Érika Thomas, Brésilienne née en 1964 au moment d'un coup d'état militaire, a vécu son enfance en dictature. Comment se détacher aujourd'hui du fardeau des deuils, exils, humiliations, dénis grimés en amnistie au nom d'une prioritaire « réconciliation nationale » ?

Les affiches urbaines et le cinéma agit'prop c'était bien, mais plus personne à peu près n'y prête attention. Alors, malicieusement, Érika Thomas accapare les poncifs de la vulgarité médiatique, les détourne.

Sous forme d'affiches dazibaos collées la nuit plusieurs mois durant, un feuilleton a déroulé chaque quinzaine à Lille et Paris une intrigue policière : enquête sur le meurtre d'un tortionnaire latino-américain exilé en France. Fiction vraisemblable, qui fait mouche. Le fait divers inventé accroche l’œil, dès lors à l'affût du texte et du détail, comme après un placard de Détective. Transparaît en filigrane la vérité de la dictature.

Aux affiches nocturnes répond le contrepoint de petits films : L’affaire Hugo Babelli et Nature morte. Je les ai vus hier soir. Ils sont fabriqués selon la prescription du cinéaste brésilien Glauber Rocha : pour faire un film, il suffit d'avoir une idée en tête et une caméra à la main. Peut-être les moins coûteux de l'histoire du cinéma, mais de redoutable efficacité. Les acteurs sont les collègues de travail d'Érika Thomas, au Centre d'Information et d'Orientation de Roubaix ; hé hé, soudain une équipe de collègues fait société, authentiquement.

Les fictions filmées ne sont entrecoupées que d'infimes secondes d'actualités en noir et blanc sous la dictature. Aux antipodes de l'obscénité médiatique contemporaine, l'économie d'images doue de fulgurance les souffrances entrevues.

Ce que j’en écris ne soulagera pas la Birmanie, mais peut-être l’exemple d’Érika Thomas aidera-t-il un jour des enfants birmans exilés à régler leurs comptes avec la junte.

La poésie doit avoir pour but la vérité pratique*. Voici un autre feuilleton possible, plus incisif que l’anathème de convenance : pourquoi, flèche pointée au cœur, ne pas raviver - mettons chaque mois - l'infime braise d'humanité encore en ces dictateurs au moyen d’un livre dédicacé ? Cf. Yann Martel et d’autres en France.

(*) Ducasse, Poésies II