Les contraintes ci-après invoquant Boileau puis Horace ont été simultanément explorées, mais de manière bien plus exhaustive par Gilles Esposito-Farèse.

I — Nicolas Boileau dans L'Art poétique réfute "qu'un mot déjà mis osât s'y remontrer". Imaginons pousser cette injonction jusqu'aux mots-outils : déterminants, prépositions, conjonctions, interjections... Un poète nous facilite le travail, Mallarmé, tant il accorde attention à enrichir le texte de mots différents, à doter les mots-outils d’extrême précision.

1/ Salut à peine retouché :

Adieu —

Rien, cette écume, vierge vers
à dissimuler fors en coupe ;
telle loin se noie une troupe :
sirènes, mainte vue envers.

Nous naviguons — hello ! divers
amis —, moi déjà sur la poupe,
vous avant fastueux qui coupe
houles et foudroyants hivers.

Quelle ivresse belle m’engage
sans craindre même son tangage
apportant debout mon salut

solitude, récif, étoile
pour n’importe si ça valut
au blanc souci de notre toile.

2/ D'après le Sonnet en X :

Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
angoissé ce minuit soutient, lampadophore,
maint rêve vespéral consumé du phénix
que ne recueille pas de cinéraire amphore

sur les crédences — quel salon vide ? —, nul ptyx,
aboli bibelot d’inanité sonore,
(car, maître, il dut aller puiser des pleurs, ô Styx,
avec pour seul objet : où son néant s’honore !)

mais proche la croisée au nord vacante, un or
agonise selon peut-être tel décor
moult licornes ruant en feu contre une nixe,

elle, défunte nue ici mirée, encor
que, dans l’oubli fermé par tout cadre, se fixe
sous scintillations sitôt le septuor.

NB — On a ci-dessus toléré la présence simultanée de "d’ & de", "l’ & le", "s’ & se" = chaque fois le même mot mais avec deux graphies distinctes.
Le "que" de la locution conjonctive "encor que" (entre les vers 12 et 13) ne double pas le "que" du vers 4, pronom relatif.

3/ Petit Air II commettant des fautes systématiques de liaison supposée à la rime, partout des pluriels avec des singuliers... excepté vers 5 et 7, là où Mallarmé avait intentionnellement mis "bosquet" et "jamais" en mots-rimes :

Indomptablement ont dû
Comme espoir où je m’y lance
Éclater sous ciels perdus
Avec furie et silences

Voix étranges aux buissons
Ou par nul écho suivies,
D’ornithologiques sons
Toute autre fois en la vie.

Quels hagards musiciens,
Cela dans leur doute expire
Si de mon sein pas du sien
Jaillissaient les sanglots pires

Déchirés vont-ils entiers
Rester sur quelque sentier !

4/ Variante à partir du même sonnet. Cette fois, sauf aux vers 5 et 7 où la rime de "bosquets" avec "aguets" est académique (à nouveau en contradiction de l’entorse volontaire de Mallarmé), la faute permanente des autres rimes est double : masculin avec féminin, singulier avec pluriel ; la contrainte de Boileau est également tenue, nul mot n’apparaît plus d’une fois :

Indomptablement n’ont dû,
Comme mon espoir s’y lance,
Éclater là-haut perdues
Avec furie et pollens

Voix étranges des bosquets
Par aucun écho suivies :
Ces grives tout aux aguets
Nulle autre fois sans envi.

Maint hagard musicien,
Cela dans le doute expire
Si d’oreilles non pas siennes
Pousse une âme ses soupirs :

Déchirure, est-elle entière
Restée en quelques sentiers !

5/ Le même sonnet, cette fois lipogramme en E. On reste fidèle à l’exception calculée de Mallarmé : vers 5 et 7 la rime "buissons" et "song" est fautive. Le "qu'" de "qu'on tait" (vers 4) et celui de "Pour qu'alors" (vers 13) seront considérés comme 2 mots distincts de par une nature différente, l'un pronom relatif et l'autre locution conjonctive :

Air succinct —

Aucun dominant n’a dû
Quand s’y lança mon souhait
Jaillir là-haut morfondu,
Ouragan pourtant qu’on tait

Par voix d’inconnus buissons,
Sinon miroitant du bruit
Sans piaf dont ouïr nul song,
Nonobstant hasard fortuit.

Hagard façon troubadour
Fluctuant parmi moult flots,
Si hors son for — pas autour —
Ont sailli cris ou sanglots

Pour qu’alors quasi-haillon
Aboutît sur un layon.




II — "Bis repetita placent" : d'après l'Ars Poetica d'Horace, maxime latine selon laquelle "deux fois les choses répétées plaisent". L'oulipote Rémi Schulz a suggéré d'appeler "contrainte d'Horace" celle imposant que tous les mots d'un texte apparaissent deux fois, pas plus, pas moins. Il est commode d'écrire un palindrome de mots pour y arriver sans risque d'erreur.
Signé d'Alain Chevrier, un précédent intitulé "Menu symétrique" figure dans le n°4 de la Bibliothèque Liste-Oulipienne.

1/ Sonnet à non-rimes masculines :

Envers l’à-propos, tenons-nous
bien pour mener tel va-et-vient
moins au terme ? Quel risque alors
abouti serait disparu ?

Avoir d’ordre tout retourné :
ainsi, vers ces coupes tu vois
répétition chaque mot,
mot chaque répétition.

Vois : tu coupes ces vers ; ainsi
retourné, tout ordre d’avoir
disparu serait abouti.

Alors, risque quel terme au moins
vient et va tel mener pour bien ;
nous tenons propos à l’envers.

2/ D'après El Desdichado :

Fée ou ténébreux cri, dit-on qu’inconsolé
Orphée arme Aquitaine en enceinte abolie.
L’Achéron astral mort voyageant constellé,
Sirène ancrons soleil noir et mélancolie.

Reine encor ! D’Oc rougit tombeau du Consolé.
Biron accostait Oïl, océane Italie ;
Élie inverse fleur à pampre désolé.
Seul ! seul désolé pampre à fleur inverse : Élie.

Italie océane, Oïl accostait Biron.
Consolé du tombeau, rougit Oc d’encor reine...
Mélancolie et noir soleil, ancrons sirène.

Constellé voyageant ? Mort astral ? Achéron !
L’abolie enceinte en Aquitaine arme Orphée,
inconsolé qu’on dit cri ténébreux ou fée.