Le blogue de Robert Rapilly

Il se penche il voudrait attraper sa valise

Un rappel de l'actualité éditoriale de RR —



Une autre actualité vivace et belle se déroule chez Zazie Mode d'Emploi, où Raymond Queneau a été choisi comme Oulipien de l'année 2020. L'un des "Cent mille milliards de poèmes" est proposé à la réécriture : participez si le cœur vous en dit...

Quant à cette page, s'y ajouteront au fur et à mesure mes contributions.

Remarques liminaires sur le décompte des syllabes — à lire seulement si vous aimez triturer la prosodie...

  • Raymond Queneau adorait le jeu ; c'est aussi pur jeu si les réécritures ci-dessous se prononcent à la façon du XIXe siècle : diérèses sur "confusi-on", "provinci-aux", "zi-aux" etc.
  • Le poème source de Queneau modernise en 2 syllabes le verbe arguer (vers 10), autrefois et ci-dessous trisyllabique.
  • Il y a deux manières de prononcer l'hémistiche « cet alcool ouest-est », l'ancienne et la nouvelle :

« cet / al-co-ol / west / est » = « cet / al - cool / ou - est / est »
Découpages différents mais décompte final = 6 syllabes, identique chez les Anciens et les Modernes.




D'après Choses du soir de Victor Hugo dans "L’Art d’être grand-père", un texte mis en musique par Raymond la Valoche, alias Martin Granger.

Le coche au galop de Havre en Avranche
fait claquer son fouet tel un loup ses crocs ;
il craint par la nuit ces hordes d’escrocs
jaloux de valise ; alors il se penche.

Je ne sais plus où, je ne sais plus quand,
Raymond la Valoche a fichu le camp.

Tout était douillet dedans la valise ;
mais au lieu d’effets, chandails et maillots,
il retrouve un sac jadis de fayots ;
un cri ! c’est l’orfraie à la lune grise.

Je ne sais plus où, je ne sais plus quand,
Raymond la Valoche a fichu le camp.

Le voyageur plonge en ses ordes mythes ;
l’ombre du commerce a dressé l’étal
sur quoi lui greffer un fatum létal :
os, tissus, rideaux grignotés des mites.

Je ne sais plus où, je ne sais plus quand,
Raymond la Valoche a fichu le camp.

Vague diable lâche à mine pâlotte,
« Voyez la gadoue ! » argüe un lutin.
Son cothurne accroche au pied le purin,
l’elfe debout donc relève sa cotte.

Je ne sais plus où, je ne sais plus quand,
Raymond la Valoche a fichu le camp.

Dans les bois profonds, l’agreste bicoque
n’était point flouée ; en province encor,
l’écu déparé du vair et de l’or
ornait sans façon chaque infecte loque.

Je ne sais plus où, je ne sais plus quand,
Raymond la Valoche a fichu le camp.



Lipogramme en E —

S’inclinant il voudrait saisir son balluchon
sur quoi guignait d’accord un gang d’impurs marauds.
Alors qu’il s’abaissait, à sa confusion
aussitôt n’y trouva qu’un sac d’aigris fayots.

On vous fait aboutir au point d’ord harpagon,
ravi qu’on usurpât d’ingrats provinciaux.
Dans la mort qui joignit — bis — l’ord califourchon,
la souris grignota tissus, os, pains, ponchos…

D’avant bas-fonds urbains, on troussa son habit
dont, couard à coup sûr, s’argüa qu’il pâlit :
lorsqu’il vit du limon, fouillait-il du purin !

À la fin nous briguons tant l’abri pastoral
où sans façon l’on mit son plus vilain futal.
D’or ni vair, nul blason n’a franchi nul matin.



Monovocalisme en E —

Elle se penche, entend reprendre ses effets
présentement bernée entre de prestes klephtes.
Elle se penche et perce entêtés les secrets
de restes desséchés et sénescentes nèfles.

Êtres dégénérés, relents des benne & frets
rêvez de délester les réserves cheyennes.
Le lent décès greffé d’enchevêtrements blets
pénètre tel le ver les vertèbres et serges.

Des glèbes, préservez revers et vêtement.
Cerné, blême ce hère embêté s’en défend :
dès le pré détrempé, l’excrément je le cherche.

S’égrène de regrets l’enfer de n’héberger
même le serf de ferme en béret de berger !
Chers, l'emblème et le fer ? Le temps les en empêche.

NB — Le Y de cheyenne a valeur de consonne.




Sacoches à M. Knock —

M. Knock trébuchant attrapa ses sacoches :
soupçons d’envie — ici sus à gang trafiquant.
Lequel Knock s’allongea, surpris, tâtonnant sauces,
navarin tout caduc sans semences ginseng...

Souffrons entre transit, licol, saloperies,
surplus à renarder l’engeance d’être pop.
Couic d’aléa létal, travailleront scories
d’eubaphe tortorant squelettes sous tricot.

Ô malstrom sis craspec, ô fief, l’étoffe essuie !
L’embusqué s’argüa teint d’exsangue effigie ;
l’éclaboussure emboue, elle tient encrassé.

Ensuite regretter l’élimé toit d’époque ;
simples, n’y revêtir d’ensemble chic : c’évoque
souquenilles, sequins, magnum ? Mortem ecce !

Contrainte dite de l'aléa furtif : les mots commencent et finissent par la même lettre.




Il se penche à rebours —

Le matin qu’a duré d’or ou de vair l’écu,
sa loque infecte et plus, sans façon il l'agrafe
dans la bicoque agreste, à la fin éperdu
quand le purin cherché peint gadoue au parafe.

Une pâlotte mine arguë : un lâche a pu
— cotte troussant l’urbain limon à l’étalage —
voiler l’os grignoté, tant la mite au tissu
s’abâtardit d’ordure et vous greffe outre d’âge.

Sa province appauvrie est flouée en plaisir,
sauf mercantile ordure — à vous d’y devenir
fayots jadis d’un sac aussi sec qu’on n’en gobe.

La surprise fut grande, alors il s’est penché
sur ces escrocs en horde, assuré du péché
que sa valise en main par-dessous se dérobe.

Les mots, du moins les idées, apparaissent en ordre inverse du poème de Queneau. On peut demander à quelqu’un complice de lire l’original en survolant cette réécriture à rebours.




Sauf les apostrophes, les points sur les i et j et les accents, rien ne dépasse de l’interligne par le haut : les lettres à hampe (b, d, f, h, k, l et t) et les majuscules sont absentes du sonnet suivant.

j’aspirais empoigner ma maroquinerie
que guigne j’en soupçonne un groupe assez coquin
mais saugrenu j’éprouve une grosse surprise
j’aperçois aussi sec un ancien sac à grain

on saccage sa vie en cargaison pas propre
qui s’amuse à gruger nos pauvres provinciaux
en agonie on vous cramponne au magma pouacre
un pou saura manger soierie os paréos

parisienne vermine épargnez-en vos grègues
peureux on arguera ces visages exsangues
crasse ou vaseux engrais je n’y vois que purin

on gémira pour suivre ô cagnas ô campagnes
sapés au pire avec moins que soignés nos pagnes
un jour ça vous épuise or écu vair ou crin



La contrainte inverse se prive des lettres à jambage (g, j, p, q et y) :

Il se dresse il voudrait relever sa valise
dont brûle de désir une horde d’escrocs
il se dresse et alors suite à leur convoitise
il retrouve aussi sec un sac de haricots

On vous fait devenir une orde marchandise
bienheureuse à berner des horsains chemineaux
de la mort on vous ente une orde bâtardise
la mite a dévoré tissus os et rideaux

Devant la boue urbaine on retrousse sa cotte
le lâche fera foi de sa mine falote
scrutant dedans la vase un fumier de bourrin

On se lamente enfin des cabanes rustaudes
on mettait sans chichi ses très infectes robes
l’écu de vair ou d’or ne déborde un matin



Les mêmes voyelles dans le même ordre, y compris accentuées, que celles du sonnet de Queneau

Filet vermeil, soudain l’alarme s’amarine.
Quel looping craint ce fût plus encore le fond ?
Lien des terres ras bord, jà l’ancrage du signe
fit retourner aux cieux, frugal, le sieur Raymond.

Fors pour Zazie enfin que d’ombre, d’accalmie !
L’ultime art gît, là dont Queneau revoit ziaux :
cet alcool ouest-est, surgeon de mât sa vie,
navire par tribord, défi d’un soleil d’eaux…

Tel sapajou feulant, Pierrot le couve aphone.
En âpre peur parue, en ami cher tâtonne
ou dit : moins Mara sort, plus s’est chiendent enfui.

Port et mer deçà d’air, Le Havre ex-impromptue
forgeait tant d’astronefs : l’utile fret tortue
s’élude papillon du cœur bleu Zhuangzi.

Zazie, les ziaux, le sapajou, Pierrot, Mara, le chiendent, Le Havre, le papillon, le bleu, Zhuangzi... sont des références à la vie et à l'œuvre de Raymond Queneau.




À l'inverse du précédent sonnet, voici les consonnes du sonnet de Queneau

Là sapin chu, là vide-ortie et torpeurs viles...
quoi ! c’invitait ce sot surin, hard du scie-arcs
à les punch étaler ? sous-ogre en doser pires ?
L’antre vissé sacquons coude, voix feue, oyats.

Niveau soif et du vin, oui renard y marche — ondes —
quasi plat, fol ardu ; poivré se prouve en cieux
dol amer... ton avis griffon radoub ? tu rôdes,
limite gorgone out tu saisis star ou dieux.

Devint-il bourbon noir, trisse à sauce têtue ?
Lui le chapitre grée, au dais mon aplat tue ;
il risque ulve outil good ; lâche arc houle éperon.

Un roi gratta le foin, l’Ys griset, Saab caïques ;
n’omit toits nus, faucons, souples nufactosliques,
lucide ovaire d’or né du requin-mouton.

Vers 13 assez difficile, au point de transformer le "ç" de façon en "c" de faucon, et d'inventer l'hapax "nufactoslique", peut-être synonyme d'abracadabrant, abscons, abstrus, amphigourique, bizarre, cabalistique, curieux, déconcertant, énigmatique, étrange, hermétique, hors de portée, illisible, impénétrable, impensable, impigeable, inaccessible, inarticulé, incognoscible, incohérent, inconcevable, inconnaissable, indéchiffrable, inexplicable, inintelligible, inscrutable, insondable, mystérieux, nébuleux, obscur, opaque, sans fondement, sibyllin, ténébreux, vague...

L'aléa furtif

Une nouvelle contrainte que nous appellerons "aléa furtif". —
Post-scriptum du 30 mars 2020 — Cette supposée nouvelle contrainte a été jadis triplement plagiée : par anticipation, Éric Angelini et Daniel Lehman.

Non l’aléa furtif n’égare l’évidence.
David, Ali-Baba, Falstaff, Napoléon
transparaîtront tantôt sous radar à Noyon.
Zézayez, médium, l’alinéa d’errance.

L’inouï labial n’écorche l’éloquence :
Sibelius encore articula Ninon,
Ève traduisant Grieg l’éclaire sans néon,
elle l’annoncera — repentir d’élégance.

L’abracadabra tait soixante-trois surplus,
trente-sept addenda, trente-huit superflus,
nonante-et-un sabbats ; Nelligan ensorcelle…

— Caoutchouc sois kayak, baobab sois magnum !
ajoutera l’élève : ô toupet maximum,
tout cognac aura tort d’y raccourcir l’échelle.

"Ali-Baba", "soixante-trois", "trente-huit", "trente-sept" et "nonante-et-un" comptent chacun pour un seul mot. Dès lors, tous les mots du sonnet commencent et finissent par une même lettre, accentuée ou non.

Voir encore Gilles Esposito-Farèse avec Rémi Schulz et Nicolas Graner.




Typographiquement Gutenberg aligna
l’espace nivéen entre symboles d’encre.
Ses signes trait à trait transcrivirent d’entendre
l’infini lilial sous silences d’alpha.

Ô scintillations, l’élytre transparent
s’abolira non sans statuettes sonores !
Nelligan accrocha songes à sémaphores...
Elle, étincelle embue, affleurera torrent :

Eurydice touchant l’étoile évanouie
encore d’Orfeo, l’aura-t-elle éblouie
tantôt salons d’ébène — essence reposoir ?

L’aléa fugitif défend ici l’école
d’esquisse & réflecteur ; tout s’efface, Renoir
embrase l’urubu tourbillonnant d’Éole.

La variante "aléa furtif Gutenberg" autorise à commencer et finir les mots par un même caractère typographique, pas forcément une simple lettre : ci-dessus la touche "&".




PS — Variante où la dernière lettre des mots est l'immédiate suivante alphabétique de la première. Par exemple dans AchaB, BasiliC, ChauD, DiablE, etc.

Goliath éruptif dévale sept ravins.
Salut dingue clébard de faubourg, tu revins
soit quêter, soit quérir. Rogatons sont douzaine,
honni soit mon bivouac ! zézaya Diogène.


PPS — Contrainte d’écarts alphabétiques croissants entre la première et la dernière lettres de tous les mots...
- le premier vers = — 6 / GargantuA / GoûtA / ToN / TintouiN / LaxatiF
- le deuxième vers = — 5 : GurB / QueL / PunK / etc.
- le troisième = — 4
- jusqu’au douzième = + 5
- en passant par GutenberG = 0 au septième vers.

Gargantua goûta ton tintouin laxatif
Gurb quel punk, écoutez je jubile kifkif
Groc iode-moi Bronx, parasol trop jointif

Gounod halète-lui : stop sirop inactif !
Gagarine vendit ça quiproquo hâtif
Gurdjieff fige Odéon sur baba gustatif

Gutenberg s’aligna sous l’aléa furtif
Goliath tu revins de faubourg éruptif
Garibaldi par Lusignan : démonstratif

Guedj blasé quittait-il Paris contemplatif
Gluck appelle Nestor archange bourratif
Gabriel nous visa boomerang addictif



Post-scriptum du 29 janvier 2020 / Observons les mots dans cet alexandrin :

Bob Rapilly d’un gag tutoya Donald Duck.

Sur l’échelle "aléa furtif" les première et dernière lettres y sont :
- identiques (BoB, D’, GaG, DonalD)
- ou +7 en ordre alphabétique (RapillY, TutoyA, DucK)
- ou —7 (UN).
Tous les mots du sonnet suivant occupent l’un de ces 3 degrés.

L’accent d’Élise avait un vélo luminaire.
Aussitôt montait-elle, aussitôt le niveau
tutoyait le soleil, modulant un nouveau
tempérament — l’un d’eux motet d’éveil lunaire.

Zeus éructe grognon : Licite seul j’éclaire...
L’Éternel lâche lors : Lestons l’ardent vélo.
Ses lourds quintaux d’argent tarirent le halo,
assourdirent les sons d’étoile limonaire.

Le biclou tomba mort, palefroi sans litière.
D’entre les eaux bondi, hurla l’Ogopogo :
Trident à lotus bleu, biscornu vertigo !
Ô zèbres galopez lanterne sous lanière !

Lettre d’Élise, avant d’y lire un mot égal,
d’égaux quasi-cristaux traduiront le signal.



Post-scriptum du 30 janvier 2020 / 7 strophes burlesques / le curseur "aléa furtif" = —7 ou 0 ou +7.

Missouf taquinait le goujon,
elle avait un nouveau kayak.
Les eaux mouillaient le bleu gazon ;
ta faim, Vasco, happa le vrac.

Zadig habita Wonderland,
ardant boutefeu l’Envieux.
Sommons l’Ermite maintenant :
sortez le xénophobe d’eux !

Lisons Donald, Gaston, Bambi...
Le zig alarmant d’Othello
s’affligerait d’être parmi
Lamartine, Musset, Hugo.

Lesseps transpercerait Suez,
Eiffel n’égale ses sagas.
Les quintaux d’émaux zigouillés,
ç’a blondi sous le brou d’un gaz.

Un gong à quarante-cinq sons
affolerait un écureuil.
Sautons-y, lestes limaçons,
les zèbres tourneront l’écueil.

Électre montait à vélo :
zigzag, le guidon s’abîmait
d’y kilométrer l’Ohio.
Le biclou livre un rock muet.

Le tram accélérant tout seul
sans l’arrêt logique, Tesla
heurta Biniou l’épagneul...
Ho ! le Roy Lyre l’avala.

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