Les deux premières strophes ci-dessous tracent les contours d'une forme fixe poétique que nous appellerions "haïkutomne", 7-7-5 syllabes en référence aux vers finals abrégés dans les strophes de la Chanson d'automne de Verlaine. Pour contrainte sémantique supplémentaire, la teneur du poème sera au diapason de Verlaine, triste.

Qui compose un haïkutomne
Pleure deux fois sept syllabes
Puis la chute en cinq

Car tout haïkutomne est chute
Le décompte n’y suffit
À moins d’un sanglot

Haïkutomnocompatibles
Les mois brumaire et frimaire
Sanglotent à point

Supposons un cœur blessé
Et blême quand sonne l’heure
Voilà son tombeau

Quatre autres haïkutomnes, collages de vers épars et de mots glanés chez Paul Valéry.

Les images sont nombreuses
Voix qui chantent pour les yeux
Silence unisson

Sans sourires sans figures
Il n’est pour ravir un monde
Que cette lenteur

Sous les pas de ma raison
Qui commence de frémir
L’échelon tremblant

Où la chair s’est faite pierre
Et laisse tarir son lait
L’ombre du dépit



Quant à exposer une autre forme potentielle, "haïkuphène" celle-là, imaginons un traitement inédit des acouphènes, mot que l’on écrira au pluriel, tant il existe de formes distinctes de ce mal : tintements, bourdonnements, chuintements, sifflements. Ainsi, au patient atteint de sifflements au point de ne plus entendre d’autre consonne que des S, prescririons-nous de répéter 666 fois ceci :

Feutre en lin étanche :
assourdissons l’acouphène,
ce sens incessant.

On constate une métrique 5-7-5 syllabes de haïku. Les voyelles sont quasi identiques aux vers 1 et 3, mais sans consonne S au vers 1, tandis que le vers 3 en est saturé. L’heptasyllabe 2 a fonction de transition logique en même temps que psychologique, veillant qu’il soit question de bruit, de tohu-bohu, de souffrance acoustique. La guérison s'opèrera par dégoût progressif du S maudit.

PS — La rhygveur scientifique impose une précision : à l'heure où nous écrivons ces lignes, les conclusions d'un ultime essai clinique sont attendues de l'Académie de Médecine de Szohôd en Bordurie. Ne doutons cependant pas de l'imminent triomphe promis à la thérapie consonopathique. L'acouphène passera désormais pour mal bénin guéri en dix-sept syllabes d'haïkuphène, autant dire deux coups de cuillère à pot.

PPS — Voir sur le même sujet les recherches exhaustives de notre éminent collègue Dr Gef.

B —
Long écho, la voix
de Marley jappe sur l’Inde.
Bombay : Bob aboie.

Ch —
T’as pris l'apéro,
boum d'escarbilles cosmiques,
haschisch haché chaud.

D —
Quand Jéricho hurle,
mordez l’embonpoint de Nantes,
dents d’Édit dodu !

G —
Pont-Aven vaut maint
joyeux carillon à peindre,
gong à gai Gauguin.

J —
Hurle l’otarie ?
Toi, gendarme au sonomètre,
juge-jauge, agis !

M —
Indigné d’échos,
je parle en langue des signes :
mains, mimez mes mots !

N —
Gros courroux, haro
prompt sur nous, bébés baudets :
nos nounous n’ânonnent.

P —
L’onde fuit des grilles
d’égouts qui glougloutent, sifflent,
pompent puis pépient.

Q —
Phonographe assez !
Marseillaise n’ai-je affaire
qu’au coq à caquet ?

R —
La petite aubaine :
seul le coucou nous console,
rare rire horaire.

S —
Feutre en lin étanche :
assourdissons l’acouphène,
ce sens incessant.

T —
Au loup ! Saint Ronan
dote un cheptel de grelots :
tôt tout tinte autant.

V —
Le merle a sifflé
que son deuil d’Adam fut bref :
veuve Eva vivait.

Z —
On fora Paris
de catacombe en métro ;
onze os à Zazie.