Pavé au sol, brique verticale ; chaussées rutilantes, limites rugueuses. Un plan cadencé par la voirie, des segments de toitures, des reliefs de tuile ; pour frange à ce tissu froncé rouge sang, l’écume des fourneaux ; le long de la rue, une enceinte sans faille ; des cheminées en guise de tours à meurtrières, de distance en distance ; sur tout le faubourg à l’est, un parapet massif, ponctué de chevrons et de gouttières qu’étreint le lierre sous le vent pluvieux, seul assiégeant à craindre avec le Prussien ; tracé du trottoir au détour de moulins démontés, à huile, à blé, à scier les bois ; quelques-uns, au Pavé-du-Moulin, au Bas-Chemin, sur la route de Froyennes, tournaient encore il y a peu ; une flotte de paquebots à l’envers, tranquilles au printemps, rebelles à la tempête ; quelques nefs déjà trop étroites, contre le Mont-de-Terre et le dispensaire des Sœurs-de-l’Usine ; dans le pavage, un réseau de rails ; dans les travées, une fourmilière humaine ; l’ingénieur et le chaudronnier en quête et en travail ; sur la voie bombée, les charrettes des maraîchers et des brasseurs contournant la citadelle ; sous la bourrasque des façades noires ; présence de coqs, poules et même fumier, il suffit que la courée laisse vacant un confetti de terrain ; partout des murs cyclopéens ; ceux de l’ancienne usine toléraient le bois en façade et en charpente, urgence oblige d’abriter la production ; désormais puissants poteaux de fer, lourds portails ; granges en périphérie, Rouges-Barres qui superposent brique et pierre de Lezennes ; champs grignotés d’année en année, l’ancienne ferme dite « de Louis XIV » bientôt alignée à la nouvelle rue de Lannoy ; çà et là, un rempart autour d’un bosquet, le lustre d’une maison bourgeoise adossée au magasin prospère ; à l’ouest no man’s land potentiel, huttes noires goudronnées, baraques en torchis à voligeage, cabanes bonnes à se coucher sous la mitraille ; parfois, dans la rue la plus sombre, un bâtiment neuf, adossé à une vaste cour ; impeccable symétrie pour diviser l’école des filles et des garçons ; deux ou trois ruisseaux au fond des parcelles ; une maison réputée du XVIe siècle, la dernière debout qui fut bâtie non mitoyenne, enserrée depuis, pignon pointu à bardage vertical en façade ; dans la saison des labours, d’occasionnelles charrues à chevaux de race boulonnaise, on évite maintenant la traversée d’une ville ; un alignement chorégraphique devant les maisons, piliers caténaires du récent tramway dont la fonte s’envole en dentelle ; parfois par l’entrebâillement d’un portail, un jardin de genre mélancolique et romantique à tilleuls, pins noirs et hêtres pourpres, une grotte d'apparence mystérieuse, un plan d’eau rêveur, un kiosque à musique, un verger, un potager ; et l’exubérant Prieuré où des fleurs d’amateur parsèment un enclos paysan ; des rhododendrons parmi les pommes de terre ; au cimetière une théorie de croix, mécréants et croyants à la même enseigne ; un clocher façon gothique, compère des cheminées par-dessus l’horizon brisé des toits et des pignons ; imitation de vieille église, dogme neuf : le rite médiéval logé dans l’architecture capitaliste ; dans les creux et sur les faîtes, l’énigme européenne éparse sous ses formes diverses, scories, fumées, pigments noirs, chiens-assis au coin de la tuile, balcons ciselés, modénatures pour runes, claires-voies vénitiennes, réclames et chansons, fer et bois, Scandinavie mâtinée d’Espagne . Voilà Fives, voilà Hellemmes. (1)


Sources : Victor Hugo, « L'Archipel de la Manche ». - Souvenirs depuis 1958, explorations in situ, investigations multiples.

(1)
Hellemmes,
kif-kif
idem
que Fives.