Le blogue de Robert Rapilly

Roubaud plagié par Mallarmé ! (et par anticipation)

(Extrait à paraître dans Les Nouvelles d'Archimède d'octobre 2008. Voir aussi sur ce blogue L'oiseau qu'on n'ouït jamais.)

peinture de Toffeur

Les poètes aiment à dire la chose, mais la nommer autrement ; n’appellent-ils prosodie la science qui s’occupe de versification, de métrique, d’accentuation, de mélodie ? Monsieur Jourdain s’y perdrait d’entendre le Maître de Philosophie enseigner que « la prosodie concerne tout ce qui n’est point prose mais vers ».

François de Malherbe, le premier en France, édicte à la charnière du XVIIe siècle des règles prosodiques stables. Chaque fois qu’ils écriront en vers, Molière et tous les autres s’y soumettront. Puis Théodore de Banville enrichit la discipline d’un Petit traité de poésie française dévolu à la seule pureté technique, ouvrage qui a trouvé lecteur assidu en Stéphane Mallarmé. L’auteur du Coup de dés, celui pour qui « la poésie doit être une rupture de toutes nos habitudes » (1) n’en souscrit pas moins aux préceptes de Malherbe et Banville. Les rares entorses mallarméennes obéissent à une nécessité supérieure, par exemple plagier par anticipation l’Oulipo dans le second quatrain de Petit air II :

Voix étrangère au bosquet
Ou par nul écho suivie,
L’oiseau qu’on n’ouït jamais
Une autre fois en la vie.

J'ai souligné les syllabes -quet et -mais. Scandale ces deux syllabes ; Malherbe et Banville exigent que les consonnes finales « riment », y compris muettes - rémanence du temps où elles étaient audibles. Parcourons nos classiques : aucun jusqu’Apollinaire ne déroge à cette survivance orthographique des prononciations révolues ; nul donc ne ferait rimer bosquette et jamaisse, surtout pas Mallarmé hanté de perfection y compris formelle. Alors, pourquoi déroger soudain, et dans ce seul quatrain ?

La réponse saute aux yeux. Reprenons la strophe d’un trait : voix étrangère au bosquet ou par nul écho suivie, l’oiseau qu’on n’ouït jamais une autre fois en la vie. Ça ne dit rien d’autre que : voici, inconnue, la rime qui ne rime pas, celle que l’on n’a jamais entendue. Limpidité conjuguée de la forme et du fond. À dessein vertigineux, Mallarmé souscrit au premier principe de Jacques Roubaud : « Un texte écrit suivant une contrainte parle de cette contrainte ».

Et Paul Bénichou (2), auditeur perspicace, perçoit ici « au lieu de multiples essais, un seul chant, décisif et fatal ».

(1) Gaston Bachelard, « Le droit de rêver », PUF 1970
(2) « Selon Mallarmé », Gallimard 1995

Qu'est-ce qu'un poème radio-yaourt ?

Voulez-vous savoir ce qu’est un poème radio-yaourt ?
À supposer que oui, un poème radio-yaourt s’écrit en écoutant à la radio une langue totalement inconnue.
D’abord on pêche des fragments de discours puis, par homophonie, on les assimile à sa langue maternelle.
Notez la distinction d’avec le chant yaourt traditionnel, qui consiste à contrefaire une langue donnée par simples onomatopées.
À l’heure où j’écris ces lignes, une chanson africaine accompagnée à la kora glisse sur les ondes ; du refrain j’entends :
Aboie la mort, allez
elle aboie la mort !
... quand probablement les choristes disent tout autre chose ; quand, aussi probablement, vous auriez entendu autre chose encore.
Parenthèse relative à l'inconscient qui cause : au lieu de transcrire soi-même le poème radio-yaourt, on peut le dicter à son psychanalyste ; il suffira d’allumer le poste à côté du divan.
Une variante s’appelle le poème radio-yaourt allégé, l’homophonie s’appliquant à une langue étrangère maîtrisée peu ou prou ; exemple :
It's a long way to Tipperary,
it's au long way to go.
devenant :
Est-ce un Anglais le p’tit père Henri,
est-ce un Anglais poulbot ?
etc. ad lib.
Précision enfin, le poème radio-yaourt peut se pratiquer à plusieurs, jeu de société garanti plaisant.
À vous de jouer.

PS - Papa Moustique pratique la retranscription yaourt du babil de Raoul, 1 an. Il m'écrit : « Le raoulien est une langue étonnante. Ainsi, Barack Obama imbécile, nous a déclaré le bambin hier. »

En ultra pâle la part Lune

Si ma pardi divine vis
S'ulcère du rude reclus
Si Veni Vidi drapa Miss,

Troc. Calice tonne ici plus
Trop partial épelait rapport
Sulpicien noté cil accort

Scénario m'évida la mer
César et curé le Pater
Retapé l'éructera sec
Ré maladive moira nec...

Ce vaste mutant élu ver
Ce lama-là saute super !
Crépu se tua salamalec
Revu l’Etna tu mets avec

(sonnet à l'envers avec des mots latins ; les strophes sont palindromes ; le palindrome du second tercet déborde d'une lettre - S - sur les strophes précédente et suivante)

Autre sonnet ; les vers cette fois sont palindromes ; il arrive qu'une lettre soit rejetée au vers voisin :

Mi crémeux est sexué merci
Me madérise Sire, dame !
De mal cerné tôt en réclame
D’Issu-Ersatz t'as réussi

Lis réputé fétu persil
Émane d’élu l’Éden âme
N'emmagasina ni sa gamme
Ni cinémas. Amen ici

L'arène gava générale
La reine rêve renier ale
Noise là même ma lésion

S'évita de si sédatives
Noix en noce de connexion
Sévisse l’ânon à lessives !

Avis de recherche de guirlande de kermesse

Sarah D' envoie un courriel à ses amis. Elle cherche à qui elle a prêté sa guirlande de kermesse, « vous savez bien, les guirlandes vertes avec les petites ampoules multicolores pour les fêtes d'école, les bals, les repas en plein air, etc. » J'ignore où se trouve sa guirlande ; en attendant, un p'tit poème pourrait la consoler.

La guirlande de kermesse
aux mil lampions, tu la sèmes...
L'as-tu perdue à la messe,
dimanche gris sur Wazemmes ?

La kermesse sans guirlande
ferait comme un bal sans danse,
comme des ajoncs sans lande,
un banquet rien dans la panse.

Coins si denses (sonnet involontaire)

Je suis triplement ponté.
Je lis Trois pontes de JJ, d’après Trois contes.
Je décroche le téléphone à l’appel de la Jardinière qui annonce de Pirou « Tante Simone est morte » dont la vie normande, le deuil insoutenable du fils mais la foi terrienne perpétuaient la Félicité de Flaubert.
Je me souviens, seul invité d’un repas en semaine chez elle, du pain béni à la pointe du couteau.

Je marche sur le trottoir d’Hellemmes, banlieue commode où il n’y a que deux pas du tabac au salon funéraire.
Je dépasse à mi-distance des deux établissements un homme allongé que massent à tour de rôle des pompiers exténués.
Je vois des jambes inertes, mollets bleus sous l’ourlet du pantalon.
Je croise quelques mètres plus loin une gamine qui sautille, dix ans peut-être, longs cheveux blonds, vêtue de noir : serre-tête, chemisier, jupe, chaussettes - un autre deuil, entamé celui-là -, tout en noir aussi la petite sœur et la mère qui suivent.

Je rattrape presque un jeune homme à casquette, père déjà ou oncle à la vingtaine, un couffin tout neuf encore emballé à la main, et il me manque de le rejoindre tout à fait avant la bouche de métro, lui dire la gloire de naître.
Je revois le fatal Concours de circonstances, tableau de Christian Zeimert dans un catalogue rétrospectif chez JJ.
Je raconte ma promenade au même JJ, second appel téléphonique du jour à la maison.

Je médite aux coïncidences, qui d’ordinaire étonnent, en objectant que la vigilance poétique en action décèle tant de détails (sensitifs, mnésiques, lexicaux, numériques...) que l’étonnant serait de n’y point trouver de coïncidences.
J’entends JJ, surtout pas superstitieux, répondre néanmoins « Ne sors plus aujourd’hui ! », eh bien d’accord.
Je relis en comptant, ça tombe sans préméditation que voici le quatorzième vers d’un sonnet achevé.

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