À supposer qu'on me demande comme ça sans prévenir ce que j'ai fait (va savoir ça peut arriver), je répondrais peut-être que longtemps j'ai déligné, scié, fendu, refendu, dégauchi et raboté, repéré, tracé, trusquiné, mesuré, arasé, toupillé, rainuré, mouluré, tenonné et mortaisé, ajusté, chantourné, râpé, encollé, serré, chevillé, poncé, ciré et verni de bonne heure des plateaux, des planches, des bastings, des madriers, des grumes, des rondins de bois ni vert ni mort, ni d'aubier ni de cœur, bois de chêne, de hêtre, de frêne et même d'orme avant la maladie, pin du nord, acajou et sipo, essences de vastes latitudes et toutes longitudes, avec des scies à ruban, circulaire, à cadre ou égoïne, avec un mètre, une équerre, un té, une pointe et un crayon, des ciseaux, des bédanes, un valet d'établi, un maillet, un marteau, un pinceau, des lames, des fers, des fraises et les autres outils et machines de menuiserie, avec aussi en tête la question obsédante - corollaire d'un coup d'œil millimétrique, à l'affût d'une vision microscopique, sinon moléculaire - de la frontière entre future porte, table promise, tabouret potentiel, boîte secrète, xylophone géant, cheval à bascule, choses bientôt permanentes et positivement considérées, certaines patinées un jour lointain, et là tout autour, au sol, aux murs, dans les plis de la blouse, entre les cheveux jusqu'au cuir, au fond des narines et sous les ongles : la poussière, la sciure, les copeaux, l'occasionnelle écharde, la planche martyre, les chutes et scories au mieux bois de chauffage, les rebuts, les remords, les ratés.


(phrase paragraphe d'abord sans nom ni adjectif puis sans verbe)