À supposer, oulipotes, qu’on nous demande d’inventer un sacrément picaresque personnage de roman, ou plutôt de bande dessinée puisqu’il devrait panacher divers caractères trouvés chez Hergé (le chic vestimentaire de Laszlo Carreidas, la descente hydrophobe d’Archibald Haddock, la jovialité de Séraphin Lampion, l’érudition de Nestor Halambique, la science pointue de Tryphon Tournesol, tout ça avec le cœur de Tintin s’il vous plaît), invraipensable héros belge d’épisodes fantabuleux (en rafale : capitaine de steamer sur les cinq océans et le canal de Bruxelles ; collectionneur quenaldien le plus exhaustif du monde ; pionnier continental de la bicyclette Brompton depuis les pavés wallons jusqu’aux pistes balkaniques ; humaniste combinant Érasme et la ‘pataphysique ; cousin d’Hercule Poirot traquant pour le fun la circulation des liquidités en Europe ; sujet moqueur sous le nez des rois lui-même grand prince), partenaire à qui on téléphonerait dans l’espoir de tomber sur son répondeur — lequel vous laisserait sans voix (un jour « La poule pond / la poule repond / ce téléphone répond », le lendemain « L’étranger à la recherche du temps perdu fait le procès du petit prince dont la condition humaine voyage au bout de la nuit / et pour qui sonne le glas de ce rude hiver des raisins de la colère ? », etc. ad libitum), un type enfin qui aurait l’art d’arriver pile poil où l’aventure se noue (Lille le 20-02-2002 au baptême de Zazie Mode d’Emploi) et comme aimanté par des coïncidences sublimes (guide d’une visite oulipienne du métro bruxellois en grève ce matin-là), eh bien nous répondrions qu’il est inutile de l’inventer, ce héros : il a existé, c’était notre ami Jean-Michel Pochet.

             
    JMP disparu le 6 janvier 2021 / photo Marie-Hélène Lemoine