samedi 11 octobre 2008
Quatrines tétracéphales
LA QUATRINE TÉTRACÉPHALE, UNE FORME DUCASSIENNE
Isidore Ducasse, Poésies 2 : « La poésie doit être faite par tous. Non par un ». Comment satisfaire à l’injonction du Poète ? Trois quatrains y suffisent, pourvu qu’il s’agisse d’une quatrine tétracéphale !
Cette forme associe 4 auteurs autour d’un même poème, lequel passe de main en main. Jeu de société où, comme au bridge, il y a un mort : un auteur classique effectivement disparu, dont le vers occupe la 3e position dans toutes les strophes.
Quant aux vivants, ils voient permuter leur tour d’écriture. Par exemple Alexandre, Milord et Cassandre opérant dans cet ordre :
En un Alexandre En deux le Milord Puis l’illustre Mort En quatre Cassandre Aussitôt Cassandre Avant Alexandre Puis l’illustre Mort Précède Milord Qui revient ? Milord Suivi de Cassandre Puis l’illustre Mort Enfin Alexandre
La répétition de l’immuable « vers du mort » donne effet de refrain. À supposer qu’elle rime classiquement, la quatrine tétracéphale épuise la variété des dispositions possibles : rimes embrassées, plates, croisées.
La forme s’avère assez souple pour s’accommoder de contraintes multiples (sélénet, néo-alexandrin...) ou d’autres règles à la discrétion des protagonistes, notamment l’ordre dans lequel chacun écrira.
Les auteurs vivants du présent recueil, composé en septembre et octobre 2008, sont Gilles Esposito-Farèse, Nicolas Graner et Robert Rapilly ; les morts successivement apparus Oskar Pastior, Jean de La Fontaine, Catherine Des Roches, Aimable Lubin, Edmond Rostand et Alphonse Allais.
El Desdiquatrino
par Oskar Rogini
Quatrine ton prénom outrepasse les bornes Et plonge dans la nuit mon refrain constellé Dans le jardin c’est une orange avec deux cornes Dans mon cœur un tourment nullement consolé Quatrine c’est pourtant toi qui m’as consolé Toi la comète noire on sait ce que tu bornes Dans le jardin c’est une orange avec deux cornes Sous mon crâne un dédale au plafond constellé Quatrine taisez-vous l’Astérion constellé Brave plus que l’enfant qu’Ariane a consolé Dans le jardin c’est une orange avec deux cornes N’aiguillant vous ni toit ni Calabre sans bornes
Shepherd’s mate
par Jean de Nirogi
Jamais l’esprit humain n’a paru plus futile Ne faites société qu’après satin d’un loup Ce service vous peut quelque jour être utile Pour masquer les échecs ou jouer un bon coup Arlequin l’entendit sitôt troisième coup Offrant à Colombine un couvert bien futile Ce service vous peut quelque jour être utile Dame qui redoutez les fous plus que le loup Vivent les distractions les fous rires mon loup Les ponts que j’ai dressés resteront dans le coup Ce service vous peut quelque jour être utile Traversât-il vainqueur tout pion se sait futile
Le rêve de Tzinacán
par Catherine Giniro
Le tigre et moi le sage au fond de nos prisons Contemplons le progrès du mal qui nous terrasse Et l’effroyable mort dans l'horrible crevasse D’un miroir où ma chambre engloutit les toisons L'autre tigre frissonne en vain ne le toisons Fallait-il que je visse et la nuit des prisons Et l'effroyable mort dans l'horrible crevasse Fallait-il que je fuisse ou que je me terrasse Le cauchemar m’éveille à poil sur la terrasse Fuir ce vide papier où s’enivrent oisons Et l'effroyable mort dans l'horrible crevasse Renaître sous le fauve astre que nous prisons
Shogun Shadow
par Lubin Ronigi
L’horizon s’allume L’étoile pâlit Prête-moi ta plume Car je rame au lit S’il faut qu’on me lie Dans un blanc velum Prête-moi ta plume Et crois ce qu’on lit Bois jusqu’à la lie Mon douloureux lied Prête-moi ta plume J’épingle un péplum Retentit l’enclume Quand le Khan en short Au clair de la lune Se tapa Hayworth Cognant à la porte L’insolent Shogun Au clair de la lune Veut trancher Wordsworth Les cornes qu’il porte D’Honshū sur Newport Au clair de la lune Ombrent la Full Moon
La tirade des noms d’oiseaux
par Edmond Gironi
Héron héron patte à paon marabout Khan arrimé descend ce volatile C’est bien plus beau lorsque c’est inutile Un bec si long qu’on n’en voit pas le bout Quand un rat passe ou qu’un œuf pourri bout Qu’on dort serein qu’hui cuit le marabout C’est bien plus beau lorsque c’est inutile Sachant tant d’eau d’émoi nô volatile Le bœuf n’en a pourquoi le volatile En a-t-il plus mais l’écaille du bout C’est bien plus beau lorsque c’est inutile Qu’on soit dragon pape gay marabout
Quatrinette nouvelle par Alphonse Nigiro
À Mourmelon-le-Grand, le vingt-cinq novembre, Dès l’issue de la confection en chambre, Amène ta bonne amie, ça nous fera plaisir : Hors gaudriole, Pompée Faure eût-il été vizir ? Organisons la fête : offrons du gingembre, Amourachons-nous de fière Sicambre... Amène ta bonne, amie, ça nous fera plaisir, Des lys et des gardénias sur son chef en équilibre ! Délice d’en avaler suc et fibre, Or, grenats, diamants, saphirs... Non ! ça ferait mauvais genre. Amène ta bonne amie : ça nous fera plaisir À mourir, un brame ou rire en la baisant.
Robert Rapilly,
samedi 11 octobre 2008
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