mercredi 5 février 2025
De la sérendipité en cuisine polyglotte
Exercices de style d'après un souper amical en Belgique. La recette de Bart Van Loo avait malencontreusement traduit poivrons flamands en piments français. Pour adoucir son potage incandescent, Bart nous a suggéré de le saupoudrer d'avoine, flocons si succulents que nous avons surpris des charançons pique-assiettes en train de s'en goberger.
Un des sonnets à suivre mentionne Lol parmi les convives, à savoir Olivier Salon, auteur désormais de deux exploits invraisemblables : en Californie il a escaladé El Capitan ; chez Bart il a mangé sa soupe jusqu'à la dernière cuillerée.
Aux fins d’étalonner l’échelle des piments,
dînâmes-nous un soir chez des hôtes flamands.
La soupe y reflétait, de sa robe avenante,
un pieux clair-obscur : atmosphère flamande
où l’hospitalité précède chaque vœu.
Alors qu’on déglutit, s’ouït un râle : — Au feu !
Quel distillat jailli de cuves Soufrière
chambardait nos boyaux dès la prime cuillère ?
Consécutivement de la sorte épicer,
un griffon sur nos reins tançait : Sortez pisser !
Épisode suivant, ces mythes et légendes
s’en vont nous régaler de mites alléchantes...
De la sérendipité en cuisine polyglotte —
Le 7 décembre 1864, Alfred Nobel, encore indécis sur sa carrière, séjournait à Klow. Il s’essayait au métier d’éditeur gastronomique et travaillait à un guide de menus exotiques européens. Ce qui l’intéressait en Syldavie, c’étaient évidemment les matrices médiévales figurant les premiers festins de la dynastie Ottokar. Rendez-vous avec le professeur Nestor Halambique, le savant sigillographe qu’il retrouva penché sur un idéogramme figurant la recette du sprbodj, saucisse vernaculaire des Balkans. On était côté cuisine dans l’auberge du chef étoilé Bharts-Vnloowkz. Conversation jubilatoire du français au suédois, du suédois au syldave, et inversement. Le mélange d’ingrédients et d’idiomes n’empêcha que l’on reconstituât la recette originelle de la saucisse syldave — du moins une formule approchée. Des gastronomes tatillons objecteront plus tard qu’un jeu de paronymes leur fit confondre le sel (solzk) avec du glycérol (zklos), les condiments (füszerekz) avec l’acide nitrique (zkűszeref), la chair à saucisse (kolzbäsz hursk) avec la terre de diatomée (zolkbusz harsk), le tout sous forme de bâtonnets enveloppés de papier alimentaire façon Bouillon Kub. N’empêche, aux approximations près, le succès ne laissait place au doute. Ç’allait faire boum à la fois dans les tubes digestifs et les galeries de mines.
Sonnet lipogramme en E ; "Loo" monosyllabique ; rimes alternées d'Ô fermés et O ouverts. —
Bart Van Loo marmiton n’ouvrit un snack à Qom,
non plus à Zanzibar, ni sur un oppidum.
Son bouillon s’infusait d’incisif capsicum
local, aussi piquant qu’un court-jus par loi d’Ohm.
Pour saisir un poivron, faut-il l'outil ad hoc :
fin cuistot, il brandit un tranchant tomahawk
dont l’à-coup ondulant à l’instar du moon-walk
mixa du paprika planant, kif-kif Woodstock.
Confus du ciboulot, Lol tangua jusqu’au hall,
au comptoir s’accouda, but un cocktail au khôl ;
vis-à-vis du miroir s’y maquilla d’alcool...
Impact, on l’a compris, au point d’un punching-ball
dans un corps convulsif : son boyau fit du crawl !
— L’assaut du Capitan fut plus cool, conclut Lol.
Sonnet lipogramme en E & W où "Lo-o" est dissyllabique tel le Booz de Victor Hugo ; diérèse classique à la fin de "positi-on" ; alternance de rimes consonantiques et vocaliques. —
Van Loo s’alita, fourbu par un travail
qui du matin au soir fouissait maint sillon.
Il a fait son plumard dans la position
où toujours il pionçait, non loin du bon bucail.
Avant qu’il s’assoupît, Van Loo çà soupa
d’un bol au sarrasin — on dit "bucail" au nord,
bouillon qu’il parfumait au choix d’un chili fort
ou qu’il accommodait d’un pur jus paprika.
La soif, qu’on fût humain ou charançon gourmand,
son silo l’apaisait d’un frais cocktail flamand
dormitif d’harissa mi-grisou mi-cactus.
Tout somnolait dans Ur, dans Looz-Borgloon.
Par l’horizon divin jusqu’à Sarimaktuz,
sa faux d’or rayonnait aux champs d'Amphitryon !
Certain Renard wallon, d’autres disent flamand,
Apprenti Lucullus par le bouche-à-oreille,
Pelait des gousses de piment
Pour corser la salsepareille.
Ardent fut son bouillon infusé d’harissa :
Vrilla son œsophage en cintre
Et son pelage roux de feu se hérissa
Sans qu’il en pût la torche éteindre.
Riquet à la Soupe —
Instruit en cosmétique d’art
et charançons à crête ou dard,
Riquet appareille sa Houppe.
Il l’enduit de piquante soupe
puis harponne, Dame, ton cœur.
Recette d’un amour vainqueur.
Exquise soupe au piment rouge,
hélas n’en reste qu’une louche...
Ces gens encourent le danger
de se battre et non partager.
L’orde hécatombe s’est conclue
au bloc en urgence absolue.
(Photo : Sud-Ouest du 28 février 2025)
Le jardinier qui a fourni ses légumes à Bart se prénomme Dirk. Ayant lu la prose et les poèmes qui précèdent, Dirk précise qu'il fut en effet un peu surpris que Bart lui commandât autant de piments qu'il en fallut à Néron pour incendier Rome. Cela vaut bien une dédicace :
Il n’est d’incandescente Frousse
Des Ducs de Bourgogne et Rois d’Ourcq
Ni d’obscur côté de la Farce
Aux mains du tordant Vador Dark ;
N’est non plus de piquante Force
Au cœur des Princes qu’on sort d’York
Que n’effrite en pays de Frise
L’Onguent terrible, ô Druide Dirk !
(à suivre)
Robert Rapilly,
mercredi 5 février 2025
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