Navets 14

1 - Gestomètre en parcourant mon quartier

Entendre le bourdon du trafic et - à quelques mètres mais où ? - une tourterelle.
Découvrir qu’un cyprès géant, jamais vu auparavant, partage perpendiculairement l’horizon au-delà de la rue.
Viser la rue suivante, la plus chic du quartier : calme, lignes de fuite exactes, régularité y compris des courbes et obliques.
Considérer les ruptures dans la perspective si longue de la dernière rue tout au fond : béton, brique, verdure, mur, maison, encore mur, porche, lierre, pignon de face, toit de profil, tout sauf la monotonie qu’on lui prête à force d’habitude.
Effleurer le mur blanc où réverbèrent le soleil et le chant de la grive ; feuillage titanesque, vent calme de mai.
Se laisser surprendre, frôler par un train au détour de la station ferroviaire, trait de sabre d’un colosse samouraï, souffle prolongé d’échos métalliques dans le rail et la caténaire.
Repérer depuis l’impasse tout ce qui fait signe ostentatoire : LIDL, 4 passages piétonniers, 4 panneaux de sens interdit, 1 "cédez la priorité", 3 feux tricolores, les lettres GI de l’enseigne GIGA, CASTORAMA en entier, une boîte aux lettres jaune, une plaque avertissant « dépôt interdit contre ce mur », les restes d’une réclame sur la brique délavée : « une tradition depuis 1866 ».
S'apercevoir au retour qu'il y a, quai de la petite station, une horloge digitale des années 80, précise à la seconde.

Caresser le mur, brique polie, joint rude, s’imaginer aveugle ; et là je ferme les yeux pour davantage entendre le cliquetis d’une chaîne, le cycliste qui crache, la ponceuse ; je sens l’ombre puis le soleil ; alors j'évalue que si aucune rue - même voisine, même jumelle - dans l’univers n’a exactement le même aspect, aucune non plus n’offrirait à ma peau la même alternance d’ombre et de lumière, à mon ouïe le même panorama d'ambiances (tableau criblé de touches végétales sourdes, touches minérales réverbérées) ; comprendre par là qu’on puisse à son insu reconnaître sa rue sans la voir, et finalement l’apprécier comme aucune autre au monde.

Mesurer l’inéluctable effet du temps sur les briques poreuses, croûtes de sang séché.
Prêter l'oreille, arrivé au petit square, à des moineaux stéréophoniques, toujours la ponceuse, un volet roulant quelque part, les hélices des mobiles éoliens du voisin le Sculpteur, une auto qui s’approche, ralentit, tourne et s’en va.



2 - Solution de la première devinette d’hier. Le haïku (3 vers de 5-7-5 syllabes) était un palindrome :

Et tel l’if serré
Il se met - tenue peu nette -
Mes lierres, fillette

… orthographe identique en lisant depuis la fin.



3 - Quant aux 4 anagrammes, c’étaient celles de « navet, linge, œil-de-vieux » bien sûr. Les mêmes 21 lettres sont présentes dans chacune de ces 5 lignes :

Navet, linge, œil-de-vieux
= Antédiluvien vélo exige
= voix liée, éventuel gadin.
= Annexe vie dilue voltige,
= vexe le vide gué lointain.