Muskegon (Michigan), décembre soixante-huit. Joli matin ensoleillé. Sur piano d’étude, Zappa déchiffre Mendelssohn, fugue numéro trois détournée. Kagel, spectateur émerveillé, encense l’entreprise.

« Eurythmie d’hardi musicien, de telles romances sonnent très savamment. À l’écoute, tes trios surpassent l’extravagance de Gurdjieff : n’y discerne-t-on Eddie Mitchell roucouler l’oratorio de Saint-Saëns ? Fantastique !

— Damned ! réfléchis, espèce de sot ! Mon jerk dénué de finesse dérive de turlututu fumiste. Non, Kagel ! l’orchestration dérisoire tient de farce drolatique...

— Zappa ! excentrique voyou ! blanc-bec magistral ! Vu l’ut diminué à douze tritons, l’aria descend l’erratique dièse : tu résous ici l’inouï bloc tabou de dissonance dorienne, donc l’hourvari honni de tout orphéon. N’entend-on éclore l’extatique danse de totems thaumaturgiques... Ô folksong Tlingit, ô fanfare de tribu Navajo ! » s’exclame Kagel, ses yeux scintillant de félicité.

Studios d’Avoriaz (France) dimanche suivant. On enregistre "Shut Luck", sept titres — double disque Deutsche Records, emballage dessiné de Bob Crumb —, Zappa y singeant requiems de Jack Dutronc, toccatas de Sclavis, refrains de Janácek, quatuor de Desmond, rigaudons de Schubert, rhapsodies de Marcel Azzola.

Malédiction ! Encore dimanche soir, l’ensemble a été effacé — étourderie de techniciens sonos sans doute saouls de haschich.

"Shut Luck" de Zappa, à toujours disque fantôme.

Contrainte de l’aléa furtif ± 1. Les première
& dernière lettres de tous les mots sont soit
la même (ÉmerveillÉ, DesmonD, IcI, OratoriO),
soit alphabétiquement la précédente (JanáceK,
MalédictioN, DimanchE) ou la suivante (CrumB,
DutronC, TotemS, FéE). Zappa naquit un 21/12.