jeudi 4 décembre 2025
Haïkutomne & haïkuphène
Les deux premières strophes ci-dessous tracent les contours d'une forme fixe poétique que nous appellerions "haïkutomne", 7-7-5 syllabes en référence aux vers finals abrégés dans les strophes de la Chanson d'automne de Verlaine. Pour contrainte sémantique supplémentaire, la teneur du poème sera au diapason de Verlaine, triste.
Qui compose un haïkutomne Pleure deux fois sept syllabes Puis la chute en cinq Car tout haïkutomne est chute Le décompte n’y suffit À moins d’un sanglot Haïkutomnocompatibles Les mois brumaire et frimaire Sanglotent à point Supposons un cœur blessé Et blême quand sonne l’heure Voilà son tombeau
Quatre autres haïkutomnes, collages de vers épars et de mots glanés chez Paul Valéry.
Les images sont nombreuses Voix qui chantent pour les yeux Silence unisson Sans sourires sans figures Il n’est pour ravir un monde Que cette lenteur Sous les pas de ma raison Qui commence de frémir L’échelon tremblant Où la chair s’est faite pierre Et laisse tarir son lait L’ombre du dépit
Quant à exposer une autre forme potentielle, "haïkuphène" celle-là, imaginons un traitement inédit des acouphènes, mot que l’on écrira au pluriel, tant il existe de formes distinctes de ce mal : tintements, bourdonnements, chuintements, sifflements. Ainsi, au patient atteint de sifflements au point de ne plus entendre d’autre consonne que des S, prescririons-nous de répéter 666 fois ceci :
Feutre en lin étanche : assourdissons l’acouphène, ce sens incessant.
On constate une métrique 5-7-5 syllabes de haïku. Les voyelles sont quasi identiques aux vers 1 et 3, mais sans consonne S au vers 1, tandis que le vers 3 en est saturé. L’heptasyllabe 2 a fonction de transition logique en même temps que psychologique, veillant qu’il soit question de bruit, de tohu-bohu, de souffrance acoustique. La guérison s'opèrera par dégoût progressif du S maudit.
PS — La rhygveur scientifique impose une précision : à l'heure où nous écrivons ces lignes, les conclusions d'un ultime essai clinique sont attendues de l'Académie de Médecine de Szohôd en Bordurie. Ne doutons cependant pas de l'imminent triomphe promis à la thérapie consonopathique. L'acouphène passera désormais pour mal bénin guéri en dix-sept syllabes d'haïkuphène, autant dire deux coups de cuillère à pot.
PPS — Voir sur le même sujet les recherches exhaustives de notre éminent collègue Dr Gef.
B — Long écho, la voix de Marley jappe sur l’Inde. Bombay : Bob aboie. Ch — T’as pris l'apéro, boum d'escarbilles cosmiques, haschisch haché chaud. D — Quand Jéricho hurle, mordez l’embonpoint de Nantes, dents d’Édit dodu ! G — Pont-Aven vaut maint joyeux carillon à peindre, gong à gai Gauguin. J — Hurle l’otarie ? Toi, gendarme au sonomètre, juge-jauge, agis ! M — Indigné d’échos, je parle en langue des signes : mains, mimez mes mots ! N — Gros courroux, haro prompt sur nous, bébés baudets : nos nounous n’ânonnent. P — L’onde fuit des grilles d’égouts qui glougloutent, sifflent, pompent puis pépient. Q — Phonographe assez ! Marseillaise n’ai-je affaire qu’au coq à caquet ? R — La petite aubaine : seul le coucou nous console, rare rire horaire. S — Feutre en lin étanche : assourdissons l’acouphène, ce sens incessant. T — Au loup ! Saint Ronan dote un cheptel de grelots : tôt tout tinte autant. V — Le merle a sifflé que son deuil d’Adam fut bref : veuve Eva vivait. Z — On fora Paris de catacombe en métro ; onze os à Zazie.
Robert Rapilly,
jeudi 4 décembre 2025
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