Il est trois heures du matin, je n'arrive pas à dormir. J'entends le bruit de la mer, des vagues qui s'écrasent contre la falaise en soupirant, en rongeant de leurs larmes les pierres insensibles (1). Les paupières de Graziella s'entrouvrent et j'y devine une promesse.

Cette nuit est une des rares où l’ennui aura épargné l’humble cabane depuis que le pêcheur l’a ancrée au rocher, et sans doute jusqu’au jour où elle menacera ruine. Nous nous accordons aux coups de vent dans les oliviers, râles et bruit des lames sur la côte, pubescences nacrées aux lueurs rasantes de la lune sur la terrasse. Tout à l’écart que je me tienne d’une croyance en des forces occultes aux mains de Priape, je me félicite de la concordance entre les éléments déchaînés et les appétits sensuels de Graziella. Me lasserai-je jamais d'adorer ses yeux mi-clos comme un cristal trouble, sa peau foncée et tigrée d'écume comme si la cadence partagée des vagues et de nos baisers la forçait à transpirer de vitesse et d’épuisement ?

Furieux, le vent et la mer mugissent toujours. J’y observe une correspondance à l’échelle du lit défait : un mascaret d’étreintes accumulées à la lisière du drap s'étale, encore plus tourmenté qu’au crépuscule. Bientôt, de l’horizon à notre couche, toute la côte de Cumes se noiera dans un flux et un reflux de brume flasque et lumineuse.

À la lune pleine, on n'aperçoit aucune voile sur le golfe de Gaète ni sur celui de Baia. Demain encore, les hirondelles de mer fouetteront l'écume de leurs ailes blanches. Mauvais signe selon les pêcheurs. Se répandra au village une rumeur maudite d’oiseaux qui crient de joie au-dessus des naufrages, présage d’une tempête sans fin au seul profit d’habitants maudits de la Baie des Trépassés qui attendent leur proie des navires en perdition.

Indifférent à la légende, je n’éprouve que la joie sans fard d'être tenu emprisonné par le gros temps dans la maison, dans la vigne du batelier et - je me plais à penser des zeugmes inavouables - dans les recoins où Graziella s’applique à m’accueillir. Tombe sur nous le ciel, pourvu que nous jouissions ! Du moins cela me donne-t-il tout loisir de savourer la seule richesse de cette pauvre famille : Graziella, à laquelle je m’agrippe comme le fauve à la gazelle.

Que le vent et la grosse mer nous retiennent ici ! Nous désirons, moi surtout, que la tempête ne finisse jamais et qu'une nécessité involontaire et fatale nous fasse passer des années où nous nous trouverions si captifs et si heureux. Rien d’uniforme en nos journées à quêter les sensations. Rien qui ne prouve mieux combien peu de chose suffit au bonheur quand les corps sont jeunes et jouissent de tout. C’est ainsi que les aliments les plus simples soutiennent et renouvellent la vie quand l’appétit les assaisonne et les organes sont neufs et sains...


(1) amorce de Zoridae