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La bicyclette selon Yves
est l’exacte école du vent
où toutes choses relatives
planent en danseuse souvent.

Moulinant dans la giboulée
la mécanique à ses genoux
ralliera chaque cheminée
d’un inventaire — lui pour nous !

Au noroît tantôt qu’il dépasse,
ce doux champion tient scrupule au
principe que vite la trace
s’estompe où fila son vélo.

La vitesse en suspens l’enivre,
nous pleurons de ne pouvoir suivre.



À supposer que l’on me demande une définition globale de l’humanité
me viendrait une réponse paradoxale :
pour trait commun nous sommes tous d’une singulière singularité
ce qu’ayant posé je nuancerais à la façon douce-amère de Coluche
(« il y en a qui sont plus égaux que les autres »)
oui : je penserais alors à deux ou trois êtres
radicalement plus phénoménaux que nous autres phénomènes ordinaires
tiens par exemple
je me souviens de quelqu’un que j’ai interrogé un jour
car il était le seul au monde à faire un truc pareil :
« Comment en es-tu arrivé à répertorier à vélo
toutes les cheminées d’usines de Fourmies à Zuydcoote ?
Et pourquoi (encore à vélo), arpentes-tu la ville,
y compris sous les giboulées,
pour distribuer sans retard la gazette des cyclistes ? »
le même à qui encore
ayant vu une aquarelle fulgurante de sa main
j’ai dit une autre fois :
« Bizarre que tu ne sois pas fichu de tenir un tournevis :
bon sang tu dessines, tu peins si bien ! »
etc. chaque question à ce champion cet érudit
me valant une réponse de modestie désarmante
(sauf au chapitre de la vaisselle
qu’il se vantait de faire reluire sans eau)
comme quoi il s’efforçait simplement de bien faire dans sa vie
même s’il n’y connaissait pas grand chose
— en poésie non plus d’ailleurs
s’est-il excusé une après-midi de randonnée oulipienne
(à vélo toujours à vélo)
sur un chemin de halage — avant de nous lire ce qu’il avait composé
ceci :
L’eau de l’Escaut est grise
Plouf !
L’eau de l’Escaut dégrise
puis cela :
Que sont devenus les haleurs, halant de leur pas lent
les péniches, les bélandres, les gabarres ?

De nos jours, les haleurs s’en sont allés,
au loin des chemins de halage,
ahanant leur tristesse de n’être plus haleurs,
sans allant, à l’heure des grands convois motorisés.

C’est bien la fin des bricoleurs.
et moi époustouflé recueillant ses poèmes
non signés va sans dire
mais je me souviens aucun doute c’était Yves