Le blogue de Robert Rapilly

Zappa

Muskegon (Michigan), décembre soixante-huit. Joli matin ensoleillé. Sur piano d’étude, Zappa déchiffre Mendelssohn, fugue numéro trois détournée. Kagel, spectateur émerveillé, encense l’entreprise.

« Eurythmie d’hardi musicien, de telles romances sonnent très savamment. À l’écoute, tes trios surpassent l’extravagance de Gurdjieff : n’y discerne-t-on Eddie Mitchell roucouler l’oratorio de Saint-Saëns ? Fantastique !

— Damned ! réfléchis, espèce de sot ! Mon jerk dénué de finesse dérive de turlututu fumiste. Non, Kagel ! l’orchestration dérisoire tient de farce drolatique...

— Zappa ! excentrique voyou ! blanc-bec magistral ! Vu l’ut diminué à douze tritons, l’aria descend l’erratique dièse : tu résous ici l’inouï bloc tabou de dissonance dorienne, donc l’hourvari honni de tout orphéon. N’entend-on éclore l’extatique danse de totems thaumaturgiques... Ô folksong Tlingit, ô fanfare de tribu Navajo ! » s’exclame Kagel, ses yeux scintillant de félicité.

Studios d’Avoriaz (France) dimanche suivant. On enregistre "Shut Luck", sept titres — double disque Deutsche Records, emballage dessiné de Bob Crumb —, Zappa y singeant requiems de Jack Dutronc, toccatas de Sclavis, refrains de Janácek, quatuor de Desmond, rigaudons de Schubert, rhapsodies de Marcel Azzola.

Malédiction ! Encore dimanche soir, l’ensemble a été effacé — étourderie de techniciens sonos sans doute saouls de haschich.

"Shut Luck" de Zappa, à toujours disque fantôme.

Contrainte de l’aléa furtif ± 1. Les première
& dernière lettres de tous les mots sont soit
la même (ÉmerveillÉ, DesmonD, IcI, OratoriO),
soit alphabétiquement la précédente (JanáceK,
MalédictioN, DimanchE) ou la suivante (CrumB,
DutronC, TotemS, FéE). Zappa naquit un 21/12.

Pour Yves Maerten

.

La bicyclette selon Yves
est l’exacte école du vent
où toutes choses relatives
planent en danseuse souvent.

Moulinant dans la giboulée
la mécanique à ses genoux
ralliera chaque cheminée
d’un inventaire — lui pour nous !

Au noroît tantôt qu’il dépasse,
ce doux champion tient scrupule au
principe que vite la trace
s’estompe où fila son vélo.

La vitesse en suspens l’enivre,
nous pleurons de ne pouvoir suivre.



À supposer que l’on me demande une définition globale de l’humanité
me viendrait une réponse paradoxale :
pour trait commun nous sommes tous d’une singulière singularité
ce qu’ayant posé je nuancerais à la façon douce-amère de Coluche
(« il y en a qui sont plus égaux que les autres »)
oui : je penserais alors à deux ou trois êtres
radicalement plus phénoménaux que nous autres phénomènes ordinaires
tiens par exemple
je me souviens de quelqu’un que j’ai interrogé un jour
car il était le seul au monde à faire un truc pareil :
« Comment en es-tu arrivé à répertorier à vélo
toutes les cheminées d’usines de Fourmies à Zuydcoote ?
Et pourquoi (encore à vélo), arpentes-tu la ville,
y compris sous les giboulées,
pour distribuer sans retard la gazette des cyclistes ? »
le même à qui encore
ayant vu une aquarelle fulgurante de sa main
j’ai dit une autre fois :
« Bizarre que tu ne sois pas fichu de tenir un tournevis :
bon sang tu dessines, tu peins si bien ! »
etc. chaque question à ce champion cet érudit
me valant une réponse de modestie désarmante
(sauf au chapitre de la vaisselle
qu’il se vantait de faire reluire sans eau)
comme quoi il s’efforçait simplement de bien faire dans sa vie
même s’il n’y connaissait pas grand chose
— en poésie non plus d’ailleurs
s’est-il excusé une après-midi de randonnée oulipienne
(à vélo toujours à vélo)
sur un chemin de halage — avant de nous lire ce qu’il avait composé
ceci :
L’eau de l’Escaut est grise
Plouf !
L’eau de l’Escaut dégrise
puis cela :
Que sont devenus les haleurs, halant de leur pas lent
les péniches, les bélandres, les gabarres ?

De nos jours, les haleurs s’en sont allés,
au loin des chemins de halage,
ahanant leur tristesse de n’être plus haleurs,
sans allant, à l’heure des grands convois motorisés.

C’est bien la fin des bricoleurs.
et moi époustouflé recueillant ses poèmes
non signés va sans dire
mais je me souviens aucun doute c’était Yves

Mar Bikx

Mar, chère Mar Bikx : nous trouvons Dream a little dream of me encore plus beau depuis que tu t'es endormie en l'écoutant.

                       


   Braves Belges ! disait César
   qui battit Vercingétorix
   mais jamais n’eût asservi Mar,
   jamais n’eût triomphé de Bikx.

   Mar, où sa campagne la mène,
   encercle d’une douce étreinte
   la troupe gauloise ou romaine
   qu’elle désarme loin la crainte.

   Que visait Mar jusqu’à Pirou ?
   Qu’a-t-elle alors conquis ? Tout cœur
   séduit de pince-sans-rire ou
   d’une heureuse paix sans vainqueur.

   Quant à sa cigarette — mainte !
   nul ne croit qu’elle soit éteinte.


.

Jean-Michel Pochet

À supposer, oulipotes, qu’on nous demande d’inventer un sacrément picaresque personnage de roman, ou plutôt de bande dessinée puisqu’il devrait panacher divers caractères trouvés chez Hergé (le chic vestimentaire de Laszlo Carreidas, la descente hydrophobe d’Archibald Haddock, la jovialité de Séraphin Lampion, l’érudition de Nestor Halambique, la science pointue de Tryphon Tournesol, tout ça avec le cœur de Tintin s’il vous plaît), invraipensable héros belge d’épisodes fantabuleux (en rafale : capitaine de steamer sur les cinq océans et le canal de Bruxelles ; collectionneur quenaldien le plus exhaustif du monde ; pionnier continental de la bicyclette Brompton depuis les pavés wallons jusqu’aux pistes balkaniques ; humaniste combinant Érasme et la ‘pataphysique ; cousin d’Hercule Poirot traquant pour le fun la circulation des liquidités en Europe ; sujet moqueur sous le nez des rois lui-même grand prince), partenaire à qui on téléphonerait dans l’espoir de tomber sur son répondeur — lequel vous laisserait sans voix (un jour « La poule pond / la poule repond / ce téléphone répond », le lendemain « L’étranger à la recherche du temps perdu fait le procès du petit prince dont la condition humaine voyage au bout de la nuit / et pour qui sonne le glas de ce rude hiver des raisins de la colère ? », etc. ad libitum), un type enfin qui aurait l’art d’arriver pile poil où l’aventure se noue (Lille le 20-02-2002 au baptême de Zazie Mode d’Emploi) et comme aimanté par des coïncidences sublimes (guide d’une visite oulipienne du métro bruxellois en grève ce matin-là), eh bien nous répondrions qu’il est inutile de l’inventer, ce héros : il a existé, c’était notre ami Jean-Michel Pochet.

             
    JMP disparu le 6 janvier 2021 / photo Marie-Hélène Lemoine

In memoriam Franck Balandier

Pour Franck Balandier (1952-2020), l’ami qui adorait les chansons.
Il nous laisse un livre à paraître : Sing Sing - musiques rebelles sous les verrous...

.

          Photo Yourcenar

   — L’or enfui de Franck (sur l’air qui vous plaira) —

                Perpète à Sing Sing
                Balandier s’isole
                Un pur cas d’école
                D’élégant exil

                Plume des braqueurs
                Il tourne la page
                À la mode apache
                Qui ravit les cœurs

                Our heart is a bank
                On nous dévalise
                Give us back now please
                L’or enfui de Franck

.

La fondue au chester dans la boutique obscure

Au détour d’un courrier mardi 27 septembre 2017, JJ (Jacques Jouet) demande quoi de neuf. Ma réponse :

mince on a coupé l’eau à la maison
j’inspecte une vanne qui remonte de la cave
pas normal de la fumée diffuse puis dense
une voix anonyme minimise le phénomène
ben si ! faut descendre vérifier ce qui cloche
dans l’escalier un espoir insensé
la voix de Stéphane
il est là le plombier situ il répare
même pas mort et mon cœur chavire de joie
la coupure d’eau la fumée si vous saviez comme je m’en fous
...
le néon était bien allumé mais il n’y a personne à la cave
je pleure en dormant je me réveille en pleurant

JJ objecte : « mon petit Robert, faut pas abuser de la fondue au chester ». L’angle d’attaque est juste : ne pas consommer du chagrin comme drogue, sans fin. Deux ressources immédiates, en premier l’humour. Stéphane avait suggéré cette épitaphe si jamais ça tournait mal après son opération :

—          Il avait du cœur, mais il manquait d’estomac.          —
                 

Dernière fois où je l’ai vu, cet as de la plomberie dormait profondément au milieu d’un réseau de tubes et cathéters. Alors :

Imagine-toi qu’on sourie
à t’entendre moquer le pire :
adieu tuyaux de plomberie,
en voici par où je respire.

Seconde potion anti-fondue-au-chester, un sonnet sérieux, qui ne pleure qu’en secret sur des choses à lui : la moto Matchless, la figure tutélaire de Hugo, une ultime lecture de Dylan Thomas à son oreille...

Un halo cathéter incurve la piqûre ;
c’est la faucille d’or de Booz endormi,
le jet paradoxal vivant mort à demi,
la fondue au chester dans la boutique obscure.
  
Allons tu vois je reste atermoyer l’augure ;
les Vingt ans de jeunesse et Le beau samedi,
m’entends-tu les bisser ? Modus operandi,
s’agripper au bouquin, faire bonne figure.

But a Matchless Engine, un moteur sans pareil
suppléant de ton cœur, propulse le sommeil
d’où tu ne réponds rien — bécane trop puissante.

Rassembler une page avec quels mots tu m’as
entraîné, jeune chien, de rue adolescente
en Laugharne rêvée après Dylan Thomas.

Pour Stéphane

Photo de 1967, l’année où les Beatles chantaient "When I’m sixty four". Stéphane Baron est mort samedi 16 septembre 2017, il avait 64 ans. Ci-dessous notes à quoi je me suis accroché, jeudi 21, en parlant à l’assemblée autour du cercueil. Syntaxe elliptique, il me fallait sous les yeux une ligne intelligible qui ne cède pas au sanglot ; ç’a tenu à peu près — sauf la toute fin, formulée confusément. Quelques récents billets oulipiens sur ce blogue alternent des passages "oxygénés" et "asphyxiés" : inspirés en direct de l’ami à bout de souffle.

                         

Stéphane là au cœur
catégorie sans précédent de synthèse poétique
dégaine rugueuse à la Verlaine
mais le prénom de Mallarmé
ours céleste
ange incarné
les deux pour qui le monde doit aboutir à un beau livre

Boulevard Carnot Lille septembre 71
escalier de l’école d’architecture
d’emblée je distingue Baron
non pas qu’il se poste devant
au contraire un jeune homme en retrait
à la marge du groupe d’étudiants
coutumier de la contre-allée
morale belle

À creuser l’énigme
je vais découvrir une âme hantée de poésie
ainsi quelques mois plus tard
chez Mouné à Lambersart
les 33 tours de Léo Ferré
Rimbaud
    À sept ans il faisait des romans sur la vie
    du grand désert
Verlaine
    L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable

Pensez donc
juste débarqué de la campagne
je me découvre un jumeau
sauf que lui l’air de la ville l’a émancipé
vite lui ressembler !

Il me présente Lautréamont
selon qui — maxime fondatrice —
    La poésie doit avoir pour but la vérité pratique

Les mots auront vertu à prendre chair
s’ensuit une pleine histoire
…
époustouflante humanité
générosité complète autant que secrète
modestie pathologique
— défaut qu’il ne corrigera jamais

Revenir au verbe
we happy few
qui avons partagé de ses nuits à converser
Stéphane parle
alors
le don se produit qu’il amoncelle
des bribes de beauté radieuse avec des mots
ceux de vérité simple
infiniment sur la terre

On l’a vu heureux
Pirouésie lumineux derniers étés
Stéphane amoureux de Stéphanie amoureuse de Stéphane
2016 d’un coup d’œil il embrasse l’océan
    — Allez Travailleurs de la mer
      tous à bord on largue les amarres…
de Pirou il nous embarque à Guernesey
Hauteville House chez l’autre qui disait
    Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent…
bon sang mon vieux Stéphane
in situ (sic) la trempe d’un personnage hugolien

Pirou encore
souffle bientôt épuisé il y reviendra
parce que hein finalement c’est quoi la poésie ?
voici qu’il s’émerveille de la réponse d’un écolier du bocage
un cancre façon Prévert
footballeur à la récréation qui médite fort entre deux
tiens ! un Stéphane potentiel qui débat
qui remue de sa place
enfin qui propose :
    — La poésie ça serait l’art où on met plus de sens dans les mots.
    — Il a tout compris le gamin.

Et nous ici ce matin heureuses gens
nous avons connu
tel qu’en lui-même
l’ours l’ange
parti / partout

    Stéphane ? Il est caché parmi l’herbe, Stéphane.

PS — C'est lui à Bethléem le ténor tout au fond à droite dont la tête balance latéralement quand il chante.

Dans « L'Histoire poèmes » de Jacques Jouet

« Pour Évariste Galois » côtoie tout seul la suite fulgurante des 226 poèmes dans «L'Histoire poèmes » de Jacques Jouet.



À supposer – anneau, corps cryptographié – que l’Histoire suspende au 31 mai 1832 poème en acrostiche, Évariste Galois descendrait hasardé en une voie insolite, où dériver console de l’imposture scolastique : gracieux au contraire rechercherait quoi que ce soit en des directions nouvelles, abolirait d'opacité l’antique leçon, éclairerait les circonstances de demain et – vertiges des résonances – prônerait l’analyse de l’analyse, croîtrait au cœur de la mathématique qui croîtrait en son cœur et le monde, fustigeant la concurrence c'est-à-dire l'égoïsme mais s'empressant de partager la moindre observation pour peu qu'elle soit nouvelle, jamais dissimulant la difficulté invaincue ; alors


Évanouir pourtant déchiffrer ce mémoire
vaste abyme à tes pieds géomètre élégant
afin que le matin en relève le gant
resté là sur le pré dont blanchit ton déboire

isoler parmi l’heure aux hélices d’ivoire
survie imaginaire à trouver profit quand
ton apparition n’advînt plus reléguant
en un vierge héros qu’attente de l’histoire

Galois il est tombé parmi l’herbe Galois
après ça pour jouet qu’espace des exploits
livre plus précieux « je ne sais pas le reste »

où haute et transcendante en rares manuscrits
idéale la nue affiche un manifeste
s’éloigne épars le vol de n’avoir point compris


quoi ? notre aide à la taille d’une vivante ambiguïté.



Sources :
_ Léonce Lesieur : La vie d’Évariste Galois (1811–1832) « Bulletin de l’association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public » n°232, bimestriel – 43e année – octobre 1963
_ Stéphane Mallarmé : Toast funèbre, Tombeaux, etc.
_ Jacques Jouet : « À supposer » - éditions Nous 2007

Frank Zappa

Baltimore 21 décembre 1940 - Los Angeles 4 décembre 1993

Sans raison décembre zappa
érudit entre norme & libre
système de poids équilibre
tension puis vanne à Zappa

D'autres épitaphes ici.

Max

Je me souviens de Max Domon

Max Domon trait & lettre
marqua d’un clair esprit
sage tant que pût l’être
un temps qui s’assombrit

2 épitaphes antinomiques

Éclose initiale graine
Mutique clé du tumulus
Rescapé d'un chant de sirène
Odyssée à quai je conclus

20 juillet 2007, Jacques Jouet m'avait dicté
cette autre épitaphe pour le jour où :

Masqué de finale farine
Salut à vous d'un trou béant
Je suis entré dans la marine
Enfin matelot du néant

J.-M. R.

MISE À JOUR MARDI 19 DÉCEMBRE 2017 À 14H30 —

           

Ce billet, antidaté de 1972, est une boîte aux lettres éphémère à l'usage des amis de Jean-Marc Rainsant, né en 72, retrouvé sans vie chez lui ce 18 novembre — crise cardiaque soudaine. Il avait 45 ans. Ses obsèques ont eu lieu lundi 4 décembre au Père-Lachaise.

Ci-après poèmes et témoignages dits au sein d'une assemblée consacrée à sa mémoire, chez Olivier Salon samedi 16 décembre. Après ces poèmes, nous avons lu à voix multiples le texte intégral de N-20, recueil de poésie que venait de publier Jean-Marc. Puis nous avons écouté son interprétation époustouflante du Scarbo de Ravel, captation vidéo de Philippe Le Quéré.

Si vous souhaitez communiquer d'autres témoignages ou des photos, dites-le à l'adresse courriel => robert.rapillyarobaseorange.fr <= en signant de vos nom et prénom ; je publierai ou ferai suivre.

INFORMATION PRATIQUE —
Avec sa sœur Véronique et ses parents, diverses initiatives sont en cours. D'abord des arbres seront bientôt plantés en divers lieux où il aimait revenir. À Pirou : un cyprès chauve au Grand Courtil et un cerisier à fleurs du Japon, si possible au Presbytère. Peut-être aussi mettra-t-on en musique N-20, idée que Martin Granger lui avait soumise et qui lui avait fait grand plaisir.

           

Pirouésie dédiera à Jean-Marc son festival 2018, du 28 juillet au 4 août, ainsi qu'à Stéphane autre bienfaiteur inestimable.

Robert_



Ci-dessous textes successivement reçus de : Jean-Marc Rainsant, Henry Landroit, Jany Pineau, Laurence Magnée, Agathe Rivals, Anne Davost, Nadège Moyart, Élisabeth Biront, Martin Granger, Guy Deflaux, Hélène Paumier, Jean Clais, Marie-Hélène Lemoine, Sylvie Andrieu, Danielle Wargny, Mar Bikx, Claire Lengrand, Dominique Vallée, Nicole Dedonder, Ian Monk, Michèle Deloche, Marinette Levêque, Jacques Levêque, Catherine Lyraud Betoule, Philippe Clément, Olivier Salon, Agnès Magne, Marion Lowy, Brigitte Hohmann, Marie-Hélène Vernay, Frédéric Forte, Anne-Marie Masson, Chantal Danjon, Jean-Paul Honoré, Christiane Vernay, Patrick Biau, Laurence Besse, Valérie Lotti, Annie Pellet, Jean-Philippe Mangeon, Jehanne Carillon, Yves Beauvallet, Marie Argouarc’h... (à suivre)

                   
De là où je gis
D’ici cent millions d’années
Cela vous fera
Un ou deux litres d’essence
Sans plomb — je ne chassais pas.
——————————————————————————————
(Jean-Marc Rainsant, épitaphe-tanka composée en 2015 à L’Ételon en compagnie de Jacques Jouet)



Cette épitaphe lui ressemble tellement ! Aucune pétition, si bien rédigée soit-elle, répondant à de multiples contraintes imbriquées les unes dans les autres et de plus adressée par coursier privé à qui de droit (à condition que l'un ou l'une d'entre nous connaisse la bonne adresse), n'aboutira. La Grande faucheuse s'est encore une fois trompée de victime...
———————————————
(Henry Landroit)



Dimanche
sidérant silencieux le cœur est lourd révolte chagrin révolte

Je
pleure

Chagrin révolte
.
Je
déteste ce jour et ce poème autodaté
———————————————
(Jany Pineau, poème autodaté 19-11-2019)



Une rencontre
.
Rires
Et des huîtres
———————————————
Bruxelles babel
.
Colocs
Et ta gentillesse toujours
———————————————
À Paris
.
Concert
Première écoute de ton piano
———————————————
Quelques soirées
.
Présent
Dans mes moments heureux et moins
———————————————
Mon ami
.
Subitement
Tu disparais et tu vas me manquer
———————————————
(Laurence Magnée, poème autodaté 2013-2014-2015-2016-2017)

                         

Je tangue tant
Et bien que ce soit loin
Au large des étés, déjà
Nous avons partagé tellement, si peu d'heures
Mon peu d'instants tissés du sien
Ailleurs, ici
Remous d'un ami qui s'en va
Cœur serré noir

Berceuse pour certains soirs de bord de mer —

Ta chandelle est morte
Mon ami Jean-Marc
Si Charon t'emporte
C'est la faute aux Parques

Au creux de la lune
Love-toi Jean-Marc
Au clair de la dune
Avec toi j'embarque
———————————————
(Agathe Rivals, acrostiche / sélénet)



Ohh... Quelle tristesse ! J'ai découvert Jean-Marc cet été, sa gentillesse, sa modestie et la générosité avec laquelle il partageait ses infinis talents musicaux, excellant autant en solo qu'au service des projets des autres. Et aussi son humour dans l'exercice d'immodestie proposé par Benoît au Pirouais, où il avait troussé un hommage hilarant à son unique cheveu. Salut l'artiste !
———————————————
(Anne Davost)



Dernier quatrain du poème 25 de « Une ode à la feue route nationale 20 », recueil que Jean-Marc venait de publier aux éditions KZMO...

Il est mort de rien
Pas de maladie,
Pas plus par envie,
Sauf qu'il fallait bien.

... et réponse de Nadège Moyart :

Poèmes sont cuits
Il les distribue
À nous tout ému
Piano à minuit

Les notes ficellent
Succession d'arpèges
Série de manèges
Où deux mains excellent

Et soudain plus rien
Et soudain, soudain
Silence, le sien
Croyez-vous la fin ?

Ce coup de cymbale
Pris à contre temps
Un emballement ?
Là le point final.



Comment la Grande Faucheuse fait ses choix ?
Au vogelpick bien sûr !
Et elle ricane sans doute, la salope...
Il lui faut sa ration journalière
Et chacun sait que, tôt ou tard, son tour viendra.
La méthode est sûre ; elle sème la stupeur,
les questions, les larmes et l'incompréhension.
Elle brise des élans, des amitiés aussi.
Tout est bouleversé ; il reste à vivre...
———————————————
(Élisabeth Biront)

         
(Martin Granger, morale élémentaire)

"Loup bleu", nom de plume occasionnel de Jean-Marc. (note de RR)




Te dire qu'on t'aime...?
Pour tous tes talents
Et pour ta présence
Ta fidélité
Et ta discrétion.
On ne l'a pas fait...
Jusqu'où irait-on pour pouvoir te le dire, maintenant ?
———————————————
(Wana)

                      

Haïku de pur néant :

Pour dire le vide
De ton absence Jean-Marc,
Pas de mots : des larmes.

Haïku de tristesse :

La mer de Pirou
Pour toujours est endeuillée
Et nous pleurons, vides.
———————————————
(Hélène Paumier)

                  

Il y a quelques années à Pirou, lors d’un atelier d’écriture ayant pour thème « des cartes postales improbables », Jean-Marc avait écrit (à peu près) ceci :

Nous avons bien aluni, le temps est calme, nous nous sommes fait de nouveaux amis, quand ils ont su d’où nous venions ils sont devenus verts !

La Nationale 20 passe sûrement par là, avec des pianos à tous les croisements.
———————————————
(Jean Clais)

           

Je te dois mon premier éclat de rire en Pirouésie, alors inconnue, puis à bien d'autres de tes poèmes inimitables
Je te dois un tour d'autotamponneuse, en grands ados à un âge incongru
Je te dois un accompagnement généreux de mon violon malabile, première musique de chambre pour moi dans la maison de la plage de ces étés poétiques
Je te dois le ravissement collectif par tes doigts de magicien pour Ravel, chez nous et en ciné-concert, et pour nos fêtes folles d'amitié à la Cale
Je retiens ce sourire vers nous sur le chemin des douaniers de la Manche
———————————————
(Marie-Hélène Lemoine)

                    

Compagnon de pirouettes, je te vois nous regarder avec tant de tendre douceur.
Et stupeur, voilà que tu ne frapperas plus le la d'ici-bas.
Pourtant je t'entends accompagner nos voix et nos mots, partager nos rires avec des éclats de grande chaleur.
Puisses-tu faire chanter les anges veinards.
Le silence noir de tes mains sur le piano résonnera longtemps dans mon souvenir.
———————————————
(Sylvie Andrieu)

ROMAN-PHOTO EXPRESS EN DEUX TABLEAUX & SANS PAROLES —
 Jean-Marc Rainsant : lui-même
 Coraline Soulier : allégorie de notre cœur à tous

              
              
(Danielle Wargny photo)



Je me souviens de Jean-Marc qui jouait J.-S. Bach. Sur la place de Pirou.
Je me souviens de Jean-Marc qui riait. À un atelier sur Raymond Roussel.
Je me souviens de Jean-Marc avec Laurence Magnée.
Je me souviens de Jean-Marc. Il était à Molenbeek.
Je me souviens de Jean-Marc. À la Cale.
Je souviens de Jean-Marc.

Si près
chauve *
1 mètre 75
Jean-Marc
———————————————
(Mar Bikx)

(*) Projet de planter pour Jean-Marc à Pirou un jeune cyprès chauve, 2 mètres. (note de RR)

               

De là où tu gis
D’ici cent millions de regrets
Cela nous fera
Un ou mille vides en Pirouésie
Sans piano – tu ne joueras plus !
———————————————
(Claire Lengrand)



C'était un homme gardien d'échangeurs.
Un livre le savait, le sien. C'était un passeur,
Si discret qu'on disait merci tout bas avec son cœur.
Et ça lui suffisait. Du moins... c'était ce qu'il semblait.
Dans la parenthèse de l'été, où tout a le goût du paradis,
Où les ennuis se changent en sucre candi,
La mort n'est pas, la mort n'est rien.
Seule la musique et la gentillesse
Brillent et dansent sous les étoiles.
L'imparfait c'était le temps d'hier.
Ce matin de l'autre côté de l'existence,
C'est un présent infini qui se dévoile
Qui...
... larmes quand même
... à cause de la sentence,
Larmes d'une étrange détresse.
Un chant s'élève entre tous ces verres
Trinqués aux terrasses de Pirou et sa mer.
Il porte des paroles de vie pleine,
Et d'ailes de papillons fragiles et sensibles
Luttant contre les vents qui se déchaînent
Même quand la source s'endort,
Le chant s'élève encore
Et toujours atteint la cible.
C'était un être assez subtil pour être gardien d'échangeurs.
———————————————
(Dominique Vallée)

                

Je me souviendrai de ton sourire doux et discret
Je me souviendrai de ton regard attentif, amical
Je me souviendrai de tes talents, de tes dons
Je me souviendrai de ta présence
Salut Jean-Marc !
———————————————
(Nicole Dedonder)



Aujourd’hui le soleil entrait par la fenêtre d’une salle de bain, regarde : un ami mort
———————————————
(Ian Monk)



À supposer que l'on m'invite ici à poser quelques mots sur la délicate amitié qui me lie à ce poète, musicien, bâtisseur, planteur de clous émérite qu'est Jean-Marc, il faudrait que je puisse convoquer, même misérablement, sur ce cahier usé ce qui relève le plus souvent de gestes, de regards, de silences et de moments indicibles où presque rien ne semble se passer, alors je dirais ce léger mouvement de tête penchant sur la gauche pour mieux écouter, et ce regard qui frôle votre joue et se pose un peu plus loin pour mieux se concentrer, et puis, cet instant, toujours en suspension, avant de répondre favorablement à votre requête, mais je pourrais aussi et seulement raconter qu'aux dernières Récréations de Bourges, scrupuleusement tous les soirs, il a rangé, bien à plat dans sa sacoche mes grands bristols des poèmes de Jacques, Olivier, Ian, Frédéric et Eduardo afin que je ne les abîme pas, bristols qui sont là aujourd'hui, bien rangés dans la pochette où il les a protégés des taches et des froissements avant de me les rapporter - et aussi au creux des souvenirs cette soirée toujours à Bourges dans cette cour plongée dans une obscurité si dense que l'on se distingue à peine, il me présente avec flamme des compositeurs inconnus pour moi, qui font l'objet d'un ciné concert dont les arrangements occupent avec fièvre la plupart de ses nuits - et pour finir au bord des deux cents mots cet élégant stylo prêté chez Philippe en Normandie dans un moment tragique de ma vie , je veux simplement dire en ce dimanche de novembre, que l'infime lien qui me noue à Jean-Marc désormais, ressemble à cette dernière samare de tilleul qui à cet instant valse, devant ma fenêtre, dans le soleil moribond de l'après-midi.
———————————————
(Michèle Deloche)



Jean Marc pourquoi nous laisser orphelins ?
Nous avions tellement besoin de toi
Tu nous laisses dans un grand désarroi
Tu pars en nous laissant sans lendemain...

Adieu l'Ami nous ne t'oublierons jamais
———————————————
(Marinette & Jacques Levêque)



Je n’ai pas de muse sur mon épaule
Pour me souffler des mots,
Des mots à glisser dans mes vers,
Des mots à glisser dans mes jours.

Je n’ai pas de muse sur mon épaule
Comme ce matin d’août à Pirou
Où tu m’as soufflé toboggan
Que j’ai fait rimer avec lancinant

Je n’ai plus de muse sur mon épaule,
Juste des souvenirs d’ateliers et de rires,
Juste des souvenirs de mots et de musique,
Juste un vide brutalement creusé.
———————————————
(Catherine Lyraud Betoule)

                
(Philippe Clément)


L’annonciation

— Madame et Monsieur Rainsant, vous allez avoir un fils, je suis heureux de vous l’apprendre.
— Oh !
— Permettez-moi de vous dresser à grands traits son portrait : il sera le plus gentil et doux des hommes.
— Ah !
— Il sera la douceur même, la bonté incarnée.
— Oh !
— Il cherchera toujours à rendre service, à se rendre disponible, il sera à l’écoute de son prochain et je crois pouvoir affirmer que rien de ce qui est humain ne lui sera étranger.
— Ah ! Quelle chance !
— Il sera particulièrement talentueux, mais il ne le saura pas avant longtemps, car il doutera de lui-même. Il manquera de confiance, et il faudra que ses amis le convainquent patiemment de ses propres qualités.
— Oh !
— Mais…
— Ah, il y a un mais ?
— Oui, Madame, il y a un mais. Il sera talentueux, cultivé, doux, attentif, drôle, mais… mais… mais il aura de petites mains.
— Ah ?
— Oui, la première phalange en sera courte, et plantée de quelques poils. Les suivantes suivront. Ses mains seront potelées, très bien proportionnées, douces, mais de petite taille. Il portera des gants de taille 7.
— Vraiment ?
— Puisque je vous le dis ! Il aura de jolies mains, mais très petites. Ça ne l’empêchera pas d’écrire de très beaux textes car il aura l’imagination tout comme l’ouïe : fine. Ça ne l’empêchera ni de vivre, ni de travailler, ni de réfléchir, ni de faire quoi que ce soit, sauf…
— Sauf ?
— Je vous le dis tout net : il ne pourra pas jouer de piano.
— Oh !
— Il pourra tout juste plaquer une sixte : do-la.
— Nous aurions tant aimé avoir un fils pianiste…
— N’y songez même pas !
———————————————
(Olivier Salon)



Rendez-vous singulier

Une maison de bois, à Paris, c’est magique
J’y entre après que la sonnette a résonné
Le piano éclairé me dit qu’il a joué
Mais il ne répond pas à mon appel étique.

Quand je fus au milieu de l’escalier unique
Il vint à ma rencontre en cadavre allongé
Il faisait sa toilette et puis il est tombé
Je vois qu’il a branché son rasoir électrique.

Je connais cette scène, on est dans un polar.
Tandis qu’on l’attendait pour partager son art
Lui, ici, il attend, patient, qu’on le découvre.

Dans l’histoire qui suit on éteint le piano
Où s’impatiente Pierre, en vain, car le héros
Ne sortira pas du ventre du loup qu’on ouvre.
———————————————
(Agnès Magne, sonnet)

Jean-Marc commençait de répéter une transcription de Pierre et le Loup, mise en scène de Jehanne Carillon au programme de Pirouésie 2018. C'est Agnès Magne et Marie Wallet qui ont découvert Jean-Marc chez lui le 18 novembre. La partition de Prokofiev attendait, ouverte sur le piano... (note de RR)



Madam’sieur,

Je me permets de vous adresser une demande qui ne laissera pas de vous surprendre, ce n’est qu’un juste retour des choses - si je puis dire - puisque surprendre demeure votre passe temps favori.

Vous m’avez emprunté la semaine dernière - sûrement par mégarde - un ami très cher répondant au doux nom de Jean-Marc Rainsant, dont les initiales, donc, sont : J-M. R. Loin de moi l’idée de contester vos compétences reconnues, mais nul n’est infaillible.

Dans mon esprit comme dans celui de ses très nombreux amis, il ne fait aucun doute que vous ayez confondu notre J-M. R. avec un certain « J. M-R. », qui de ce fait vous attend toujours au moment où j’écris ces lignes.

Vous pourrez me rendre le mien à l’heure et au lieu qui vous conviendront, en le dotant si possible d’un ticket de métro, aller simple ! afin qu’il rentre chez lui et mène à bien tous ses projets suspendus par votre regrettable bévue.

Il était - entre mille autres sujets - question d’un livre récemment publié, d’un ciné concert, d’une adaptation de Prokofiev, d’une crémaillère, d’une grosse demi douzaine de paires de bises franches (une cote mal taillée), et d’un nombre équivalent de soirées cotentines dans la Manche - pour vous situer les choses.

Assurée que vous aurez la générosité de corriger cet affreuse méprise et de nous rendre notre ami si cher, je vous prie de croire, Madam’sieur, en l’expression de mes sentiments respectueux quoique vaguement inquiets.
———————————————
(Marion Lowy)



Colère et déprime partagées

Ne pas croire
Ne pas vouloir croire
En vouloir à Robert
l'annonceur de cette nouvelle dont je ne veux pas

L'auteur de ce message que je voudrais détruire
et par ce rendre inexistant.

Merci Robert d'avoir prévenu si vite
alors qu'au fond de ta colère
tu dois être tout aussi abattu.

Pourquoi faut-il toujours
Que les meilleurs s'en aillent ?
Ceux dont le monde a tant besoin
Nos sources de lumière
nos rayons de soleil
nos havres de paix
nos créateurs de p'tits bonheurs.
———————————————
(Brigitte Hohmann)



Jeune homme souventes fois croisé à Pirou
Ecrivait, jouait du piano, souriait,
A peine aluni nous envoyait une carte postale
Nous avons ri de bon cœur ce jour-là, à l’atelier !

Mais quelle carte détestable
A découvrir dans le courrier, que celle de ta disparition
Rire éteint mais sourire pourtant à ton auto-épitaphe
C’est la moindre des choses
———————————————
(Marie-Hélène Vernay, acrostiche)



Je ne me souviens plus de la couleur de ton Alfa Romeo, mais je me souviens de son GPS, à qui tu avais préféré laisser sa voix féminine et italienne : c’était tout de même beaucoup plus drôle et sexy comme ça.

Je ne me souviens pas que tu aies jamais été un grand bavard, mais je me souviens de l’intense attention que dégageait ton regard quand tu écoutais tes interlocuteurs ; on peut dire que oui, tu avais tellement d’empathie pour ceux qui t’entouraient qu’on n’avait qu’une envie : te rendre la pareille.

Je ne me souviens plus du nombre de fois où je t’ai dit qu’un type avec ton talent devait aller au bout d’un livre, mais je me souviens lorsque, tout heureux cet été, tu m’as montré la couverture de N 20.
———————————————
(Frédéric Forte)



Je me mets en route demain et emporte avec moi ce petit trésor qu'est le sourire de Jean-Marc à la séance dernière à la BNF lorsque l'on s'est dit bonjour ; petit trésor que je déposerai dans un creux de dune ou que j'accrocherai au bout d'une longue ficelle, tel un cerf volant, dans le vent de Pirou.
———————————————
(Anne-Marie Masson)

                

Stances à Jean-Marc —

Mais ceci est sans sens
Jean-Marc s’est éteint !
Main mise sans assistance
Artiste créant sensass
Scènes à rire cent mercis.

Mais sieste à satiété,
Ami ?
Incise à résistance.
Mais ceci est sans sens !
Ici, moi je ris jaune.
J’encre et j’écris un cri !
———————————————
(Chantal Danjon, beau présent)

               

Poème inachevé pour Jean-Marc (Paris, 18 novembre 2017) —

Jean-Marc a fermé son piano
d’un coup – clac ! Fini, la musique !
Il a pris, sans voir le panneau,
la nationale fatidique.

« Il reste vivant dans nos cœurs » :
voilà ce qu’il faudrait écrire ?
Des mots ! Des mots ! Entre les pleurs
je n’ai pas le cœur de les dire.

Ce soir, je me sens dépeuplé,
avec mes vers mal ficelés…

Absent ! Absent ! Absent ! Absent !
Notre Jean-Marc ! Jean-Marc Rainsant !

Épitaphe pour Jean-Marc —

Puisque tu tombes le veston,
Jean-Marc, voici d’une autre toile :
dors bien au chaud dans un futon
d’amitié, parmi les étoiles.

Antiépitaphe de Jean-Marc —

Jean-Marc : tu nous as plantés là !
C’est très mal d’avoir fait cela,
Ça nous surprend ! Ça nous chiffonne !
Mais je le dis sans tralala :
Reviens, Jean-Marc, de l’au-delà !
Jean-Marc, reviens ! On te pardonne !
———————————————
(Jean-Paul Honoré)

  
(Jean-Paul Honoré)
                    

Traitre Jarnac
armant cet arc
a tiré ses traits en Jean-Marc
ce mec tant aimé

Mains inertes rire éteint
rimes taries
en néant rame Jean-Marc
marin amer

Ni messe ni tristesse
mi si ré mi ré si
sénestre cantate
ne cessent tes airs

Arrimé à Sirène
trace tes écrits
et reste à jamais
en têtes amies
———————————————
(Christiane Vernay, beau présent)



La mort s’est levée
du pied gauche et veut
pourrir (c’est son vœu)
l’année achevée,

ou presque, et défaire
les rimes, les mots,
les pianissimos ;
lâche, elle préfère

le brouillard des larmes,
aux ciels dégagés,
les cœurs grillagés,
aux forêts de charmes ;

alourdir de sable
nos coques de noix,
choisir le sournois,
l’abject, l’impensable.

Elle clôt le livre
du bon écrivain,
Mozart de la 20,
couvre l’or de givre.
———————————————
(Patrick Biau, pentasyllabes & rimes embrassées = Jean-Marc pour N-20)

                  

Piano en ton âme
Debussy, Satie au cœur
Jet à l' infini.
———————————————
(Laurence Besse, haïku)

          
(Valérie Lotti, acrostiche jmrJMRjmr...)


Sur l’asphalte déclassé s’accrochent quelques flocons de noir regret…
———————————————
(Annie Pellet)




Le Dit de Jean-Marc R —

il vagua il voguait sur qui de quoi tonnerre
il accosta lalère à la Cale. il a l’air

de l’océan. il embarqua, il ulyssa,
le brouillard l’engloutit, les nuits il abyssa

il rhapsodia, il préluda, pintade, cygne,
il menua, il fugua aux miroirs indignes

de la haie, des marées, des bouchots. che rumba
chachacha, cervelas. Borodine plus nouba.

page vingt-quatre il, teurgoula quelques bières
offrit son rire aux filles, ombre des cimetières

aima celle de mer qu’il ne rencontra pas
reconnaissant ses cils, ses silences, ses pas

il défunta hors fente, il jecta de l’écume,
las il ne pavana qu’une infante posthume.

périrent ritournelles. la vie patatraqua
mort ! mort ! coupa trancha, le clavier claqua.
———————————————
(Jean-Philippe Mangeon, d'après Le Dit du Genji, plus ancien roman psychologique connu)

   
   
   

Mon ami Jean-Marc
Au mitan de mes pensées
Toujours mon ami
———————————————
(Jehanne Carillon, haïku)

            

Poèmes des quatre sens autour du son —

Solo _
J’apprécie l’homme singulier,
Je déguste ses mots discrets
En accord parfait
Avec son art nourricier.

Note _
Il sait me la donner
Noire ou blanche, écrite,
Digitale et manuscrite.
Mais à la fin, dernière touche salée.

Harmonie _
Y a-t-il en Jean-Marc Rainsant
Un assemblage de couleurs
Aux tonalités estivales et cette lueur,
Commune vision avec Messiaen ?

Silence _
Je discerne comme une essence préparatoire.
Serait-ce l’odeur de l’absence ?
Ni pause, ni soupir, je sens d’abord un vide immense
Puis une trace, une fragrance dans ma mémoire.
———————————————
(Yves Beauvallet, inspiré d'une consigne de Jean-Marc en atelier d'écriture)



Je me rappelle Jean-Marc Rainsant.
Je me rappelle l’intensité de sa présence discrète.
Je me rappelle son attention aux autres.
Je me rappelle la chaleur de son regard noisette qui virait au vert dans l’acuité.
Je me rappelle sa douce carrure.
Je me rappelle son anxiété contenue avant le ciné-concert à Pirou 2017.
Je me rappelle notre dernière conversation.

Je savais peu de lui, j’ai pourtant perdu un ami. « C’est un ami, c’est un frère, qui nous précède un moment ».
Je me rappelle une soirée à Bourges, Jean-Marc a souri gentiment quand j’ai chanté très faux du Brassens. Chez Jeanne m’a trotté dans la tête quand j’ai appris sa mort. Peut-être parce que Jean-Marc – ou était-ce Benoît ? - nous a dit au Pirouais cet été : « Maintenant vous faites partie de la famille ».
Chez Jeanne à qui il faudrait mettre un h pour être au plus juste.

Je me rappelle la salle de la Coupole et le salon Landovski.

Jean-Marc,
tu étais de petite taille mais tellement grand
qu’on était bien serré
au Père Lachaise le lundi 4 décembre 2017.

Tu étais fils et frère et tonton et beau-frère et ami.
J’ai découvert un ingénieur futé et tenace.
J’ai découvert un engagement citoyen et syndical.
J’ai découvert une maison en bois sur un terrain en terrasses.
J’ai découvert une chorale, un groupe musical.
Les mots étaient tendres, drôles, émouvants, apaisants.
Une amie a chanté ma peine,
tu as joué le Scarbo.
Là, c’était trop !
J’ai entendu la voix de Piaf : « Arrêtez, arrêtez la musique !! ».
Un comble, n’est-ce pas ?

J’ai bu offert par ta nièce un vin blanc de ta cave et
je suis repartie avec ton Ode à la feue RN 20.
Je suis repartie triste et gaie, heureuse de ta belle personne
et des amis revus.
À Pirou 2018, pour éviter le pathos, promis, on fera la noce !

Ce que j’ai écrit de toi tient de l’oxymore.
« Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent, ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front »
Alors pour la rime je choisis : tu étais si vivant !
———————————————
(Marie La Gouache)



(à suivre...)

Épitaphes en vrac

De décembre en décembre

Sans raison décembre zappa
érudit entre norme & libre
système de poids équilibre
tension puis vanne à Zappa

Ayant lu Babeth Chamontin

Du sourire en point final où
son père Guy Deniélou
reste en suspens mais ne tombe, elle
fait le don d'épitaphe belle.

Je me souviens de Max Domon

Max Domon trait & lettre
marqua d’un clair esprit
sage tant que pût l’être
un temps qui s’assombrit

Épitaphe de l’auteur d'Epitaph

Moins qu'un chien Cerbère ne morde
au nom sino-latin le gus
dont Orphée enchanta la corde
Black Saint là-gît Charles Mingus

Épitaphe de l’Homme Niagara (rimes mixtes)

Fleuve ni Fugue ne résonne
Sous Montréal il se dit : chut
Tarir taire l’Art de la Chute
Doigts et front d’Oscar Peterson

Epitafio del Hombre Niágara (traduction en espagnol de Pablo, blogueur de fond)

Ni Río ni Fuga resuenan
Bajo Montréal se dice a sí mismo chsss
Callar y secar el Arte de la Catarata
Dedos y frente de Oscar Peterson

Épitaphe Addio Lulu

Luciano Pavarotti
moitié moitié par hémistiche
ici la voix tête d'affiche
là-bas rien de sobre sorti

Tant partition émane au
juste milieu d'octosyllabe
à nous beau chant le reste au crabe
Pavarotti Luciano

Épitaphe à celui du 118

Verlaine écrit que l’espoir luit
comme un brin de paille à l’étable.
Pour nous c'était au 118,
postés le coude sur la table.

Parole, actes, Michel Perret
n’avait pas l'esprit de chapelle.
Le dogme ça l’indifférait ;
humanité cela s’appelle.

Épitaphe isocèle

Au soc j’ai comblé tout passage
Quelques sillons endroit envers
Par où mon tourment fut-il sage
D’avoir pointé de froids enfers

Épitaphe du vendredi saint

De sole blanchie en l'écume
dans la soupe au camard mit-on
une racine pour légume
Vatel replongé marmiton

Épitaphe de nous tous

Cet endroit s’appelle une tombe
mais nous y cherrons en douceur
À supposer que l’on y tombe
dirions-nous un amortisseur ?

Urgences free jazz

Partition blafard néon
tais-toi sirène d’ambulance
La Faro joue à l’orphéon
de la contrebasse silence

Épitaphe des Lilas (rimes mixtes)

Taffe et taffe et taffe et puis taf
Gitane enfumée à la joue
je suis poinçonneur d’épitaphe
chante l’homme à tête de chou

Épitaphe en viager

Il sort poudré de blanc l’Auguste
La coulisse engloutit Serrault
En résonne mutique juste
l'absence d'éloquent héraut

Épitaphe à Pirou

Beau-Regard tourné sur la Lande
de Lessay voici le moulin
il s’amuse du vent salin
ciel et mer en terre normande

Un homme passe on se demande
est-il seigneur est-il vilain ?
quelqu'un de gentil puisque Alain
qui porte le nom de Lalande

Force élégance le meunier
combine l’art d’ingénier
hélice folle et grain à moudre

L’aile du moulin a pointé
un sage défi vers la foudre
tranquillement d’humanité

Épitaphe de Droopy

Au-delà quel dessein t’anime,
Tex Avery ? - Vous savez quoi ?
Je suis heureux d'en rester coi :
propre à l’homme survit l'énigme.

Épitaphe de Screwy Squirrel

Sauf la chute enfin moins comique
souvenez-vous : vous avez ri
quand j'ai plaqué du mécanique
sur le réel (Tex Avery)

Épitaphes

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