LA QUATRINE TÉTRACÉPHALE, UNE FORME DUCASSIENNE

Isidore Ducasse, Poésies 2 : « La poésie doit être faite par tous. Non par un ». Comment satisfaire à l’injonction du Poète ? Trois quatrains y suffisent, pourvu qu’il s’agisse d’une quatrine tétracéphale !

Cette forme associe 4 auteurs autour d’un même poème, lequel passe de main en main. Jeu de société où, comme au bridge, il y a un mort : un auteur classique effectivement disparu, dont le vers occupe la 3e position dans toutes les strophes.

Quant aux vivants, ils voient permuter leur tour d’écriture. Par exemple Alexandre, Milord et Cassandre opérant dans cet ordre :

En un Alexandre
En deux le Milord
Puis l’illustre Mort
En quatre Cassandre

Aussitôt Cassandre
Avant Alexandre
Puis l’illustre Mort
Précède Milord

Qui revient ? Milord
Suivi de Cassandre
Puis l’illustre Mort
Enfin Alexandre

La répétition de l’immuable « vers du mort » donne effet de refrain. À supposer qu’elle rime classiquement, la quatrine tétracéphale épuise la variété des dispositions possibles : rimes embrassées, plates, croisées.

La forme s’avère assez souple pour s’accommoder de contraintes multiples (sélénet, néo-alexandrin...) ou d’autres règles à la discrétion des protagonistes, notamment l’ordre dans lequel chacun écrira.

Les auteurs vivants du présent recueil, composé en septembre et octobre 2008, sont Gilles Esposito-Farèse, Nicolas Graner et Robert Rapilly ; les morts successivement apparus Oskar Pastior, Jean de La Fontaine, Catherine Des Roches, Aimable Lubin, Edmond Rostand et Alphonse Allais.

El Desdiquatrino
par Oskar Rogini

Quatrine ton prénom outrepasse les bornes
Et plonge dans la nuit mon refrain constellé
Dans le jardin c’est une orange avec deux cornes
Dans mon cœur un tourment nullement consolé

Quatrine c’est pourtant toi qui m’as consolé
Toi la comète noire on sait ce que tu bornes
Dans le jardin c’est une orange avec deux cornes
Sous mon crâne un dédale au plafond constellé

Quatrine taisez-vous l’Astérion constellé
Brave plus que l’enfant qu’Ariane a consolé
Dans le jardin c’est une orange avec deux cornes
N’aiguillant vous ni toit ni Calabre sans bornes

Shepherd’s mate
par Jean de Nirogi

Jamais l’esprit humain n’a paru plus futile
Ne faites société qu’après satin d’un loup
Ce service vous peut quelque jour être utile
Pour masquer les échecs ou jouer un bon coup

Arlequin l’entendit sitôt troisième coup
Offrant à Colombine un couvert bien futile
Ce service vous peut quelque jour être utile
Dame qui redoutez les fous plus que le loup

Vivent les distractions les fous rires mon loup
Les ponts que j’ai dressés resteront dans le coup
Ce service vous peut quelque jour être utile
Traversât-il vainqueur tout pion se sait futile

Le rêve de Tzinacán
par Catherine Giniro

Le tigre et moi le sage au fond de nos prisons
Contemplons le progrès du mal qui nous terrasse
Et l’effroyable mort dans l'horrible crevasse
D’un miroir où ma chambre engloutit les toisons

L'autre tigre frissonne en vain ne le toisons
Fallait-il que je visse et la nuit des prisons
Et l'effroyable mort dans l'horrible crevasse
Fallait-il que je fuisse ou que je me terrasse

Le cauchemar m’éveille à poil sur la terrasse
Fuir ce vide papier où s’enivrent oisons
Et l'effroyable mort dans l'horrible crevasse
Renaître sous le fauve astre que nous prisons

Shogun Shadow
par Lubin Ronigi

L’horizon s’allume
L’étoile pâlit
Prête-moi ta plume
Car je rame au lit

S’il faut qu’on me lie
Dans un blanc velum
Prête-moi ta plume
Et crois ce qu’on lit

Bois jusqu’à la lie
Mon douloureux lied
Prête-moi ta plume
J’épingle un péplum

Retentit l’enclume
Quand le Khan en short
Au clair de la lune
Se tapa Hayworth

Cognant à la porte
L’insolent Shogun
Au clair de la lune
Veut trancher Wordsworth

Les cornes qu’il porte
D’Honshū sur Newport
Au clair de la lune
Ombrent la Full Moon

La tirade des noms d’oiseaux
par Edmond Gironi

Héron héron patte à paon marabout
Khan arrimé descend ce volatile
C’est bien plus beau lorsque c’est inutile
Un bec si long qu’on n’en voit pas le bout

Quand un rat passe ou qu’un œuf pourri bout
Qu’on dort serein qu’hui cuit le marabout
C’est bien plus beau lorsque c’est inutile
Sachant tant d’eau d’émoi nô volatile

Le bœuf n’en a pourquoi le volatile
En a-t-il plus mais l’écaille du bout
C’est bien plus beau lorsque c’est inutile
Qu’on soit dragon pape gay marabout

Quatrinette nouvelle par Alphonse Nigiro

À Mourmelon-le-Grand, le vingt-cinq novembre,
Dès l’issue de la confection en chambre,
Amène ta bonne amie, ça nous fera plaisir :
Hors gaudriole, Pompée Faure eût-il été vizir ?

Organisons la fête : offrons du gingembre,
Amourachons-nous de fière Sicambre...
Amène ta bonne, amie, ça nous fera plaisir,
Des lys et des gardénias sur son chef en équilibre !

Délice d’en avaler suc et fibre,
Or, grenats, diamants, saphirs... Non ! ça ferait mauvais genre.
Amène ta bonne amie : ça nous fera plaisir
À mourir, un brame ou rire en la baisant.