(Extrait à paraître dans Les Nouvelles d'Archimède d'octobre 2008. Voir aussi sur ce blogue L'oiseau qu'on n'ouït jamais.)

peinture de Toffeur

Les poètes aiment à dire la chose, mais la nommer autrement ; n’appellent-ils prosodie la science qui s’occupe de versification, de métrique, d’accentuation, de mélodie ? Monsieur Jourdain s’y perdrait d’entendre le Maître de Philosophie enseigner que « la prosodie concerne tout ce qui n’est point prose mais vers ».

François de Malherbe, le premier en France, édicte à la charnière du XVIIe siècle des règles prosodiques stables. Chaque fois qu’ils écriront en vers, Molière et tous les autres s’y soumettront. Puis Théodore de Banville enrichit la discipline d’un Petit traité de poésie française dévolu à la seule pureté technique, ouvrage qui a trouvé lecteur assidu en Stéphane Mallarmé. L’auteur du Coup de dés, celui pour qui « la poésie doit être une rupture de toutes nos habitudes » (1) n’en souscrit pas moins aux préceptes de Malherbe et Banville. Les rares entorses mallarméennes obéissent à une nécessité supérieure, par exemple plagier par anticipation l’Oulipo dans le second quatrain de Petit air II :

Voix étrangère au bosquet
Ou par nul écho suivie,
L’oiseau qu’on n’ouït jamais
Une autre fois en la vie.

J'ai souligné les syllabes -quet et -mais. Scandale ces deux syllabes ; Malherbe et Banville exigent que les consonnes finales « riment », y compris muettes - rémanence du temps où elles étaient audibles. Parcourons nos classiques : aucun jusqu’Apollinaire ne déroge à cette survivance orthographique des prononciations révolues ; nul donc ne ferait rimer bosquette et jamaisse, surtout pas Mallarmé hanté de perfection y compris formelle. Alors, pourquoi déroger soudain, et dans ce seul quatrain ?

La réponse saute aux yeux. Reprenons la strophe d’un trait : voix étrangère au bosquet ou par nul écho suivie, l’oiseau qu’on n’ouït jamais une autre fois en la vie. Ça ne dit rien d’autre que : voici, inconnue, la rime qui ne rime pas, celle que l’on n’a jamais entendue. Limpidité conjuguée de la forme et du fond. À dessein vertigineux, Mallarmé souscrit au premier principe de Jacques Roubaud : « Un texte écrit suivant une contrainte parle de cette contrainte ».

Et Paul Bénichou (2), auditeur perspicace, perçoit ici « au lieu de multiples essais, un seul chant, décisif et fatal ».

(1) Gaston Bachelard, « Le droit de rêver », PUF 1970
(2) « Selon Mallarmé », Gallimard 1995