(poème paru en mai 2009 dans la Revue du Tanka francophone)

Rosée évanouie
Rien à faire au monde impur
Paroles d'Issa
Désormais neige elle efface
La vase encrant les crevasses
Elles se reflètent
Dans l'oeil de la libellule
Là-bas les montagnes
Le lombric creuse son trou
Sur le dôme des Écrins
Et sous la risée
De tes regards irisés
Mes vers sont brisés
Bout la sève en ton calice
Gelée au bord du ravin
Elles se reflètent
Dans l'oeil de la libellule
Là-bas les montagnes
Fière crête Demoiselle
Or Dahu je me retourne
Dans le double-fond
Abîmé de mon chapeau
Fond une tulipe
Je me souviens du Pamir
Rêche route de la soie
Elles se reflètent
Dans l'oeil de la libellule
Là-bas les montagnes
Où de grelottants photons
Hérissent l'air de coton

Bashô nous observe
Et retient de son bâton
Un pied téméraire
Une ombre nous apostrophe
Passants suspendez la marche
Parfois les nuages
Aux admirateurs de lune
Offrent une pause
Élidant de nos mémoires
Ce rond pas tout à fait clos
Recelée en berne
Dessous le masque mutique
Quoi l'Éternité
Échappe aux strophes impaires
Et le soleil plonge en mer
Parfois les nuages
Aux admirateurs de lune
Offrent une pause
Astre pâle ombre si trouble
Reflet où pure hydre éclaire
Le monde s'endort
Mais ignore si le disque
Va durer toujours
La terre est plate en un an
Elle fait trente-trois tours
Parfois les nuages
Aux admirateurs de lune
Offrent une pause
La ritournelle se fige
Sursis donnant sur les cieux

La muse amnésique
De Buson immobilise
Une blanche sombre
Un cri dans la nuit d'effroi
Ce n'est qu'un demi-soupir
Fini le printemps
Le biwa paraît si lourd
Au coeur qui le serre
Que la corde rie ou pleure
Le plectre opiniâtre crisse
Mon tympan fêlé
Maintenant demande grâce
Au musicien fou
Silence avec ironie
Proche tourbillon d'horreur
Fini le printemps
Le biwa paraît si lourd
Au coeur qui le serre
Grillons sous l'ocre point d'orgue
Ô cyclope de l'été
Face c'est ténèbres
Mais pile pièce embrasée
Où mon béret joue
Finis l'automne aux mains rousses
Et l'hiver aux yeux de verre
Fini le printemps
Le biwa paraît si lourd
Au coeur qui le serre
L'homme est le rêve d'une ombre
Soufflons trente-six chandelles

Trois complices - Gilles Esposito-Farèse, Martin Granger, moi - avons ci-dessus combiné deux formes poétiques :
- un renga japonais, poème collectif alternant strophes de 5/7/5 et 7/7syllabes, précisément un renga « kasen » en 36 versets ;
- des quatrines tétracéphales réparties en 3 x 12 strophes où les « morts » successifs sont des grands maîtres de l'époque Edo au japon :
Issa, auteur du refrain en positions 3, 7 et 11 ;
Bashô, refrain 15, 19 et 23 ;
Buson, 27, 31 et 35.
D'autres contraintes - prosodiques, rhétoriques ou thématiques - ont été appliquées : métrique classique, répétitions réduites au clinamen, séquences où devaient apparaître une forte opposition, ou une citation classique, ou une prosopopée.
Ordre d'intervention dans les 3 quatrines successives :
- Ro(bert) - Gi(lles) - Issa - Ma(rtin) / Gi - Ma - Issa - Ro / Ma - Ro- Issa - Gi
- Ma - Ro - Bashô - Gi / Ro - Gi - Bashô - Ma / Gi - Ma - Bashô - Ro
- Gi - Ma - Buson - Ro / Ma - Ro - Buson - Gi / Ro - Gi - Buson - Ma