Le blogue de Robert Rapilly

Hors-champ / cahier des charges d'une nouvelle

Bloomsday à Grandvillé, sur le modèle de Joyce ("Ulysse") et de Perec ("La Vie mode d’emploi"), François Graner a proposé d’établir le cahier des charges d’un roman à écrire par la suite. Ci-dessous projet d’une nouvelle intitulée "Hors-champ" — à l’attention prioritaire et imminente du LaProPo (Laboratoire de Procrastination Potentielle) : quatre chapitres de quatre paragraphes ordonnés en quatrine quant à l’ordre d’entrée en scène de quatre personnages.

Caractéristique fondamentale de "Hors-champ", le récit se fonde sur l’éclipse des protagonistes principaux. Autrement dit, ils n’apparaîtront... qu’absents. Liste non exhaustive de situations (inventaire provisoire, qu’il faudra décliner en ordre logique) : grimés, cachés, pas encore nés, en fuite, fantômes, à l’état d’êtres imaginaires, mythiques, défunts, etc.

Les quatre se nomment Abipone, Rōnin, Nyx et Huitzilopochtli.

Deux d’entre-eux de chair et de sang :

  • Abipone incarne l’esquive. Chaque fois que le récit la concerne, elle aura quitté la scène.
  • Rōnin est en quête perpétuelle. Sa présence imminente plane déjà sur le lieu de l’action, dont le récit s’écarte juste avant son arrivée.

Les deux autres sont des prosopopées au caractère tranché, sans complexité psychologique :

  • Nyx la nuit, le vide, le trou noir, occupe une place invariante au cœur des quatre chapitres du roman.
  • Huitzilopochtli le soleil apparaît certes au grand jour... mais ne luit pour personne.

Bien présents et concrets, divers personnages secondaires (liste à établir logiquement, du genre au pif patron de bistro, conductrice d’autobus, courtier d’assurances, caissière de cinéma...) parlent d’Abipone la fugitive, de Rōnin le paladin, de Nyx la nuit et de Huitzilopochtli le soleil, s’en souviennent, les imaginent, les attendent, les craignent, leur vouent un culte, les maudissent, leur adressent des messages, etc. (établir ici aussi un classement de postures à ordonner au fil des pages).

Les quatre chapitres comportent quatre paragraphes dont chacun, tel un plan fixe cinématographique (s’attarder à la liste des lieux et leur cadre), est marqué d’une sorte de "souffle" dans le décor ou dans les propos des personnages secondaires. En ordre de quatrine, les paragraphes relateront les circonstances suivantes (à quoi manque encore (j’écris ceci le 27 juin 2018) un ressort narratif assez puissant pour entraîner l’envie de lire la suite) :

1) Premier chapitre, 4 paragraphes A, R, N, H :

  • A = le départ récent d’Abipone,
  • R = l’arrivée imminente de Rōnin,
  • N = l’infini sidéral de Nyx la nuit,
  • H = la splendeur vaine de Huitzilopochtli.

2) Deuxième chapitre, 4 paragraphes H, A, N, R.

3) Troisième chapitre, 4 paragraphes R, H, N, A.

4) Quatrième et dernier chapitre, retour à l’ordre initial A, R, N, H.

(à suivre... / ci-dessus état du projet au 27 juin 2018)

Bloomsday 2018 à Grandvillé

Nicolas Graner organise certains printemps des "Jeux Oulipiques divers" dans sa douce campagne de Grandvillé. Le 16 juin 2018, Bloomsday, il a invité les oulipotes à écrire et cuisiner d'après Joyce. Sur place, entre autres stands poétiques en libre service, on pouvait aussi inventer de nouvelles disciplines sportives, exclusivité des Jeux Oulipiques va sans dire...




DIALOGUE IMAGINAIRE DE CHARLES DICKENS & JAMES JOYCE
(inspiré du Lol n'Bob Show)

(Dickens)
  À moi, Joyce, deux mots : connais-tu le prénom
  de Twist ? C’est Oliver, purement anglais...

(Joyce)
                                              Non !
  Ce blase émane, Dick, de ma natale Irlande.
  Dis voir quel Saint Patron régala de provende
  le pays dont Merlin enchantait l’alambic ?

(Dickens)
  Comment ne l’assavoir ! C’est l’évêque Patrick
  qui chassa le sorcier, suppôt de satanismes ;
  qui délivra du mal les rouquins et rouquines
  sujets en ta paroisse aux hurlevents d’ajoncs.

(Joyce)
  Que nenni, que nenni ! Là-bas nous dirigeons
  nos fervents angélus vers l’unique auréole
  secourant dénuement, tristesse, rubéole,
  peines de cœur, prurits... Nos suppliques et vœux
  vont au seul Oliver !

(Dickens)
                        Mais donc, si vos cheveux
  s’enflamment de la sorte au singulier mélange
  de paganisme obscur éclairé par un ange,
  qu’en professent les clercs ?

(Joyce)
                                Sic prêchent les gourous :
  « Le bel ange Oliver, il protège les roux ! »



RECETTE À SERVIR AU BLOOMSDAY
(acrostiche marabout sur 2 lettres)

Tous les 16 juin, en souvenir de son premier amour, James Augustine Aloysius se régalait d’une joue d’oye ychoussoise en cervelas — saucisse traditionnelle du canton de Mont-de-Marsan, à base de délicate chair prélevée autour du gosier de palmipèdes.

   JOue
 d’OYe
   YChoussoise
en CErvelas



SOUFFLER N’EST PAS JOUER
(d'après une idée de Jacques Jouet)

« Souffler n’est pas jouer », sport coopératif,
prend longanimité pour morale première.
On n’y vainc rien sinon qu’un prodige sportif :
sans les mains, sans la bouche, éteindre la lumière.

Dessous un paravent large de douze pieds,
on craque une allumette, et la flamme s’allume
d’une obscure chandelle entre deux équipiers
qui s’en vont l’écraser, tel marteau sur enclume.

Mais cet air percussif, ils le vrillent comment ?
Par simple mouvement des pavillons d’oreilles
dont le premier zéphyr esquisse tournoiement,
puis résonne simoun de djinns à Jrhymareyes.



DÉDICACE

Le 16 juin 18
Grandvillé l’espoir luit
Robert chante en l’honneur
de Bloomsday chez Graner

Steeple-chase pantrine

Une pantrine (= pantoum + quatrine) autoréférente sur 3, 5, 8, 13 syllabes — quatre nombres dans la suite de Fibonacci.

En pantrine
de Fibonacci
l’assonance à moins que la rime
se mesurera d’étalon ample ou rétréci

Que rodéo soit la suite de Fibonacci
steeple-chase
d’étalon ample ou rétréci
par trois cinq huit treize

Pareil steeple-chase
revient sur ses pas mais sans répéter le parcours
de segments par trois cinq huit treize
longs ou courts

Le parcours
quinconce en quatrine
achoppe à des vers longs ou courts
doublant du pantoum l’assonance à moins que la rime

Post-scriptum — Même forme dont le lexique a été puisé au Lento de Charles Cros. L'alternance des rimes est irrégulière : F-M-F-M / M-M-M-M / M-F-M-F / F-F-F-F.

De la rime
pour ensevelir
le malaise grand qui t’opprime
j’aurai fait un vers du linceul de ce souvenir

Le cœur fut trop grand quelque soir pour ensevelir
froids défunts
du linceul de ce souvenir
nos soie et parfums

Premiers froids défunts
piétinez d’abord avec les rythmes que personne
à l’encan nos soie et parfums
ne lui donne

Que personne
lueur de la rime
ni bien des trésors ne lui donne
sans vide revoir le malaise grand qui t’opprime

Observation de Rémi Schulz sur ce poème aux vers de 3, 5, 8, 13 syllabes :

358 lettres => gématrie 4329 = 13 x 333
358                            13

Le songe d'espace

Les sélénets suivants ont une couleur symboliste qui renvoie à l’observation de Queneau : Mallarmé est parfaitement potentiel. Réciproquement, l’oulipisme est souvent mallarméen. La poésie soumise à contrainte force les mots à se dépasser, à se doter de sens davantage. Voyons voir.

En acrostiche d’un sélénet, les mots du premier vers du Cygne de Mallarmé :

Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui...

Les autres mots seront puisés au même sonnet, sans cependant en reprendre les rimes — d’où les assonances "espace-plumage" et "blanche-hante". Ça colle bien à la mode du premier sélénet de l’histoire : "lune-plume" chez l’ami Pierrot.

Le songe d’espace
vierge a fui du sol,
le cygne est plumage,
vivace son col.

Et l’aile ivre blanche
le vêt pour avoir
bel éclat que hante
aujourd’hui l’espoir.

Mêmes contraintes appliquées au Desdichado :

Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé...
Je nage et toi morte
suis-moi dans mon cœur :
le tombeau qui porte
ténébreux vainqueur.

Le luth d’Aquitaine
veuf et modulant
l’allie à la reine,
inconsolé tant.

Centon depuis plusieurs poèmes de Mallarmé, vers isocèles :

Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx...
Ses soleils ténèbres
purs sens n’ont vêtu
ongles sur vertèbres
très loin le sais-tu

Haut de pied à plume
dédiant quels bruits
leur feuillée allume
onyx chair et fruits

Petit supplément sans rapport, sinon qu'il s'agit de sélénets. Ceux-là s'appuient sur des calembours assez lamentables, mais comme l’a noté François Caradec les pires sont les meilleurs.

Jean-Paul à bergère :
des toisons d’agneaux
me braillent derrière
lors bêle mon dos

Alain se fait moine
et sonne le gong
tout de hauteur d’âme
et lama de long
Nino tu te marres
des porteurs d’encens
donc thuriféraires
sitôt que les sens

Jean-Philippe, ondée
dessus ton pébroc
géniale idée
quand a plu du rock

Post-scriptum au supplément, un sélénet acrostiche syllabique de Pachacamac / Rascar-Capac. Ces couplets télescopent divers épisodes relevés dans deux albums de Tintin, « Les 7 boules de cristal » et « Le temple du Soleil », où l’éclipse finale sauve nos héros condamnés. Ésotérique, non ? Par exemple, la rascette est une ligne de la main en chiromancie.

Passagers des houles
charriant nos peurs
casseront sept boules
macabres vapeurs

Rascette propice
car sous le cristal
calende d’éclipse
pactise en l’Astral

Maharadja d’Al-Kantara

Sélénet acrostiche syllabique sur les 8 syllabes du "Maharadja d’Al-Kantara", personnage chimérique dans What a man ! de Georges Perec. L’ordre des 5 (ou 6) voyelles par vers est a-e-i-o-u-(e).

Marx fend d’infortune                          Ma
hareng biscornu,                              ha
rade gris, mort brune,                         rad
jarret fin tordu.                             ja

D’Alberich l’Occulte,                         d’Al
Kant en philo sut                              Kan
tancer l’imposture,                           ta
ralentir son but.                              ra

Lagarde et Michard commenteraient-ils le texte en soulignant que la dialectique matérialiste de Karl Marx s’appuie sur un constat de vie sordide du prolétariat, à commencer par une alimentation étique (strophe 1) ? Un siècle plus tôt, Emmanuel Kant aurait démonté l’irrationalité de la mythologie germanique, fondant sa démonstration sur les pouvoirs usurpés d’Alberich le sorcier (strophe 2). Les huit lignes horizontales figurent l’argumentaire stable des philosophes, progrès de la raison sur le mysticisme vertical et chancelant d’un quelconque seigneur, fût-il maharadja.

Archives - juin 2018

Sélectionner une date

juin 2018
« 123456789101112131415161718192021222324252627282930 »

Les cases à fond coloré signalent les dates de parution des billets. Les flèches permettent de se déplacer au mois suivant ou précédent.