérisoire et la toile inutile.
Dans le désert profond, les campements de poil
n’ont secouru Caïn d’aucun mode tribal.
Farouche, on le regarde ; il tremble que s’arrête
au tombeau sa légende, aporie en cachette.
En proie aux noirs frissons, aux vifs tressaillements,
il décryptait dans l’œil un sourd pressentiment ;
« Ciel morne et prophétique, emporte ton litige ! »
dit-il, croyant passer l’horizon du vertige.
Les jours auparavant, un asile trompeur
au rivage d’Assur le comblait de torpeur.
Car il avait atteint la grève, à bout de force,
sans ménager le cœur ni le souffle en son torse.
Sans cesse il frémissait, jamais ne s’assoupit.
Trente nuits, trente jours, il marcha sans répit
dans l’espace sinistre, et sa première fuite
éreinta le sommeil de sa femme et sa suite.
On sait qu’il tremblera, mais il tremblait déjà,
dès que l’ayant surpris, l’œil le dévisagea :
l’œil le plus ténébreux, la béante ouverture
échue au fond du ciel par-delà la nature.
Au pied des monts, Caïn veillait, n'écoutait pas
ses proches harassés ne comptant plus leurs pas,
ses enfants fatigués, hors d’haleine sa femme ;
s’ils campent dans la plaine, en berne l’oriflamme,
on fuira dès l’aurore, éperdu du seul gain
que Jéhovah déchu ne retrouve Caïn
au cœur de la tempête, échevelé, livide,
habillé de fourrure... aboli fratricide.




La Rémanence (2, à compléter) —

L’œil était dans la tombe et regardait Caïn,
Bien qu’on eût sur son front fermé le souterrain
Et qu’il se fût assis sur sa chaise dans l’ombre,
Étant descendu seul sous une voûte sombre.
Au bord de cette fosse, il avait dit : « C’est bien !
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
Comme dans son sépulcre un homme solitaire,
C’était sa volonté d’habiter sous la terre.
La veille il répondait : « Non, il est toujours là,
L’œil ne disparaît point ! » à la jeune Tsilla.
Resterait-il lugubre et hagard, son grand-père ?
Il se tenait au centre en une tour de pierre ;
Là, quand on eut fini de clore et de murer,
Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d’entrer. »
Aux murs il fut donné l’épaisseur des montagnes ;
L’ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes,
Et la ville semblait une ville d’enfer,
Dont se liaient les blocs avec des nœuds de fer.
Le granit remplaçait la tente aux murs de toiles,
Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles ;
Et l’on crevait les yeux à quiconque passait,
Chassant les fils d’Énos et les enfants de Seth,
Attentats pour Caïn de ses fils dans la plaine.
Constructeur d’une ville énorme et surhumaine,
Tubalcaïn parla, père des forgerons :
« Bâtissons une ville, et nous la fermerons.
Bâtissons une ville avec sa citadelle,
Si terrible, que rien ne puisse approcher d’elle ! »
Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours… »
Mais Caïn dit : « Cet œil me regarde toujours ! »
Malgré le mur de bronze avec Caïn derrière
Et l’espoir à construire une vaine barrière,
S’essouffla le clairon, se turent les tambours
De Jubal dont l’armée tempête dans les bourgs.
(...)
Comme le soir tombait, l’homme sombre arriva :
Caïn qui s’est enfui de devant Jéhovah,
Échevelé, livide au milieu des tempêtes,
Suivi de ses enfants vêtus de peaux de bêtes.




Post-scriptum, quelques poèmes et comptines tête-bêche...

Il suffit de transformer "Laissent" en "Laissant couler leurs cheveux" pour composer à l'envers une poésie de syntaxe aussi suivie que la Clotilde d'Apollinaire, celle-là en 8+7+7+7 syllabes par strophe :

Cette belle ombre que tu veux
Passe il faut que tu poursuives
Laissant couler leurs cheveux
Les déités des eaux vives

Avec elles disparaîtra
Le soleil qui les rend sombres
Que la nuit dissipera
Il y vient aussi nos ombres

Entre l’amour et le dédain
Où dort la mélancolie
Ont poussé dans le jardin
L’anémone et l’ancolie



La Chanson d'automne de Verlaine en strophes de 3+4+4+3+4+4 syllabes :

Feuille morte
pareille à la
chanson delà,
tout me porte
au vent mauvais
et je m’en vais.

Et je pleure
les jours anciens,
et m’en souviens
à chaque heure,
effroi fréquent,
tout suffocant.

Monotone,
une langueur
blesse mon cœur,
c’est l’automne
des violons
aux sanglots longs.




Deux comptines...

Pour l’amour de Dieu
Ouvre-moi ta porte
Je n’ai plus de feu
Ma chandelle est morte

Pour écrire un mot
Prête-moi ta plume
Mon ami Pierrot
Au clair de la lune




Qui va l’étable ouvrir ?
Ta mère et ta sœur Anne :
tiens tu les vois venir !
Voici notre cabane
à ma droite en marchant.
Prends un abri bergère :
il roule en approchant,
l’entends-tu, le tonnerre ?

Voici l’éclair qui luit,
voici venir l’orage.
L’eau qui tombe à grand bruit
s’entend sous le feuillage.
Bergère vite allons,
allons sous ma chaumière !
Rentre tes blancs moutons,
il pleut, il pleut bergère !

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