Le blogue de Robert Rapilly

65 536 huitains pour quatre fois douze lustres

Cadeau d'anniversaire aux oulipotes Élisabeth Chamontin, Alain Chevrier, Bernardo Schiavetta et Sophie Vial, 60 ans chacun. Quatre huitains imités des « Cent mille milliards de poèmes » de Queneau (beaucoup), des « Vers à soie » de Roubaud (un peu) et de « La Divine Comédie » de Dante (à peine) se combinent en 65 536 poèmes. On choisit le premier vers dans le paquet n°1 (4 possibilités), le second vers dans le n°2 (4 x 4 = 16 combinaisons), le 3e vers dans le n°3 (4 x 4 x 4 = 64 combinaisons), etc. Les mots bizarres - terlintintin, tint-tin, cornédbîf, etc. - ont été piochés chez Queneau ou dans la traduction de Dante par Louis Ratisbonne.


Vers n°1
Une cloche a sonné de son terlintintin
Murmure un ver à soie en soulier de satin
Touchant est l’unisson d’un tendre et doux tin-tin
Toute chose ordonnée arrive du matin

Vers n°2
Auprès d’Élisabeth jumelle de Zazie
À l’oreille d’Alain dans sa magnanerie
Près Bernado lisant Divine Comédie
Quiconque avecque l’autre et nous auprès Sophie

Vers n°3
S’appeler Cornédbîf ça vaut pas Chamontin
Ne pas manger la mûre exaucé-ce destin
Porter un soleil noir console l’Aquitain
Ajouter douze mois annonce soixante-un

Vers n°4
Et fermement de même écrire poésie
Idem que de baver sur robe de soierie
C’est juste la moitié du trajet de la vie
On espère toujours être garçon ou fille

Vers n°5
Avoir croisé Zazie au métropolitain
S’endormir en cocon autour du popotin
Errer au coin du bois sans perdre son latin
Prendre l’autobus S et sa tasse de thym

Vers n°6
Était-ce à cinq o’clock demande l’Amnésie
Alors enroulement de belle symétrie
D'un point où la vallée y gronde approfondie
De Socrate à Platon la marche vivifie

Vers n°7
Je me souviens encor de l’exquis bulletin
Voilà pour le bombyx un douillet strapontin
After quelques instants d’un repos sans potin
En lorgnant des photos de contraste incertain

Vers n°8
Du maître bienveillant la nymphe est l’élégie
La camisole isole ou la psychiatrie
Dante Orphée et le Prince un trio psalmodie
À tous n’est pas donné d’aimer la chose enfuie


Quatre, parmi les 65.536 poèmes potentiels, intitulés successivement « Élisabeth », « Alain », « Bernardo » et « Sophie ».

1 - Élisabeth

Une cloche a sonné de son terlintintin
Auprès d’Élisabeth jumelle de Zazie
S’appeler Cornédbîf ça vaut pas Chamontin
Et fermement de même écrire poésie

Avoir croisé Zazie au métropolitain
Était-ce à cinq o’clock demande l’Amnésie
Je me souviens encor de l’exquis bulletin
Du maître bienveillant la nymphe est l’élégie

2 - Alain

Murmure un ver à soie en soulier de satin
À l’oreille d’Alain dans sa magnanerie
Ne pas manger la mûre exaucé-ce destin
Idem que de baver sur robe de soierie

S’endormir en cocon autour du popotin
Alors enroulement de belle symétrie
Voilà pour le bombyx un douillet strapontin
La camisole isole ou la psychiatrie

3 - Bernardo

Touchant est l’unisson d’un tendre et doux tin-tin
Près Bernardo lisant Divine Comédie
Porter un soleil noir console l’Aquitain
C’est juste la moitié du trajet de la vie

Errer au coin du bois sans perdre son latin
D'un point où la vallée y gronde approfondie
After quelques instants d’un repos sans potin
Dante Orphée et le Prince un trio psalmodie

4 - Sophie

Toute chose ordonnée arrive du matin
Quiconque avecque l’autre et nous auprès Sophie
Ajouter douze mois annonce soixante-un
On espère toujours être garçon ou fille

Prendre l’autobus S et sa tasse de thym
De Socrate à Platon la marche vivifie
En lorgnant des photos de contraste incertain
À tous n’est pas donné d’aimer la chose enfuie

Navets de Bourges - 30

Navets 30

L’appel à Saint-Ex
- sonnet de prénoms -

Wessam, Alexandra
et Bryan et Clémence,
Gwenaëlle, Sarah
et Karim et Clémence ?

Virginie et Kamel
et Johnny et Pauline,
Léna, Marie, Axel,
Mathias et Florine ?

Blandine et Christian,
Célia, Bastien,
Aurélie et Mathilde

et Victoire et Kelly,
Alizée et Lucille ?
À Saint-Exupéry !


Ces 27 camarades de classe berruyers furent mes compagnons épistolaires de 30 jours et autant de Navets. Au revoir amical, je les ai réunis dans un sonnet presque classique d’hexasyllabes...
- à condition d’accepter quelques rimes pauvres,
- et de prononcer les diérèses Ma-thi-as, Chris-ti-an, Cé-li-a, Bas-ti-en.

Facile par contre de décomposer en 4 syllabes Jac-ques-Jou-et, l’inventeur de « Navet, linge, œil-de-vieux ». Cheminement inverse, la synérèse réduira son nom de moitié ; cf. ce quatrain dont tous les vers comptent 4 syllabes :

Jacques Jouet
compte double, et
moitié Jouet Jacques,
monosyllabes.


FIN DES NAVETS DE BOURGES

Navets de Bourges - 29

Navets 29

Utopie

À supposer que des jeunes gens me demandent quel métier exercer un jour, je répondrais sans hésitation architecte de ce qui n’existe pas, tant l’utopie m’intéresse : celle capable d’inventer par exemple un auditorium où régisseurs, acousticiens, machinistes et musiciens s’accommoderaient de moyens artisanaux démultipliés par la combinatoire, éprouveraient la qualité de prototypes comme des rideaux latéraux en béton armé (eh oui ! pourquoi ne pas conserver la grande surface acoustique déroulée par les vagues d’un tissu, et substituer à l’absorption du velours les qualités réfléchissantes du béton ?), recenseraient et classeraient les objets assimilables à la « belle forme acoustique », laquelle concentre de l'espacement en peu de place : la volute du pavillon de l’oreille et la caisse de résonance du piano à queue ; l’agencement d’hélix, tragus, lobule, conque et la disposition dans un violon d’éclisse, fond de table et ouïe ; les réseaux de l’oreille interne et la tuyauterie d’une trompette… observations dont l'architecte déduirait perfection technique et force symbolique, à distance prudente des poncifs de la conception assistée par ordinateur où se fabrique une vision sans regard.

Navets de Bourges - 28

Navets 28

Plagiat de Jacques Roubaud

Je n'ai pas encore reçu ton prochain Navet mais j'y réponds immédiatement. M’y demanderas-tu si j'ai bien reçu ton dernier Navet et si j'ai l'intention d'y répondre ?

Tu me demanderas peut-être comment, n'ayant pas encore reçu ton prochain Navet, je peux savoir que tu me demanderas si je l'ai bien reçu et si j'ai l'intention d'y répondre.

La réponse est simple : tous tes Navets (je les ai tous, ainsi que les doubles de tous mes envois) commencent par :

« As-tu reçu mon dernier Navet ? Si oui, et le contraire serait fort étonnant (si c'était le cas, fais-le moi savoir), as-tu l'intention d'y répondre ? »

C'est ainsi que commençait le premier Navet que j’ai reçu de toi. C'est ainsi que commençait le deuxième, le troisième, et ainsi de suite jusqu'au dernier.

Raisonnant donc par induction, j'en déduis que ton prochain Navet commencera comme les précédents. Je me considère en conséquence autorisé à y répondre comme si je l'avais dès maintenant reçu. Et je réponds comme suit :

« Je viens de recevoir ton dernier Navet et j'y réponds immédiatement. Tu m’y demandes si j'ai bien reçu ton dernier Navet et si j'ai l'intention d'y répondre. Je me permets de te faire remarquer que l'envoi de ton dernier Navet fait que le Navet que tu m’avais envoyé précédemment n'est plus désormais le dernier, et que si je réponds comme je suis en train de le faire à ton dernier Navet, je ne réponds pas à celui qui est maintenant l’avant-dernier. »

(etc.)

Navets de Bourges - 27

Navets 27

Gestomètre d'insomnie

dormir mais s’entendre ronfler
sursauter
ouvrir l’œil et constater qu’il est nuit
hésiter : se rendormir au risque de sombrer dans le tourment
compter un seul mouton, celui qu'a dessiné Saint-Ex
craindre la soif, la déshydratation
anticiper mille morts en plein désert
se résoudre à se lever, ne serait-ce que pour exorciser les cauchemars d'avion en panne
attendre quelques secondes de demi-sommeil supposées réparatrices mais déjà enfuies
pousser la couette de la jambe
rouler sur le séant
poser les pieds au tapis

risquer un regard au réveil, bientôt 5 heures je m’en doutais, je ne me rendormirai pas, immanquable protocole quand quelque chose d’important m’attend, comme si l'occupation de la journée à venir ne suffisait pas (m'apprêter à la rencontre des collégiens de Saint-Exupéry à Bourges), et qu'il fallait y ajouter deux heures sans sommeil à préméditer mes devoirs

d’assis basculer debout
marcher pieds nus jusqu’au palier
pousser l’interrupteur
cligner des yeux
descendre l’escalier

Navets de Bourges - 26

Navets 26

Oyez, jeune génération du Collège Saint-Ex, en la cité de Jacques Cœur !

Hier encore, nos gestes quotidiens, tous nos gestes étaient sonores, chacun unique et doté de douce originalité. Chut ! Ecoutons-nous ayant adressé ou reçu du courrier : on enroulait, on collait, on triturait, on déchirait, on décollait. Tendons l’oreille à ces tonalités délicieuses, certes ténues, certes légères, de la carte et de la lettre : scratch, schhhhh… En train d’écrire, le stylo crissait, le crayon glissait ; quant aux destinataires, sous leurs doigts à l’instant de lire ça chuchotait, ça chuintait, ça gazouillait.

Aujourd’hui, quiconque a connu le temps des sons concrets regrette. Car tout a changé, on n’entend que du digital, du sourd, du continu, du ronron d’ordinateur. Toujours, en tous temps et tous lieux, quelles que soient les circonstances, on aura hérité de ce genre de zizique. Et il en est ainsi quand nous lisons nos courriels : condamnés aux 50 hertz du silence électronique.

Or donc, je suggère une sorte de résistance souterraine, dont j’énonce ci-dessous les règles secrètes. Rédigeons des lettres qui disent « Non à la dictature des écrans ! » Citons des auteurs radicaux contre l’interdiction de causer. Enregistrons des textes clairs et cohérents dès le coup d’œil initial, et crions-les au-dessus des toits. Dès lors, chantons, récitons, hurlons si nécessaire… sans que l’on sache qui chante, qui récite, qui hurle.

Car, incognito au sein de notre société clandestine, nous garderons les traits rigides de statues. Quelqu’un doute que ça se réalise ? Qu’il se lance dans l’exercice initial : essayer de relire tout ça les dents serrées, en se regardant dans la glace.

Chiche ?


PS - Découvrons tout de suite la contrainte qui a produit le billet d’aujourd’hui. Les sons b, f, m, p, v en sont absents ; on peut le lire à voix haute sans remuer les lèvres, à la façon des ventriloques.

Navets de Bourges - 25

Navets 25

Du 18 mai à hier, chaque poète élève en classe de 4e au collège Saint-Exupéry de Bourges a reçu une réponse d’après sa nature morte. Je reprendrai à partir d’aujourd’hui la cadence de croisière : un ou deux poèmes par jour, sans dédicace préméditée.


Gestomètre itinérant à Hellemmes, vers le Pavé du Moulin

Plonger au coin des rues Roger Salengro et Ferdinand Mathias dans un mélange saturé d’où émergent une sonnerie chez le fleuriste, les parfums et couleurs des bouquets de saison sur le trottoir, à nouveau la sonnerie.

Dénombrer en chemin une calandre effondrée d’automobile Peugeot, un caddy de hard discount renversé, les déjections canines qui balisent la trajectoire des piétons.

Indexer, rue Vanderstraeten, une gamme de sensations à travers les semelles en marchant successivement sur le macadam, le gravier, l’herbe revenue envelopper rails et pavés désaffectés ; tiens ! je n’avais jamais remarqué que le secret de robustes chaussures n’empêche pas la plante des pieds de deviner quel sol je foule ; désormais je les écouterai davantage, mes pieds.

Mesurer la rugosité relative sur la main courante grise de la passerelle au-dessus des ateliers SNCF, polie jusqu’au métal dans les virages.

Diviser en zones, au surplomb du chemin Napoléon, un paysage criblé de lignes (horizon, rails, câbles haute tension, réverbères, routes, bords des champs, rues, etc.) délimitant des couleurs dominantes ; ce matin le vert, le rouge, le gris.

Trier, yeux fermés au cœur du champ Bobillot, les bruits selon qu’ils s’assimilent à la ville ou à la campagne ; bourdon des moteurs d’automobiles, il y a une ville assurément ; mais si près du centre de Lille, la sensation de campagne domine cependant : souffle d’avion transatlantique à 8 000 mètres d’altitude, oiseaux des champs, impacts d’un outil tranchant dans la terre.

S’imprégner d’un contraste chromatique complémentaire : rouge de peinture et de rouille (un piquet en fer désaffecté) sur le vert des graminées folles et du chiendent.

Dénombrer à l’intersection de trois champs - lin, patates, seigle - ce qui n’a pas sa place ici : capot de chauffe-eau, essieu de 2CV, carré calciné de moquette, chemise rouge détrempée, bouteilles en plastique, cartons.

Navets de Bourges - 24

Navets 24

1 - Poème d’après la nature morte de Célia (yaourt, foulard, règle). J’ai recopié le texte orignal en doublant chaque strophe de 2 vers supplémentaires ; rythme sur 10-8-8-10 syllabes ; rimes toutes « mixtes » (par ex. « frigidaire » et « yourte » finissent par un « e » muet, au contraire de « hier » et « yaourt »).

Apparemment tu sors du frigidaire
cela on me l'a dit hier
on m’a dit ton nom : le Yaourt
ou lait caillé fermenté dans la yourte

Apparemment tu sors de l'ordinaire
on me l'a dit aussi hier
drapé de charme et du Foulard
blanche statue et ruisselant dieu lare

Apparemment tu vas bientôt pourrir
et ça on vient de me le dire
car disparaître c’est la Règle
le sable efface les pas sur le reg


2 - Sélénet d’après la nature morte de Florine (mètre, pomme, sopalin). Le sélénet désigne un poème chantable sur l’air de « Au clair de la lune ».

Elle a vu la Pomme
D’un rouge orangé
Comme tout s’ordonne
Le Mètre est rangé

Il fallait un maître
On l’a retrouvé
L’inusable Mètre
En boîte lové

Elle a vu la table
Et le Sopalin
Des trois de la fable
Deux vont au déclin

En nature morte
La saison qui fuit
Sauf le Mètre emporte
La feuille et le fruit

Navets de Bourges - 23

Navets 23

1 - Poème d’après la nature morte de Gwenaëlle (pomme, calculette, torchon)

Nature morte là : belle bel et bien morte,
calculette du Temps autant qu’il nous emporte.

Devant la pomme belle et bel et bien pourrie,
la nature s’outrage, outre à la bactérie.

Beau le torchon et bel et bien poussiéreux,
Newton paume la pomme en calculs sérieux.

Calculette inutile et belle et, bel et bien
passé, le torchon crée un crayeux vide et rien.


2 - Lipogramme sur la nature morte de Kamel. On utilise seulement les 13 lettres dans « torchon, balance, glycine » : A B C E G H I L N O R T Y = une moitié d'alphabet.

La crécelle berrichonne grince en l’horloge haletante : échéance galiléenne.
Tic tac !

Le yatagan à ce yéti yogi cogne la cloche en tôle, annonçant écologie et éternité.
Bling blang !

Le rhino grognon et le terrible tigre rencontrent l’agnelet caractériel et le batracien atrabilaire.
Grrr !

Thor le Tyrolien baryton à lorgnette chante l’air Rigoletto à Bertha, belle bergère alto.
Tralala et tralala !

En hélico l’étincelle électricité à câblerie halogène accélère l’habitacle giratoire.
Clac clac clac !

Entre algèbre cérébrale et récréation, le collège abrite torchon, balance et glycine.
Lol !

Navets de Bourges - 22

Navets 22

Carré magique de « banane, mètre, sac ».


Rappel. On a vu avant-hier que la nature morte de Clémence se prêtait facilement au palindrome (énoncé dont l'orthographe ne change pas quand on lit en commençant par la fin) :

Caser te mena, Nabab, à banane, mètre, sac !

Le poème qui suit est un palindrome beaucoup plus long (et insensé ?), qui commence et finit aussi par « Caser te mena, Nabab (...) banane, mètre, sac ».


Caser te mena, Nabab
Ogre m’égara pas ôtée, n’a lavé l’Âne
Geste là

Geler arrête, rira, te vante
Ne recala gagée malice d’ara
L’emmêla rade ci lamée

Gaga lacéré net
Navet a ri :
Rê, Terra, Ré…

Le galet se gêna,
Leva l’Âne et osa parage, mer
Goba banane, mètre, sac


Ces strophes obscures obéissent à une autre contrainte, visible ci-dessous dans la matrice carrée. En partant du C initial ou final, on lit au choix le texte horizontalement, verticalement, depuis la fin, depuis le début ; en tout 4 sens.

C A S E R T E M E N A N A B
A B O G R E M E G A R A P A
S O T E E N A L A V E L A N
E G E S T E L A G E L E R A
R R E T E R I R A T E V A N
T E N E R E C A L A G A G E
E M A L I C E D A R A L E M
M E L A R A D E C I L A M E
E G A G A L A C E R E N E T
N A V E T A R I R E T E R R
A R E L E G A L E T S E G E
N A L E V A L A N E E T O S
A P A R A G E M E R G O B A
B A N A N E M E T R E S A C

Pas de panique, il est possible avec la même contrainte d'écrire des textes plus simples, plus courts et sans doute plus poétiques. Deux exemples :

Tel fer et la Belle gaffa
Gel le balte reflet

T E L F E R
E T L A B E
L L E G A F
F A G E L L
E B A L T E
R E F L E T

Léon Écho :
Oh ce Noël !

L E O N
E C H O
O H C E
N O E L

Navets de Bourges - 21

Navets 21

Aujourd’hui musique.


1 - Pantoum à Beethoven

Pomme ! Pomme ! Pomme ! Pomme !
Ludwig, traduire tes airs
en quatrain, ça fait qu'en somme
le fruit est dans le vers.

Ludwig, traduire tes airs
en pantoum fera tout comme :
le fruit est dans le vers.
Pomme ! Pomme ! Pomme ! Pomme !


2 - L’ogre clavier (portrait d’un jeune pianiste en répétition)

Monsieur est un individu
qui joue et croque dans la note,
il prendra son pied, le plein dû
de sons captifs sous la quenotte.

Partition il a mordu,
pas du genre qui pianote
somnolence ou bien entendu,
l’ogre pilonne à la menotte.

Or, on note pendant qu’il joue
un rictus qu’aspire la joue
creuse. Car Monsieur risque gros

et que sa mère ne l'embrasse
quand le clavier happe un héros
de dix ans et combien de grâce.

Navets de Bourges - 20

Navets 20

1 - Encore Pygmalion (suite d’hier, d’après les sculptures de la Jardinière)

Ceux qu’elle a modelés
Les trouve plutôt laids
Chacun à peu près comme
Un ersatz de bonhomme
Bonnet bleu chaussons verts
Salut à bras ouverts
Chapeau blanc veste grise
Dans l’argile s’est prise
Ça comment le sent-on
L’âme d’un chic santon


2 - Devinette d’hier. En ne lisant que la première lettre des 14 vers du sonnet, on fait apparaître la nature morte de Clémence (banane, mètre, sac) : BANA/NEME/TRE/SAC. Idem en lisant la dernière lettre, mais en sens inverse : du 14e au premier vers CASE/RTEM/ENA/NAB.

Banane    mètre    saC
Achab   nous  embarquA
Nous avions nos effetS
Appareillant  au largE

Nous devions retrouveR
Et  ramener   au  porT
Moby  Dick  la baleinE
Ennemie    et    fatuM

Torturé   d’impatiencE
Rageait  notre CaptaiN
Esclave   d’un  traumA

S’ensuit l’âpre destiN
Animal   qui   vaincrA
Cachalot  contre AchaB

Occasion de découvrir que ces 3 mots entrent facilement dans un palindrome :
Caser te mena, Nabab, à banane, mètre, sac !


3 - Souvenir d’enfance

Je viens de l’autre pays
du côté de Jeumont
quand les mots ne disaient pas la même chose

Là-bas la souris filait
opiniâtre proie du chat
non pas l'instrument du chat

Le long d’un canal de Sambre
canal sans satellite sinon la Lune
les bouquets n’étaient pas de chaînes mais de fleurs

On n’échangeait aucun mail
et le chemin de halage longeait le mail bordé d’arbres
qu’emprunta Guillevic enfant

Surtout je me souviens de livres
beaux livres à la tranche dorée
où rêver sur des icônes enluminées et accentuées

Navets de Bourges - 19

Navets 19

1 - La nature morte de Clémence rassemble 3 objets (banane, mètre, sac) qui s’écrivent en 14 lettres, autant qu’il y a de vers dans un sonnet. Une double contrainte singularise celui-ci, suite du récit d'hier à l'embouchure du Saint-Laurent ; lisez la définition d’« acrostiche » dans un dictionnaire, observez alors pas seulement les premières, aussi les dernières lettres des vers.

Banane mètre sac
Achab nous embarqua
Nous avions nos effets
Appareillant au large

Nous devions retrouver
Et ramener au port
Moby Dick la baleine
Ennemie et fatum

Torturé d’impatience
Rageait notre Captain
Esclave d’un trauma

S’ensuit l’âpre destin
Animal qui vaincra
Cachalot contre Achab


2 - Devinette d'hier, on aura aisément reconnu la nature morte de Christian : citron, feuille, montre.

un ovale jaune est un citron
un rectangle blanc est une feuille
un rond gris, noir, est une montre

La strophe donnait, en remplaçant chaque mot par sa définition dans le « Robert de poche » :

Une courbe fermée et allongée
de teinte entre le vert et l’orangé
est un agrume acide

Un quadrilatère aux quatre angles droits
d’une clarté neutre
est un morceau de papier

Une forme circulaire
entre le blanc et le noir
ne réfléchissant aucune lumière
est une petite boîte d’horlogerie à cadran


3 - Pygmalion (vers libres écrits en regardant Le Baiser de Rodin)

Tu n’es pas tout à fait vivante
ni tout à fait mortes les choses réputées telles

Je sens quelque porosité
à la frontière des mondes
minéral, végétal, animal

Tout semble autre chose
abeille ou bourdon l’ophrys d’avril
poissons, l’ichtyosaure et Moby Dick

Rien ne se laisse deviner
carnivore l’avenant droséra
corallien le sensible massif

Nous savons que dans un marbre inerte
Pygmalion t’insuffla vie

Navets de Bourges - 18

Navets 18

1 - Une strophe de Christian passée en « littérature définitionnelle » : on remplace les mots par leur définition dans un dictionnaire, ici le « Robert de poche ». Devinette facile, quels sont les 3 objets de la nature morte de Christian ?

une courbe fermée et allongée
de teinte entre le vert et l’orangé
est un agrume acide

un quadrilatère aux quatre angles droits
d’une clarté neutre
est un morceau de papier

une forme circulaire
entre le blanc et le noir
ne réfléchissant aucune lumière
est une petite boîte d’horlogerie à cadran



2 - Un passage de la nature morte de Virginie (feuille, fleur, règle) découpé en alexandrins

Sur ma feuille à carreaux j'aperçois une règle,
et la règle aplanit d’autres feuilles, d’un saule.
Feuilles sur une feuille, ou saule sur papier,
la feuille délimite ensemble deux objets.

Rassemblés sur la feuille en objets éphémères,
ils cèderont la place à la transformation.



3 - Suite du recopiage au propre de notes prises lors d’un voyage

Le stylo à bille noir de la Jardinière tombe en panne au milieu d’une carte postale et du Saint-Laurent. Ce genre d’accident s’appelle un zeugme.

Nous scrutons la surface du fleuve. Pas de petit rorqual, ni de commun, ni de bleu, ni à bosse ; pas de béluga, ni de phoque commun, gris ou du Groenland ; aucune baleine noire ou à bec, aucun marsouin commun, dauphin à nez blanc ou à flancs blancs ; pas plus de globicéphale noir de l’Atlantique.

Bien que son bic se soit tari - événement rarissime, notez -, nous n’avons pas croisé l’épaulard également rarissime. Verrons-nous jamais le cachalot macrocéphale, observé régulièrement dans l’estuaire ? Le jour où cessa d’écrire le Maudit Bic de la Jardinière, nous nous imaginons affronter le Moby Dick d’Herman Melville.

Notre regard balaye une dernière fois le flot mat.

Navets de Bourges - 17

Navets 17

1 - Nature morte de Bryan (linge, carotte, double décimètre) traduite en S+7 et A+7 : on remplace les substantifs et adjectifs par le 7e suivant dans le dictionnaire.

Linoléum, carquois, doux déclin

Je sais que tu es naturalisée dans le terril
Je vois que tu es grumeleuse
Je me demande quelle est ta lorgnette
Je suis sûr de ta coulisse
Je refuse de te faire du malaga
Je pense à te laver chaque jouvence
J’affirme t’essuyer avec ce linoléum droit
J’imagine ton gouvernail
J’espère ton boniment
Je ne peux penser à ta culasse
Je sais que tu peux finir rasante
Je sais que ceci arrivera, mais bon c'est la viennoiserie



2 - Recopier au propre les notes prises lors d’un voyage cher à son coeur

L’île d’Orléans est carénée par le Saint-Laurent, tout en longueur comme une chaloupe. Elle dure, quand d’élégantes yoles pourrissent sans mains qui les maintiennent à flot. C’était il y a un instant, et déjà le pays oublie qu’il fut nourri par le fleuve. Idem du cheval de fer. Au printemps, l’horizon des routes alterne champs d’oies migratrices et champs de bagnoles, milliers les unes et les autres. En route vers Tadoussac.

Qui s’embarque des quais
porte un bonnet de laine.
On pêche la baleine
dans les courants frisquets.

La baleine on l’espère
trois ou quatre matins,
sinon c’est en patins
qu’on passe la rivière.

(à suivre…)

Navets de Bourges - 16

Navets 16

1 - Réponse lipogrammatique à une nature morte de Pauline :
- un vers sur deux s’interdit les voyelles a, i, o, u
- un vers sur deux s’interdit la voyelle e

Je pense : les gens rejettent ce rêve
J’y vois un citron ici, un folio là, un compas plus loin
Je le prétends : cette détrempe est verte
J’ois un citron hurlant : « Aucun jus ! »
J’espère cette règle experte en mètres et repères
J’admis tantôt l’amour du bristol pour mon stylo
Je me sens tenté de presser cette sève
J’inscrirai mots ou portraits sur mon bloc
J’entends, de ce réglet, segmenter le blême vergé
J’aurai droit à manipulation dudit outil
Je pense : les gens rejettent ce rêve

Pauline avait écrit :

Je sais que tout le monde s'en moque
Je vois un citron, une feuille et un double décimètre
J'affirme que ma feuille est verte
Je suppose que le citron n'aime pas être pressé
J'espère que le double décimètre aime aider à tracer
J'imagine que ma feuille aimerait être utilisée
Je déclare avoir envie de presser mon citron
Je pense me servir de ma feuille
J'envisage de mesurer et tracer avec mon double décimètre
Je crois pouvoir m'en servir
Je sais que tout le monde s'en moque



2 - Réponse lipogrammatique à une nature morte de Bastien :
- un vers sur deux s’interdit la voyelle e
- un vers sur deux s’interdit les voyelles a, i, o, u

D’incisions dans mon citron, du jus a fui
Pressée, cette sphère rejette des restes de sève
Mil accrocs au sopalin à trous
Le sèche-nez est percé, dépecé
L’outil à traits paraît bon
Le réglet me semble net
Sinon tout va au poil dans mon capharnaüm
Bref, je me sers d’excellents éléments

Bastien avait écrit :

Mon citron percé perd son jus
Le sopalin est déchiré et percé
Ma règle en plastique est en bon état
Sinon tout va bien pour mes objets



3 - Enfin, une chansonnette composée comme ça, juste pour le plaisir

Mon tonton n’a pas de château
Encor moins château de Versailles
Rien qu’un pompon à son chapeau
Pompon d’ocre et sinoples pailles

Mon tonton s’en fout des châteaux
D’Espagne ou des châteaux hantés
C’est le chef des Fous à Chapeaux
Que couvrent leurs chapeaux en paix

Il s’en fout des châteaux d’Espagne
Tragiques châteaux de théâtre
Fût-il vêtu d’un simple pagne
Grandiose est son chapeau de pâtre

Distribution inusitée des rimes : croisées (strophe 1), masculines (strophe 2), féminines (strophe 3).

Navets de Bourges - 15

Navets 15

1 - Six anagrammes de la nature morte de Wessam

Cahier, Yaourt, Équerre

Où Équerre y traça hier
« Ho, que rayer à écriture ? »,
Yaourt criera que hère
héroïque y créa rature...
Cahier rétorque « Y’a rue ?
rue y errera chaotique ! »



2 - Permutations en forme de quinine sur la nature morte d’Axel

Feuille de lierre, carnet de liaison et rapporteur
Rapporteur de feuille, liaison de lierre et carnet
Carnet de rapporteur, lierre de feuille et liaison
Liaison de carnet, feuille de rapporteur et lierre
Lierre de liaison, rapporteur de carnet et feuille




3 - Portrait d’un atelier d’artistes

Je vois qu’une maquette de steamer peut devenir, du geste médité qui l’a collé vertical, la touche abstraite d’un tableau en relief.
Je sais que sous le galbe lisse de la Vénus noire, il y a des couches répétées de toile et de résine, et même des boîtes de fer blanc à la place des pleins et des creux.
Je remarque le goût de quelqu’un ici pour les lectures ou musiques, sinon subversives, du moins moqueuses de l’ordre bien-pensant, à en juger par les dessins de presse et pochettes de disques qui tapissent les valises vernies : Charlie Hebdo, Georges Brassens, etc.
J’ignore comment finiront les plannings en métal désaffectés appuyés au mur : sans doute une de ces fulgurances rythmées qui télescopent photos d’immeuble, écorce et tôle ondulée.
Je pense que la proximité d’autres plasticiens, ça stimule.
Je suis sûr que le regard riveté des visages de bric et de broc suit le vol éthéré des mobiles, que les fleurs sur toile se nourrissent de la main des Vénus.
Je me demande ce qu’il y a dans deux petits tiroirs noirs, ici : des épingles, des plombs, des rondelles, des rivets ?
Je parie que tout le monde se pose la question.
Je refuse la triviale vérité que tant de beautés restent si méconnues.
Je vois ça, tout ça.

Navets de Bourges - 14

Navets 14

1 - Gestomètre en parcourant mon quartier

Entendre le bourdon du trafic et - à quelques mètres mais où ? - une tourterelle.
Découvrir qu’un cyprès géant, jamais vu auparavant, partage perpendiculairement l’horizon au-delà de la rue.
Viser la rue suivante, la plus chic du quartier : calme, lignes de fuite exactes, régularité y compris des courbes et obliques.
Considérer les ruptures dans la perspective si longue de la dernière rue tout au fond : béton, brique, verdure, mur, maison, encore mur, porche, lierre, pignon de face, toit de profil, tout sauf la monotonie qu’on lui prête à force d’habitude.
Effleurer le mur blanc où réverbèrent le soleil et le chant de la grive ; feuillage titanesque, vent calme de mai.
Se laisser surprendre, frôler par un train au détour de la station ferroviaire, trait de sabre d’un colosse samouraï, souffle prolongé d’échos métalliques dans le rail et la caténaire.
Repérer depuis l’impasse tout ce qui fait signe ostentatoire : LIDL, 4 passages piétonniers, 4 panneaux de sens interdit, 1 "cédez la priorité", 3 feux tricolores, les lettres GI de l’enseigne GIGA, CASTORAMA en entier, une boîte aux lettres jaune, une plaque avertissant « dépôt interdit contre ce mur », les restes d’une réclame sur la brique délavée : « une tradition depuis 1866 ».
S'apercevoir au retour qu'il y a, quai de la petite station, une horloge digitale des années 80, précise à la seconde.

Caresser le mur, brique polie, joint rude, s’imaginer aveugle ; et là je ferme les yeux pour davantage entendre le cliquetis d’une chaîne, le cycliste qui crache, la ponceuse ; je sens l’ombre puis le soleil ; alors j'évalue que si aucune rue - même voisine, même jumelle - dans l’univers n’a exactement le même aspect, aucune non plus n’offrirait à ma peau la même alternance d’ombre et de lumière, à mon ouïe le même panorama d'ambiances (tableau criblé de touches végétales sourdes, touches minérales réverbérées) ; comprendre par là qu’on puisse à son insu reconnaître sa rue sans la voir, et finalement l’apprécier comme aucune autre au monde.

Mesurer l’inéluctable effet du temps sur les briques poreuses, croûtes de sang séché.
Prêter l'oreille, arrivé au petit square, à des moineaux stéréophoniques, toujours la ponceuse, un volet roulant quelque part, les hélices des mobiles éoliens du voisin le Sculpteur, une auto qui s’approche, ralentit, tourne et s’en va.



2 - Solution de la première devinette d’hier. Le haïku (3 vers de 5-7-5 syllabes) était un palindrome :

Et tel l’if serré
Il se met - tenue peu nette -
Mes lierres, fillette

… orthographe identique en lisant depuis la fin.



3 - Quant aux 4 anagrammes, c’étaient celles de « navet, linge, œil-de-vieux » bien sûr. Les mêmes 21 lettres sont présentes dans chacune de ces 5 lignes :

Navet, linge, œil-de-vieux
= Antédiluvien vélo exige
= voix liée, éventuel gadin.
= Annexe vie dilue voltige,
= vexe le vide gué lointain.

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