Le blogue de Robert Rapilly

Avant-propos rimant à La disparition

L'avant-propos de La disparition est accessible en ligne, précédé d'un sonnet d'alexandrins en 11 syllabes (sic) de Jacques Roubaud et suivi d'une douzaine de pages du premier chapitre. J'en ai ci-après assez librement versifié le tout début, bien sûr sans la voyelle E. Les sonnets ont été composés de sorte que toutes les autres lettres de l'alphabet soient présentes. La prosodie de l'ensemble se veut classique, par exemple en comptant pour diérèses les terminaisons en "-ion".

1) Strophes en terza rima.
3) Suite au format d'un pantoum.
4-5) Deux sonnets où alternent des rimes vocaliques & consonantiques.
6) Des rimes plates ad libitum.

À suivre ? euh... il resterait 300 pages pour épuiser le roman.

1 —

Lisons l’avant-propos d’où l'on apprit plus tard
qu’un bruit s’inaugurait, d’abord pris pour un faux :
hou ! la Damnation nous assignait rancard.

Ô marins au compas pointant trois cardinaux !
Politicards soumis au trust anglo-saxon !
Tous l’auront fait savoir par flashs aux radios...

Buzz insignifiant ? Intox à la flonflon,
ou risquait-on la mort ? L’info sur maints placards
affichait mil martyrs par inanition.

L’opinion suivit, qui lors invoquant Mars
s’arma d’un gourdin fort, balança son grappin
aux portails, aux parois, aux murs, aux huis d’hangars.

Tout un pays hurlait : Argh ! nous voulons du pain !
On conspuait patrons, nantis, pouvoir publics...
chacun pour soi, qu’on fût franc-maçon ou rabbin.

Qui maraudait la nuit ? À coup sûr aucuns flics,
trop craintifs d’un contact aux pillards du frigo
bâfrant du cachalot — l’ord gang à Body Mick’s.

Ça conspirait partout ; titan, troll, virago
furax ont mis la main sur Mâcon, sur Pirou,
puis sur Rocamadour, Clignancourt, Monaco...

Glouton du bon plaisir, brutal, pillait-on prou
du thon, du chocolat, du maïs, du curry :
frichtis subtils ad hoc aux crocs d’un loup-garou.

Par kilos, par quintaux... si ç’avait l’air pourri,
haro sur toi, marchand idiot ou fautif,
car nous guillotinons, clouons au pilori !

Un slogan foisonnait : Foin d’administratif.
Il s’agissait, dit-on, d’abolir tout pouvoir ;
on vous aurait tondu nonobstant sans nul tif.

Au mitan d’un rond-point — titrait un blog du soir —,
on cracha dans l’hanap d’un sacristain catho
oignant un argousin mourant sur son trottoir.

Un yatagan frappait ? Un flot d’avis mytho
distillait son pathos au substrat du journal,
pourvu qu’y figurât du sang sur la photo.

On tuait son frangin pour un saucisson d’ail,
on tuait son cousin pour un croûton bâtard,
on tuait un quidam pour un quignon morfal.

3 —

Dans la nuit du lundi 6 avril au mardi,
On compta vingt-cinq fois l’impact sourd du plastic
qu’un avion largua... bang ! sur la Tour d’Orly.
L’Hôpital Saint-Louis posa diagnostic.

On compta vingt-cinq fois l’impact sourd du plastic
qui toucha l’Institut, qui fuma l’Alhambra.
L’Hôpital Saint-Louis posa diagnostic :
tout abus du tocsin accroît la furia.

Qui toucha l’Institut ? Qui fuma l’Alhambra ?
Pour l’opposition un truc avait failli :
tout abus du tocsin accroît la furia !
Façon Saint-Just, un dur attaqua, malpoli.

Pour l’opposition un truc avait failli :
Palais-Bourbon ou pas, l’on y vint aux jurons.
Façon Saint-Just, un dur attaqua, malpoli ;
à foison on vomit d’avilissants affronts.

Palais-Bourbon ou pas, l’on y vint aux jurons
— à part vingt-trois plantons, bâillon autour du cou.
À foison on vomit d’avilissants affronts
quant aux marquis blafards raccourcis du caillou.

À part vingt-trois plantons, bâillon autour du cou,
on garrota du col un lascar hors-complot.
Quant aux marquis blafards raccourcis du caillou,
un plumitif barjo bombardait un brûlot.

On garrota du col un lascar hors-complot.
Dans la nuit du lundi 6 avril au mardi,
un plumitif barjo bombardait un brûlot
qu’un avion largua... bang ! sur la Tour d’Orly.

4 —

N’usant du yatagan ni d’incisif surin,
un colon du Kansas lisait La Vis du Rail ;
voyant son canasson maladif du poitrail,
plutôt qu’hara-kiri, l’abattit sous un train.

Un cow-boy du Kansas accablait son bourrin,
il l’avait alourdi d’un compact attirail :
colts, fusils, bazookas, saint-frusquin d’un travail
dont l’animal mourut… ô guignon, ô chagrin !

Or, un instant plus tard, agrippant un mustang,
surgit Wild Bill Hickok ; il domptait tout pur-sang
mais, barjo, prit Isou pour Sioux à dada.

À moins qu’il galopât, Rossinant trottait-il ?
On l’ouït qui courait : tagada tagada…
quand d’un coup son sabot sauta sur un baril

5 —

Il cravachait au point qu’on n’aurait jamais cru
aucun harnais ad hoc aux impacts d’assommoir :
quand advint Attila, sans bonjour ni bonsoir,
il cavalait assis sur quoi ? Du bison cru.

Sancho Panza cabot aboya-t-il, waf-waf ?
Son bourricot Grison broutait un talipot,
mais Buridan confus tournait autour du pot :
qu’assouvir tout d’abord, la faim sinon la soif ?

Promu Grand Postillon par la vox populi,
qui liquida Longchamp, gain au Monopoly
moins vingt-cinq millions soustraits du fisc au turf ?

Vlad ! L’uhlan moustachu barbu poilu rouquin,
montait Aliboron ; on l’applaudit du bluff
couronnant son dada : kokoshnik sur du crin.

6 —

Un caporal zinzin s’affolait d’avoir faim.
Il flinguait à-tout-va, son bazooka soudain
pointant au bataillon ; on l’a vu massacrant
du commandant-major jusqu’aux soldats du rang.
La malnutrition hurlait à cor, à cris.
Tant humains qu’animaux, on courut aux abris...

S.O.S poussins :
toujours un goupil rôdait
aux abords du ranch.

Chut, la maman du chapon
à huis clos pondit un... ouf !

Un champion d’aviron grimpa sur un pavois ;
la sono du local amplifiait sa voix,
galvanisant l’afflux. À son cocorico,
la tribu proclama : — Couronnons l’illico
"Attila III" grand roi… sinon "King Fantômas" :
ça fait plus imposant ! Mais vu qu’il n’aimait pas,
on l’assomma sitôt pour choisir un couillon
à qui l’on alloua un stick à cabochon,
un plastron, un gibus, un bâton d’acajou.
Puis on l’accompagna, promu Grand Manitou,
dans un lourd palanquin, cap sur Palais-Royal.
Il n’arriva jamais : un gus provincial
cria : — Mort au tyran ! Imitant Ravaillac,
il l’ouvrit au rasoir, du nombril au colback.
Alors qu’on l’inhumait au columbarium,
un commando surgit, ahuri d’opium
qui du sol au plafond, n’y sachant trop pourquoi,
profana la koubba… bandits sans foi ni loi !

Un motif incongru convainquit un commis
au trois quarts abruti qui voulut qu’aux ch’timis
(du matin jusqu’au soir, schlass, boit-sans-soif, soûls, ronds...)
on prohibât bistrots, bars, zincs... Fatals corons !
La soif apparut donc : point d’alcool doux ni brut,
on clamsa du typhus, on claqua du scorbut.

(...)

De la sérendipité en cuisine polyglotte

Exercices de style d'après un souper amical en Belgique. La recette de Bart Van Loo avait malencontreusement traduit poivrons flamands en piments français. Pour adoucir son potage incandescent, Bart nous a suggéré de le saupoudrer d'avoine, flocons si succulents que nous avons surpris des charançons pique-assiettes en train de s'en goberger.
Un des sonnets à suivre mentionne Lol parmi les convives, à savoir Olivier Salon, auteur désormais de deux exploits invraisemblables : en Californie il a escaladé El Capitan ; chez Bart il a mangé sa soupe jusqu'à la dernière cuillerée.




Aux fins d’étalonner l’échelle des piments,
dînâmes-nous un soir chez des hôtes flamands.
La soupe y reflétait, de sa robe avenante,
un pieux clair-obscur : atmosphère flamande
où l’hospitalité précède chaque vœu.

Alors qu’on déglutit, s’ouït un râle : — Au feu !
Quel distillat jailli de cuves Soufrière
chambardait nos boyaux dès la prime cuillère ?
Consécutivement de la sorte épicer,
un griffon sur nos reins tançait : Sortez pisser !

Épisode suivant, ces mythes et légendes
s’en vont nous régaler de mites alléchantes...




De la sérendipité en cuisine polyglotte —

Le 7 décembre 1864, Alfred Nobel, encore indécis sur sa carrière, séjournait à Klow. Il s’essayait au métier d’éditeur gastronomique et travaillait à un guide de menus exotiques européens. Ce qui l’intéressait en Syldavie, c’étaient évidemment les matrices médiévales figurant les premiers festins de la dynastie Ottokar. Rendez-vous avec le professeur Nestor Halambique, le savant sigillographe qu’il retrouva penché sur un idéogramme figurant la recette du sprbodj, saucisse vernaculaire des Balkans. On était côté cuisine dans l’auberge du chef étoilé Bharts-Vnloowkz. Conversation jubilatoire du français au suédois, du suédois au syldave, et inversement. Le mélange d’ingrédients et d’idiomes n’empêcha que l’on reconstituât la recette originelle de la saucisse syldave — du moins une formule approchée. Des gastronomes tatillons objecteront plus tard qu’un jeu de paronymes leur fit confondre le sel (solzk) avec du glycérol (zklos), les condiments (füszerekz) avec l’acide nitrique (zkűszeref), la chair à saucisse (kolzbäsz hursk) avec la terre de diatomée (zolkbusz harsk), le tout sous forme de bâtonnets enveloppés de papier alimentaire façon Bouillon Kub. N’empêche, aux approximations près, le succès ne laissait place au doute. Ç’allait faire boum à la fois dans les tubes digestifs et les galeries de mines.




Sonnet lipogramme en E ; "Loo" monosyllabique ; rimes alternées d'Ô fermés et O ouverts. —

Bart Van Loo marmiton n’ouvrit un snack à Qom,
non plus à Zanzibar, ni sur un oppidum.
Son bouillon s’infusait d’incisif capsicum
local, aussi piquant qu’un court-jus par loi d’Ohm.

Pour saisir un poivron, faut-il l'outil ad hoc :
fin cuistot, il brandit un tranchant tomahawk
dont l’à-coup ondulant à l’instar du moon-walk
mixa du paprika planant, kif-kif Woodstock.

Confus du ciboulot, Lol tangua jusqu’au hall,
au comptoir s’accouda, but un cocktail au khôl ;
vis-à-vis du miroir s’y maquilla d’alcool...

Impact, on l’a compris, au point d’un punching-ball
dans un corps convulsif : son boyau fit du crawl !
— L’assaut du Capitan fut plus cool, conclut Lol.




Sonnet lipogramme en E & W où "Lo-o" est dissyllabique tel le Booz de Victor Hugo ; diérèse classique à la fin de "positi-on" ; alternance de rimes consonantiques et vocaliques. —

Van Loo s’alita, fourbu par un travail
qui du matin au soir fouissait maint sillon.
Il a fait son plumard dans la position
où toujours il pionçait, non loin du bon bucail.

Avant qu’il s’assoupît, Van Loo çà soupa
d’un bol au sarrasin — on dit "bucail" au nord,
bouillon qu’il parfumait au choix d’un chili fort
ou qu’il accommodait d’un pur jus paprika.

La soif, qu’on fût humain ou charançon gourmand,
son silo l’apaisait d’un frais cocktail flamand
dormitif d’harissa mi-grisou mi-cactus.

Tout somnolait dans Ur, dans Looz-Borgloon.
Par l’horizon divin jusqu’à Sarimaktuz,
sa faux d’or rayonnait aux champs d'Amphitryon !



Le Renard et l'Harissa

Certain Renard wallon, d’autres disent flamand,
Apprenti Lucullus par le bouche-à-oreille,
Pelait des gousses de piment
Pour corser la salsepareille.

Ardent fut son bouillon infusé d’harissa :
Vrilla son œsophage en cintre
Et son pelage roux de feu se hérissa
Sans qu’il en pût la torche éteindre.




Riquet à la Soupe —

Instruit en cosmétique d’art
et charançons à crête ou dard,
Riquet appareille sa Houppe.
Il l’enduit de piquante soupe
puis harponne, Dame, ton cœur.
Recette d’un amour vainqueur.




Exquise soupe au piment rouge,
hélas n’en reste qu’une louche...
Ces gens encourent le danger
de se battre et non partager.
L’orde hécatombe s’est conclue
au bloc en urgence absolue.

    

(Photo : Sud-Ouest du 28 février 2025)



Le jardinier qui a fourni ses légumes à Bart se prénomme Dirk. Ayant lu la prose et les poèmes qui précèdent, Dirk précise qu'il fut en effet un peu surpris que Bart lui commandât autant de piments qu'il en fallut à Néron pour incendier Rome. Cela vaut bien une dédicace :

Il n’est d’incandescente Frousse
Des Ducs de Bourgogne et Rois d’Ourcq
Ni d’obscur côté de la Farce
Aux mains du tordant Vador Dark ;
N’est non plus de piquante Force
Au cœur des Princes qu’on sort d’York
Que n’effrite en pays de Frise
L’Onguent terrible, ô Druide Dirk !




(à suivre)

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