Plusieurs réécritures des "mœurs des maliettes", oiseau imaginaire dans L'Arrache-cœur de Boris Vian, Oulipien de l'année 2025 chez Zazie Mode d'Emploi.




La Maliette en soi —

La maliette ulule un air comme il lui sied,
elle ne mange pas la mûre blanche et molle
d’où s’imprègne l’effluve en sa gorge à corolle.
La maliette au for patient et douillet

ne picore aucun fruit, car si le bruit brouillait
l’accord tout d’harmonie alors qu’elle s’envole,
elle mourrait au son palpitant du symbole,
sinistre octave et morne idéal inquiet.

Esquissant ses atours, duvet couleur de suie
dont on fait une eau-forte, un fertile burin
cisèle élégamment d’un trait son œil de lune…

Mais meurt la maliette à moins qu’elle ne fuie :
en elle nul boyau, ce corps n’enrobe rien
qu’un cœur pourquoi sans fin la maliette ulule.

Premier sonnet, d'après Les Vers à soie de Jacques Roubaud.




La Malieta —

Je suis la maliette à cœur vif et fragile
qui pince — occulte graine et contour du secret
où se dévoile en sorte un burin si fertile —
l’orbe encre caviar pour un autoportrait.

Dégarnir un chapeau, cette scène mutile
la suie ornant mon frac, qu’alors déchirerait
la peur d’un dos tourné, cause à vos yeux futile
mais dont sommeille l’ombre en morose forêt.

Las, qui m’étudiera ?... Qui saura me décrire ?
Mon poitrail rouge est corps de petite souris ;
j’ai gravé sous eau-forte une page de cris...

Je n’ai de foie au torse accroché, rien n’y gire
ondulant, fors le cœur, loge à spirituals
quand d’autres animaux n’ont qu’organes banals.

Un autre sonnet, d'après El Desdichado de Gérard de Nerval.




La Légende des Maliettes —

Jacquemort, bon docteur d’ornitho-dysphorie,
soigne en Cocagne un piaf au cœur triste, il s’écrie :
« Rond chapeau ! Rond chapeau ! Que ne le garde-t-on
sur nos cheveux trop blancs : la mort est sans pardon
pour la Douce des Airs, la maliette ailée.
Elle a peur de nos fronts et s’enfuit accablée. »
Alors le toubib grave avec pointe et burin
le corps blessé qui clamse au maudit galurin,
au vil coucher qui tombe, aux bruits de nuit vilaine.
L’oiseau n’a de repos qu’occis, ô cantilène !

Le psychiatre en vient à l’éros enfoui
qu’un doigt clinicien pointe, au risque inouï
que meure, comme on meurt par abus de souffrance,
la maliette : enjeu des experts de la transe,
défi d’animaliers qui n’ont pas quatre bras
et manquent, car trop lents, le poitrail rouge et ras,
le cou, les cris légers, l’effroi sur le plumage,
l’impalpable frisson dont s’écoute une image...
enfin ce cœur bombé qui se tienne en dedans
sans organes banals autres d’êtres vivants.

Réécriture en assonances des 2 premières strophes d’Aymerillot.




Sélénets de la Maliette —

Mœurs des maliettes,
lisons Jacquemort,
ses notes expertes
sur un gros support.

Il confie un livre
en riches papiers
au burin fertile
d’as animaliers.

Oiselle en eau-forte,
un jeu de couleurs
savamment rapporte
l’ordre de ses mœurs.

Ça fait d’en prendre une
pis qu’épouvantail,
pique à l’œil de lune,
au rouge poitrail.

S’il faut qu’elle fuie
de vie à trépas
en robe de suie,
n’hésitera pas.

Par chansons et fables
ses traits sont décrits,
plumes impalpables
et cris de souris.

Sujet de martyre,
lui tourner le dos,
ou si l’on retire
bérets et chapeaux,

ou qu’on la regarde
un peu trop longtemps...
survient la camarde
dès quelques instants.

La nuit n’est pas tendre
ni déjà le soir,
leur souffle à s’entendre
étouffe l’espoir.

Maliette à huppe,
fragile pourquoi ?
Tout un cœur l’occupe
sous frêle paroi.




Nox maliatarum —

« Nox maliatarum » s’avisa Jacquamarcq
— son latin copiait Buffon, Darwin, Lamarck...
Qui, pour approfondir mon imparfait savoir ?
Par quoi, maliata, m’instruirait-on t’y voir,
sauf dans un folio tout d’illustrations
sous un burin rompu rainurant mil sillons
par la main d’un Franz Marc ou d’un Fantin-Latour ?
Ô toi, maliata, tant à la nuit qu’au jour,
si jamais l’on fixait ton iris lilial ;
ou frôlait l’obscur khôl autour ton roux poitrail ;
à moins qu’un pavillon n’ait ouï d’aigus cris
— ta voix sur nos tympans imitant la souris —...
tu mourrais au contact d’un doigt ou d’un fanon ;
sans raison tu mourrais pour un oui pour un non,
pour un galurin bas, pour un ris, un chagrin,
pour un couchant hâtif, tu mourrais pour un grain !
Tu n’as, maliata, saisissant animal,
fors ton gros palpitant aucun boyau banal.

Ce poème dresse le constat de notre nuit d'ignorance quant aux maliettes ("nox maliatarum" en latin certifié) et à leurs œufs disparus.




Maliette vs pinsonogryve —

1) Maliette décollant sur coussin d’air —

Mœurs des maliettes se dit Chakemort. Les étudiera-t-on ? Saura-t-on les décrire ? Mieux vaudrait un énorme livre sur vélin couché illustré de ciselures en couleurs : celles dues au burin virtuose de nos meilleurs animaliers. Maliettes ô maliettes on devrait creuser vos mœurs ! Mais las d’une occasion où saisir une maliette — bel oiseau couleur de suie au torse roux et à l’œil de lune et aux cris subtils de minuscule souris. Maliette tu mourras si l’on touche de l’index le moins lourd ton duvet éthéré — ou tu meurs à la moindre cause si l’on t’observe à l’excès ou si l’on rit en te détaillant ou si l’on te tourne le dos ou si l’on enlève son béret — ou encore si la nuit s’entend et si le soir tombe très tôt. Maliette subtile et tendre : toi dont le cœur se tient à l’intérieur de tout ton volume — là où les autres bêtes recèlent des viscères banals.

Boris Vian - L’Arrache-cœur - 1953
Volet XXI - 28 octembre

2) pinsonogryve piégée sous un appeau —

mœurs pinsonogryvesques, pensa jacquemoy : qui pour évoquer, qui pour examiner...

ça exigera un gros corpus sur papier premium, épreuves imagées en nuances copiées au crayon ingénieux par nos as graveurs.

pinsonogryve, personne ne creuse ses mœurs ; mais pis, personne jamais pour en agripper une, pinsonogryve imprégnée en suie, à gorge rouge, aux yeux vénusiens, aux cris comme pépie une souris...

pinsonogryves qui mourrez si on pose sur vos pennages aériens un pouce ou un majeur vaporeux ; qui mourrez pour une cause mineure ; qui mourrez si, sous nos yeux, on vous vise sans une pause, ou on rie à vous voir, ou on vous esquive ; ou encore on range son casque, ou on oie une sorgue, ou un soir exagère son arrivée précoce.

pinsonogryve exquise, gracieuse avec un cœur qui occupe, en son giron, un copieux espace, çui où quiconque oiseau a réservé séjour aux organes prosaïques.

joris vian, un coupe-cœur
passage seizun, cinquonze januin

1) Lipogramme en f, g, j, p, q, y et z (les lettres à jambage en écriture manuscrite) ; absence de virgules, points-virgules et de tout signe ou fragment typographique qui dépasserait l’interligne par le bas.

2) Lipogramme en b, d, f, h, k, l et t (les lettres à hampes en écriture manuscrite) ; absence de capitales, de points d’exclamation ou d’interrogation, de tout signe ou fragment typographique qui dépasserait l’interligne par le haut — sauf les accents divers et points sur les i & j.