Hipparchia la pédagogue sourit. À l'improviste et un coin de rue du Métroon, elle revoit un ancien élève, jeune adulte à présent. On pourrait croire leur rencontre le fruit du hasard. Il n'en est rien : Hipparchia croise Tόtos pour inventer une suite à ce que vous êtes en train de lire.


Elle lui tend la main l'instant d'une poignée et se rappelle les actes de l'écolier : gracieux et paradoxal (rude à la tâche, il recommandait néanmoins à ses condisciples : ne travaillez jamais), il l'a contrainte à chercher quoi que ce soit en des directions nouvelles, à réorganiser son expérience de pédagogue au regard de circonstances surprenantes. Il fut son auditeur, un peu son maître. Elle en apprit qu'apprendre fonctionne à double sens ; autrement dit, à lui et de lui elle apprit.

Aux yeux de tout élève normalement soumis, la leçon passe pour l'opaque objet d'un respect définitif. Tόtos, au contraire, a entraîné Hipparchia dans un système de pédagogie inachevée, actualisée à chaque instant.

Tout progrès s'y construit contre une connaissance antérieure. L'humain, maître ou élève, quitte sa condition d'être passif à qui la leçon dicte sa loi. Réciproquement, la discipline étudiée n'est plus un substrat inerte. La science, l'étudiant : chacun se développe au contact de l'autre.

Hipparchia suppose que, quand on s'associera pour étudier, la concurrence - c'est-à-dire l'égoïsme - ne régnera plus dans la quête de connaissances. L'on s'empressera de partager les moindres observations, pour peu qu'elles soient nouvelles, en ajoutant : je ne sais pas le reste.

Et foin des académies ! Hipparchia pressent des potentialités vertigineuses dans les arts et les sciences. Hasardée dans une voie aussi insolite, bien souvent des difficultés se présentent qu'elle ne peut vaincre. Couramment on l'entend dire : je ne sais pas. Un auditoire scolastique ne manquera pas d'y trouver à rire ! Malheureusement, on ne se doute pas qu'un pédagogue ne nuit jamais tant à ses auditeurs que quand il dissimule une difficulté. Mais s'il œuvre en conscience, il conduira ses élèves aux limites de son propre savoir ; leur dévoilera l'étendue de son ignorance ; les aura équipés d'un attirail philosophique et poétique ; éprouvera de l'orgueil à les voir devenir meilleurs que lui.

Pareille règle négociée entre Hipparchia et ses auditeurs prélude à un vaste jeu de civilités.

Chacun s'y impose une radicale vertu.

« Mes enfants, lorsque je vous livre ma pensée, elle ne m'échappe pas. Cette action me fait souvenir de ma force que j'oublie à toute heure. Je m'instruis à proportion de ma pensée enchaînée. Je ne tends qu'à connaître la contradiction de mon esprit avec le néant. »


Tόtos a lu la correspondance d'Évariste Galois, les Poésies d'Isidore Ducasse, quelques propos de Jean Piaget.