Depuis Lille, Zazie Mode d'Emploi propose qu'en 2017 l'on réécrive, peigne, chante, danse de 1001 façons ce poème fondu de Michelle Grangaud :

Traverse la terre.
Celui qui pense possède
la rive et le fleuve.

Michelle Grangaud en a extrait les mots d'un poème de Joachim du Bellay, le sonnet XIX des Regrets.
Ci-dessous quelques réécritures que j'ai proposées aux oulipotes lillois.



1) Séquences vocaliques calquées sur le poème de Michelle Grangaud :
A E E A E E
E U I U I E E O E E
A I E E E E U E
avec en filigrane une dramaturgie inspirée du Desdichado.

L’Aède atteste...
Je suis un prince de Bohème
ma Sirène est l’élue.

Çà j’entends l’adresse
des bruits qu’invente Orphée,
plaintes ténébreuses.

Car je me lamente.
Décubitus, tristesse, l’ombre vêt
vanité d’être veuve.

Affres de sans-terre,
mes nuits suintent – mélopées
à cris des sénestres lunes.

Avec le sang de cep
– ce fruit qui presse mon xérès –
la vigne est en fleur zen.

Pampre et marc versés,
Phébus immunisé de rose sent
l’abîme d’enfers cruels.

Damned hélas d’Éden
s’enfuit, sublime, Démosthène.
Raviver femme feue ?

Alceste la Fée
depuis huit scènes s’obère.
Chagrine elle pleure.

Dame Véga terne
ne luit plus, hiberne mortelle.
Jais d’ébène pure.

2) Chaque tercet emprunte ses mots à un sonnet de Mallarmé.

Assigne l’espace.
Qui se souvient se délivre
du sol et du lac.

Sculpte ce granit.
Lui-même triomphait dans
le flot et la nue.

Recueille des pleurs.
Avec le Néant se fixe
le miroir, le cadre.

Écorche une flamme.
Celle qui doute ne pose
vol, astre, ni feux.

Verse cet éclat.
Qui triomphe un peu retienne
l’ombre, le flambeau.

3) Mille traversées, puisque les dix vers 1 s’accordent avec tous les vers 2 ; lesquels dix vers 2 s'accordent avec tous les 3... Or donc, 10 x 10 x 10 = 1000 poèmes potentiels synonymes.

Traverse la terre.
Celui qui pense possède
la rive et le fleuve.

Parcours la planète.
Tel qui cogite détient
le port, l’océan.

Franchis l’horizon.
Qui raisonne s’approprie
le flux, le halage.

Sillonne le monde.
Quiconque imagine aura
la plage et le large.

Rejoins l’antipode.
À réfléchir on acquiert
l’escale et la course.

Dépasse le globe.
En méditant on maîtrise
et l’onde et le quai.

Transite en tous sens.
Rêver suffit pour avoir
mer et littoral.

Voyage partout.
L’esprit qui spécule embrasse
amont et delta.

Croise aux quatre vents.
Comme on scrute l’on saisit
la grève et les flots.

Explore au plus loin.
En présumer vaut d’atteindre
rivage et rivière.