Navets 26

Oyez, jeune génération du Collège Saint-Ex, en la cité de Jacques Cœur !

Hier encore, nos gestes quotidiens, tous nos gestes étaient sonores, chacun unique et doté de douce originalité. Chut ! Ecoutons-nous ayant adressé ou reçu du courrier : on enroulait, on collait, on triturait, on déchirait, on décollait. Tendons l’oreille à ces tonalités délicieuses, certes ténues, certes légères, de la carte et de la lettre : scratch, schhhhh… En train d’écrire, le stylo crissait, le crayon glissait ; quant aux destinataires, sous leurs doigts à l’instant de lire ça chuchotait, ça chuintait, ça gazouillait.

Aujourd’hui, quiconque a connu le temps des sons concrets regrette. Car tout a changé, on n’entend que du digital, du sourd, du continu, du ronron d’ordinateur. Toujours, en tous temps et tous lieux, quelles que soient les circonstances, on aura hérité de ce genre de zizique. Et il en est ainsi quand nous lisons nos courriels : condamnés aux 50 hertz du silence électronique.

Or donc, je suggère une sorte de résistance souterraine, dont j’énonce ci-dessous les règles secrètes. Rédigeons des lettres qui disent « Non à la dictature des écrans ! » Citons des auteurs radicaux contre l’interdiction de causer. Enregistrons des textes clairs et cohérents dès le coup d’œil initial, et crions-les au-dessus des toits. Dès lors, chantons, récitons, hurlons si nécessaire… sans que l’on sache qui chante, qui récite, qui hurle.

Car, incognito au sein de notre société clandestine, nous garderons les traits rigides de statues. Quelqu’un doute que ça se réalise ? Qu’il se lance dans l’exercice initial : essayer de relire tout ça les dents serrées, en se regardant dans la glace.

Chiche ?


PS - Découvrons tout de suite la contrainte qui a produit le billet d’aujourd’hui. Les sons b, f, m, p, v en sont absents ; on peut le lire à voix haute sans remuer les lèvres, à la façon des ventriloques.