Le blogue de Robert Rapilly

À supposer Patrick Smith

À supposer qu’on me demande ici, non pas une de ces louanges sans retenue dont on couronne nos proches à leur disparition, mais quelques mots plus réservés à propos des vertus de Patrick Smith, je soulignerais chez lui une carence au titre de physionomiste : — Non, Patrick, n’insiste pas, je ne suis pas Brulois ; à croire que Brulois et moi nous nous ressemblons beaucoup, mais ici ça n’est pas lui, c’est moi Bébert ; et s’il te plaît ne m’appelle plus Brulois la prochaine fois que tu me rencontres !... physionomiste défaillant donc, cependant (merveille le paradoxe) doué d’une invraisemblable acuité quand il observait la vie en train de se déployer, capable avec ses mains colossales — parmi les plus belles depuis Lascaux — de combiner une corde remisée, de la ferraille au rebut, du carton usagé, du bois flotté, ce genre de choses qu’il brassait en des protocoles alchimiques surhumains, tout un système incarné débordant d’improbables Arches de Noé, exacts galops, ébrouements à point nommé, envols soudains dans la lumière d’une vie si vivante qu’une fois retombé le rideau du Théâtre de la Licorne, on aurait parié que, de l’autre côté, les assemblages de corde, de ferraille, de carton et de bois continuaient de galoper, de s’ébrouer et de s’envoler, là-bas comme en nos cœurs aujourd’hui.

  

Photo / Patrick au jeu des 7 différences : saura-t-il distinguer le vrai Brulois du faux Bébert ?

L’ouïseaunet et sa contrerime

.

L’ouïseaunet et sa contrerime, ou comment
l’ordre des vers va en infléchir le sens.
On explorera ici une classe d’ouïseaunets
convertibles en contrerimes. La structure
initiale sera de 4-4-3-3 syllabes à rimes
embrassées, cela de sorte que l’inversion
des vers médians ménage la syntaxe mais y
apporte nuance au sens initial du poème :

Mille sardines !
Les pélicans
plongent quand
tous en dînent.

Mille sardines
plongent quand
les pélicans,
tous en dînent.




À plus d’un titre
et autres noms :
ci Baron
d’Oise-aux-Pîres.

À plus d’un titre,
ci-baron
et autres noms
d’oiseaux pires.




Voler des pages
en revenant
aux romans
de voyage.

Voler des pages
aux romans
en revenant
de voyage.




Quel vol d’aigrettes
aux épluchures,
je le jure
sur ta tête !

Quel vol d’aigrettes !
Je le jure
aux épluchures
sur ta tête.




Variante de comment basculer d’ouïseaunet
à contrerime grâce à des vers holorimes :

Tu téléphones
nous sanglotons
Avion
monotone

Tutelle et faunes
À vie on
nous sangle aux tons
Mon eau tonne




Idem avec calembours (ou contrepèteries).
1er exemple, rimes plates puis croisées :

Sardanapale
mangeait nos râles :
geai menu
de minus,

sardine à poils,
gemmes nues...
mon général
diminue !




Des macs hérons
trop dégueulasses :
l’appeau catche...
mirliton !

Décaméron :
là Boccace
droguait de glaces
mil litrons.




(à suivre...)

Sonnets acrostiches d'hémistiches

Sonnets générés par acrostiches d'hémistiches des vers successifs, forme explorée par Gilles Esposito-Farèse en 2020. Les chiffres ci-dessous indiquent l'ordre d'apparition des hémistiches. La densité répétitive croissante dote les poèmes d'un dénouement paroxystique.

1  -  2
3  -  4
5  -  6
7  -  8

9  - 10
11 - 12
13 - 14
1  -  3

5  -  7
9  - 11
13 -  1

5  -  9
13 -  5
13 - 13

D'après François Caradec

La première est la bonne en sortant de chez soi
Ô ville disparue ô la belle sortie
Celle que l’on fredonne et qui vous remercie
On en fait des refrains merci Paris ma foi

Aucun effet de l’art à chanter dans la rue
Merci les riverains merci d’avoir chanté
Une rue au hasard cette rue a rimé
La première est la bonne ô ville disparue

Celle que l’on fredonne on en fait des refrains
Aucun effet de l’art merci les riverains
Une rue au hasard la première est la bonne

Celle que l’on fredonne aucun effet de l’art
Une rue au hasard celle que l’on fredonne
Une rue au hasard une rue au hasard



Premier sonnet auto-acrostiche d'après Le cimetière marin (dont une entorse prosodique = rimes non alternées entre les quatrains) —

La mer la mer la mer toujours recommencée
D’imperceptible écume y compose de feux
Idoles du soleil sur le calme des dieux
Le vrai rongeur le ver après une pensée

Sous un voile de flamme un seul soupir résume
Édifice de l’âme un dédain souverain
Au silence pareil de mon regard marin
La mer la mer la mer d’imperceptible écume

Idoles du soleil le vrai rongeur le ver
Sous un voile de flamme édifice de l'âme
Au silence pareil la mer la mer la mer

Idoles du soleil sous un voile de flamme
Au silence pareil idoles du soleil
Au silence pareil au silence pareil



Deuxième sonnet auto-acrostiche d'après Le cimetière marin —

En l’abîme un soleil après une pensée
Semble se concevoir dominé de flambeaux
Au silence pareil y dort sur mes tombeaux
Dans une absence épaisse ô puissance salée

Cette flèche qui vibre à son frêle mouvoir
A bu la blanche espèce et jusque sur ma couche
Et referme mon livre il veut il songe il touche
En l’abîme un soleil semble se concevoir

Au silence pareil dans une absence épaisse
Cette flèche qui vibre a bu la blanche espèce
Et referme mon livre en l’abîme un soleil

Au silence pareil cette flèche qui vibre
Et referme mon livre au silence pareil
Et referme mon livre et referme mon livre



Taratantara ta rate en tara —

Citant Marathon Tensing il a ri
Au pied d’Everest tirebouchonnés
Pic d’hilarités la babouche au nez
Tant se marra-t-on avec Hillary

Taratantara l’ampleur des vers est
Deux fois cinq hoquets comptons dix latex
Ta rate en tara quand on dilate ex-
-citant Marathon au pied d’Everest

Pic d’hilarités tant se marra-t-on
Taratantara deux fois cinq hoquets
Ta rate en tara citant Marathon

Pic d’hilarités taratantara
Ta rate en tara pic d’hilarités
Ta rate en tara ta rate en tara



Une pensée après une pensée —

Sans mouvement sous un voile de flamme
Les derniers dons peuvent pour contenir
Maint diamant rendre nu l’avenir
Et l’amertume y dort sonnant dans l’âme

Sa flèche ailée a pris sur les maisons
Et m’accoutume à ne tenter de vivre
Une pensée est douce absolue ivre
Sans mouvement avec les derniers dons

Maint diamant se meurt et l’amertume
Sa flèche ailée y pense et m’accoutume
Une pensée en soi sans mouvement

Maint diamant ombre sa flèche ailée
Une pensée après maint diamant
Une pensée après une pensée

À la différence du "taratantara" précédent (5 + 5 syllabes), les décasyllabes de Paul Valéry pour Le cimetière marin se scindent en 4 + 6 syllabes. Dans le sonnet ci-dessus, les 2 syllabes après césure (celles en positions 5 & 6) ont un statut de joker. Les mots en question viennent certes du poème source mais ils sont librement répartis au service de la syntaxe. Simultanément la forme générale est un acrostiche de tétrasyllabes.




D'après Mallarmé —

Candeur de plume aux souvenirs qui sont
dans la révolte : ils mangent de la cendre
parmi l’écume, un soir fier d’y descendre.
Bel aujourd’hui le solitaire bond.

Un glaive sûr se laisse sur l’eau morte
taire ébloui… — Voulez-vous, mon enfant,
un sens plus pur que la blancheur défend,
candeur de plume où fuir dans la révolte,

parmi l’écume et le bel aujourd’hui :
un glaive sûr, solitaire, ébloui,
un sens plus pur que sa candeur de plume ?

— Parmi l’écume ainsi qu’un glaive sûr,
un sens plus pur : être parmi l’écume ;
un sens plus pur : donner un sens plus pur !



El Variablogéométricacrostichémisticho

Tour abolie et sirène, j’ai deux
cris, fée ou veuf au front encore rouge :
— Mélancolie ! a soupiré la rose,
— Desdichado ! le pampre ténébreux.

Tant à mon cœur qu’à la lyre d’Orphée,
nuit et tombeau rendent la grotte en fleur.
Le soleil noir, à toi plaisant vainqueur,
tourne aboli par les cris de la fée.

Mélancolie : ainsi Desdichado
tenta mon cœur dans la nuit du tombeau,
d’un soleil noir sur ma tour abolie…

Mélancolie où s’attenta mon cœur
d’un soleil noir : plus que mélancolie,
ce soleil noir porte tout soleil noir.

Décasyllabes 4+6 répétant ces mots ou sons au sein d’un sonnet acrostiche d’hémistiches à géométrie variable (chiffres entre parenthèses = ordre des apparitions et répétitions) :

- tour abolie   (1  - 15 - 22)
- cris fée      (3  - 16)
- mélancolie    (5  - 17 - 23 - 26)
- Desdichado    (7  - 18)
- tant mon cœur (9  - 19 - 24)
- nuit tombeau	(11 - 20)
- soleil noir	(13 - 21 - 25 - 27 - 28)

Le sélénantoum facile

Le "sélénantoum" serait un poème hybride tenant du sélénet mais une fois sur deux inversant l’alternance de rimes croisées féminines & masculines comme en pantoum.

Au clair de la lune
Mon ami Pierrot
Prête-moi ta plume
Pour écrire un mot

Mon ami Pierrot
Entre ciel et terre
Pour écrire un mot
Mande un secrétaire

Entre ciel et terre
Un ange passa
Mande un secrétaire
Il est là pour ça

Un ange passa
Au clair de la lune
Il est là pour ça
S’ôter une plume



Méthode comment composer un sélénantoum (forme voisine mais distincte du sélénÉtoum précédemment visible chez Zazipo, ici même et chez Gef) :

1) recopier telle quelle une strophe de sélénet classique ;

2) au fil de quatrains en ordre de pantoum (canevas ci-dessous), la métisser d’emprunts à un autre poème du répertoire ;

3) reprendre les vers 1 & 3 du début, cette fois en positions 2 & 4 (la dernière strophe n’interdit pas de légères modifications aux vers antérieurs).

Pour exemple, canevas depuis Ma chambre de Marceline Desbordes-Valmore (les rimes des vers A & A' seront féminines, B & B' masculines) :

Ma demeure est haute
Donnant sur les cieux
La lune en est l’hôte
Pâle et sérieux

Donnant sur les cieux
A — — — — — — —
Pâle et sérieux
A' — — — — — — —

A — — — — —
B — — — — — — —
A’ — — — — — — —
B’ — — — — — — —

B — — — — — — —
Ma demeure est haute
B’ — — — — — — —
La lune en est l’hôte



Sélénantoum Desbordes-Valmore vs Mallarmé puis Calvino puis Nerval

Ma demeure est haute
Donnant sur les cieux
La lune en est l’hôte
Pâle et sérieux

Donnant sur les cieux
Dans le cadre fixe
Pâle et sérieux
Le feu rue — ô nixe

Dans le cadre fixe
Peut-être décor
Le feu rue — ô nixe
Du miroir encor

Peut-être décor
Ma demeure haute
Du miroir encor
La lune en fut hôte



Ma demeure est haute
Donnant sur les cieux
La lune en est l’hôte
Pâle et sérieux

Donnant sur les cieux
Luit une coupole
Pâle et sérieux
Trois jours marche l’homme

Luit une coupole
Théâtre présent
Trois jours marche l’homme
Jusques au levant

Théâtre présent
Ma demeure est haute
Après le couchant
La lune en est l’hôte



Ma demeure est haute
Donnant sur les cieux
La lune en est l’hôte
Pâle et sérieux

Donnant sur les cieux
Par tour abolie
Pâle et sérieux
Le pampre s’allie

Par tour abolie
Ô luth constellé
Le pampre s’allie
À l’inconsolé

Ô luth constellé
Ma demeure est haute
Et l’inconsolé ?
La lune en est l’hôte



Sélénantoum Rimbaud vs Verlaine

Elle est retrouvée
Quoi ? l’éternité
C’est la mer allée
Avec le soleil

Quoi ? l’éternité
Au cœur monotone
Avec le soleil
M’emporte l’automne

Au cœur monotone
Deçà vent mauvais
M’emporte l’automne
Tout de sanglots longs

Delà vent mauvais
Elle est retrouvée
Tout de sanglots longs
La mer est salée


Sélénantoum Lubin vs Nerval puis Caradec

Au clair de la lune
Mon ami Pierrot
Prête-moi ta plume
Pour écrire un mot

Mon ami Pierrot
Prince d’Aquitaine
Pour écrire un mot
Rêve de sirène

Prince d’Aquitaine
Ma nuit au tombeau
Rêve de sirène
Effet placebo

Ma nuit au tombeau
A voilé la lune
Effet placebo
Garde-la ta plume



Au clair de la lune
Mon ami Pierrot
Prête-moi ta plume
Pour écrire un mot

Mon ami Pierrot
Chaque rue est bonne
Pour écrire un mot
Qu’on rime ou fredonne

Chaque rue est bonne
Choisie au hasard
Qu’on rime ou fredonne
Sans effet de l’art

Choisie au hasard
Au clair de la lune
Sans effet de l’art
Grand merci ta plume


Sélénantoum d’après deux sélénets connus (Lubin, Desbordes-Valmore) et des pentasyllabes de Hugo dans Les djinns.

Au clair de la lune
Mon ami Pierrot
Prête-moi ta plume
Pour écrire un mot

Mon ami Pierrot
Ta demeure est haute
Pour écrire un mot
La lune en est l’hôte

Ta demeure est haute
Et tantôt grandit
La lune en est l’hôte
L’écho la redit

Et tantôt grandit
Clair disque la lune
L’écho la redit
Des djinns à ta plume

Terine Waterloo

L’Empereur est déchu, la Légende l’enchaîne :
Triomphe, apside, chute, exil à Sainte-Hélène —
Lors Hugo parapha « Waterloo ! morne plaine ! »




Nombre de syllabes mot à mot :
        3 1 2 - 1 3 2
        2 3 1 - 2 1 3
        1 2 3 - 3 2 1
Verticalement, les premiers et
seconds hémistiches génèrent 2
terines de chiffres ; 3e vers,
les chiffres sont palindromes.

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