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En 1873, M.-J. Poot & Compagnie, éditeur à Bruxelles
rue aux Choux, 37, va publier "Une saison en enfer".
La Fondation Gilbert Farelly m’a obligeamment confié
la correspondance qui précéda entre Rimbaud et Poot,
sous une chemise cartonnée dont un volet n’avait pas
été retourné. Or, s’y trouvaient un sonnet inédit et
diverses notes contradictoires. En bref Poot jugeait
ces vers « trop en retrait du réel », à quoi Rimbaud
répliquait « Alors ? Les forces psychiques déployées
dans mes poèmes surpassent le réel conformiste de ce
siècle... ». Ici le témoignage d’une hallucination :



Torpédo, je ravis la tierce fiancée,
mon essieu réséquant son prétendant Baron.
Moby-Dick imploré par coulpe confessée
cicatrise le creux de corde et d’éperon.

Herse du Grand Désert, la grenade étanchée
coiffera le hameau : blés mûrs hors le sillon.
Quoi gorger de sa treille à peine vendangée...
au gibet, le festin des corbeaux de Villon.

S’y lovait un python d’élastique cintrage,
sur toi l’onde et la foudre, ô Stradivarius !
L’anachorète au ban prophétise l’orage,
il jure galonner d’elliptiques nimbus.

Ce relaps descendu d’Empires de la Lune
vient qui martèle Orphée, épousailles d’enclume.



« Peut-être, à supposer que vous réduisiez de moitié
votre logorrhée, y comprendrait-on quelque chose ? »
Ainsi Poot mit-il au défi Rimbaud, qui renvoya, sans
se départir, ces sept notes à la fin des distiques :

Torpédo, je ravis la tierce fiancée,
mon essieu réséquant son prétendant Baron.

Le cabriolet exogame blessera le vicomte notoire

Moby-Dick imploré par coulpe confessée
cicatrise le creux de corde et d’éperon.

Le cachalot expiatoire blindera le vide noué

Herse du Grand Désert, la grenade étanchée
coiffera le hameau : blés mûrs hors le sillon.

Le cactus explosif blondira le village nourricier

Quoi gorger de sa treille à peine vendangée...
au gibet, le festin des corbeaux de Villon.

Le cadavre exquis boira le vin nouveau

S’y lovait un python d’élastique cintrage,
sur toi l’onde et la foudre, ô Stradivarius !

Le caducée extensible bombardera le violoniste noyé

L’anachorète au ban prophétise l’orage,
il jure galonner d’elliptiques nimbus.

Le catéchiste extradé bordera le virage nuageux

Ce relaps descendu d’Empires de la Lune
vient qui martèle Orphée, épousailles d’enclume.

Le cathare extraterrestre bossèlera le virtuose nubile



Quelques éléments relatifs à l’histoire de la poésie
s’imposent ayant parcouru ces notes. D’abord Rimbaud
a lu Melville, cela on le savait. Surtout on apprend
que le fameux cadavre exquis n’est pas une invention
surréaliste. À l’inverse, Rimbaud sera précurseur du
surréalisme : n’invoque-t-il des « forces psychiques
(qui) surpassent le réel ». Un peu plus tard, le S+7
n’est pas non plus une invention oulipienne, Rimbaud
généralisant, d’emblée, le dispositif à SAV+n. Voici
un cas d’école de plagiat par anticipation d’Oulipo.
Telles précisions encyclopédiques certes utiles sont
abstruses, j’en aurai heureusement fini en proposant
de vérifier cette conjecture : imitant Rimbaud, tout
sonnet peut-il se réduire de moitié, en sept phrases
de syntaxe S-A-V-S-A (où S = subst, A = adj, V = vb)
dont les mots seront enchaînés dans un ordre SAV+n ?

Je suis le ténébreux, — le veuf, — l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie :

Le ça exorcisé bleuira le velours noble

Ma seule étoile est morte, — et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.

Le cachot expiré blindera le velum noueux

Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,

Le cadavre exquis blottira le vénitien nourri

La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s’allie.

Le cadeau exsertile boira le vin nouveau

Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;

Le cadet exubérant bouillira le visage novice

J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :

Le cæcum exulté bouleversera le voyageur noyé

Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.

Le cahot ex-voto bourdonnera le wagnerisme nuancé