Le blogue de Robert Rapilly

Prince le Ténébreux

Prince le ténébreux, le veuf, l’inconsolé
crie : Aquitaine astrale ! Arche ! Tour abolie !
Il a seul, ô courage en son luth constellé,
dirigé le soleil oint de Mélancolie.

Dans une obscurité sous caveau consolé,
un oculus y fouine, et la mer d’Italie
floute l’âme d’opale en l’azur désolé ;
ce vin au piqué gris à la rose s’allie.

Phébus, aède cool, s’inspire de Biron ;
son air est l’Idéal d’ode vague et de reine.
Brave élan à louer, surnage la sirène.

Foi qu’Éole aide Éloi, traverse l’Achéron,
clame ses gazouillis ouïs d’échos d’Orphée :
sa douleur au cri doux soûle démon ou fée.

D'après Gilles Esposito-Farèse, cette réécriture en 2 x 222 lettres du Desdichado de Nerval est un anti-palindrome vocalo-consonantique, contrainte renforcée par rapport à un exemple précédent. Si la n-ième lettre est une consonne, la n-ième partant de la fin est une voyelle ; réciproquement.



Sonnet 504 —

Suis-je l’as ténébreux, veuf pis qu’inconsolé,
un prince d’Aquitaine à tour blanche abolie ?
Seul mon astre mourut et mon luth constellé
porte le soleil black presque à Mélancolie.

Au profond du tombeau, seul qui m’eût consolé
rendra le Pausilippe et trois mers d’Italie ;
son bouquet souriant pour mon cœur désolé
ou ce vin dont la vigne aux sept roses s’allie.

Fus-je Amour ou Phébus ? Lords : Lusignan, Biron... ?
Ma face est rose encor du baiser par la reine ;
je rêve dans la grotte où baignait la sirène.

Car j’ai, triomphateur, franchi sec l’Achéron,
m’ondulant zeste zist sur les lyres d’Orphée
le soupir de la sainte et les cris, pour la fée.

Un autre anti-palindrome (la n-ième lettre en partant du début diffère de la n-ième en partant de la fin), où les hémistiches mesurent tous 18 lettres. La gématrie 6048 est divisible sans décimale par 14 (nombre de vers), par 36 (nombre de colonnes), par 504 (nombre de lettres). Le poids moyen par lettre = 12, celui de la lettre L.

    Suisjelasténébreux    veufpisquinconsolé
    UnprincedAquitaine    àtourblancheabolie
    Seulmonastremourut    etmonluthconstellé
    Portelesoleilblack    presqueàMélancolie

    Auprofonddutombeau    seulquimeûtconsolé
    RendralePausilippe    ettroismersdItalie
    Sonbouquetsouriant    pourmoncoeurdésolé
    Oucevindontlavigne    auxseptrosessallie

    FusjeAmourouPhébus    lordsLusignanBiron
    Mafaceestroseencor    dubaiserparlareine
    Jerêvedanslagrotte    oùbaignaitlasirène

    Carjaitriomphateur    franchiseclAchéron
    Mondulantzestezist    surleslyresdOrphée
    Lesoupirdelasainte    etlescrispourlafée

Busards

Braconné,
moissonné,
le vol contrarié
du busard cendré

Ce titre joliment rythmé d’un article de Reporterre a donné son nom à une forme poétique inventée par Nicolas Graner, le busard, quatrain de 3/3/5/5 syllabes sur une seule rime.




Doubles busards puisés dans deux sonnets de Mallarmé :

Aujourd’hui
n’a pas fui,
magnifique qui
resplendit d’ennui.

Coup d’aile ivre
sous le givre,
chanter ne délivre,
nul espoir où vivre.

Une nixe
pleure au Styx,
le cadre se fixe
au salon : nul ptyx.

Pas d’amphore,
le décor
de néant s’honore,
sitôt septuor.

D'après L'Invitation au Voyage de Baudelaire :

Assouvir
Ton désir
Aimer à loisir
Aimer et mourir

Une catégorie de busards pourrait s’apparenter aux ouïseaunets selon deux critères. Il y serait question d’oiseaux, et les rimes "fautives" seraient privilégiées :

Blood and sweat !
où se vêtent
de blanc les mouettes,
gentille alouette ?




Nota bene — Certains busards protéonets pourront se métamorphoser sans grosse difficulté en forme de gabarit voisin, par exemple en 7-1-9 ou en haïku :

Une nixe
Pleure au Styx
Vide, un cadre fixe
Au salon, nul ptyx

Une nixe pleure au Styx
Vide
Un cadre fixe au salon — nul ptyx

Une nixe pleure
Au Styx vide, un cadre fixe
Au salon, nul ptyx

Boileau vs Horace

Les contraintes ci-après invoquant Boileau puis Horace ont été simultanément explorées, mais de manière bien plus exhaustive par Gilles Esposito-Farèse.

I — Nicolas Boileau dans L'Art poétique réfute "qu'un mot déjà mis osât s'y remontrer". Imaginons pousser cette injonction jusqu'aux mots-outils : déterminants, prépositions, conjonctions, interjections... Un poète nous facilite le travail, Mallarmé, tant il accorde attention à enrichir le texte de mots différents, à doter les mots-outils d’extrême précision.

1/ Salut à peine retouché :

Adieu —

Rien, cette écume, vierge vers
à dissimuler fors en coupe ;
telle loin se noie une troupe :
sirènes, mainte vue envers.

Nous naviguons — hello ! divers
amis —, moi déjà sur la poupe,
vous avant fastueux qui coupe
houles et foudroyants hivers.

Quelle ivresse belle m’engage
sans craindre même son tangage
apportant debout mon salut

solitude, récif, étoile
pour n’importe si ça valut
au blanc souci de notre toile.

2/ D'après le Sonnet en X :

Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
angoissé ce minuit soutient, lampadophore,
maint rêve vespéral consumé du phénix
que ne recueille pas de cinéraire amphore

sur les crédences — quel salon vide ? —, nul ptyx,
aboli bibelot d’inanité sonore,
(car, maître, il dut aller puiser des pleurs, ô Styx,
avec pour seul objet : où son néant s’honore !)

mais proche la croisée au nord vacante, un or
agonise selon peut-être tel décor
moult licornes ruant en feu contre une nixe,

elle, défunte nue ici mirée, encor
que, dans l’oubli fermé par tout cadre, se fixe
sous scintillations sitôt le septuor.

NB — On a ci-dessus toléré la présence simultanée de "d’ & de", "l’ & le", "s’ & se" = chaque fois le même mot mais avec deux graphies distinctes.
Le "que" de la locution conjonctive "encor que" (entre les vers 12 et 13) ne double pas le "que" du vers 4, pronom relatif.

3/ Petit Air II commettant des fautes systématiques de liaison supposée à la rime, partout des pluriels avec des singuliers... excepté vers 5 et 7, là où Mallarmé avait intentionnellement mis "bosquet" et "jamais" en mots-rimes :

Indomptablement ont dû
Comme espoir où je m’y lance
Éclater sous ciels perdus
Avec furie et silences

Voix étranges aux buissons
Ou par nul écho suivies,
D’ornithologiques sons
Toute autre fois en la vie.

Quels hagards musiciens,
Cela dans leur doute expire
Si de mon sein pas du sien
Jaillissaient les sanglots pires

Déchirés vont-ils entiers
Rester sur quelque sentier !

4/ Variante à partir du même sonnet. Cette fois, sauf aux vers 5 et 7 où la rime de "bosquets" avec "aguets" est académique (à nouveau en contradiction de l’entorse volontaire de Mallarmé), la faute permanente des autres rimes est double : masculin avec féminin, singulier avec pluriel ; la contrainte de Boileau est également tenue, nul mot n’apparaît plus d’une fois :

Indomptablement n’ont dû,
Comme mon espoir s’y lance,
Éclater là-haut perdues
Avec furie et pollens

Voix étranges des bosquets
Par aucun écho suivies :
Ces grives tout aux aguets
Nulle autre fois sans envi.

Maint hagard musicien,
Cela dans le doute expire
Si d’oreilles non pas siennes
Pousse une âme ses soupirs :

Déchirure, est-elle entière
Restée en quelques sentiers !

5/ Le même sonnet, cette fois lipogramme en E. On reste fidèle à l’exception calculée de Mallarmé : vers 5 et 7 la rime "buissons" et "song" est fautive. Le "qu'" de "qu'on tait" (vers 4) et celui de "Pour qu'alors" (vers 13) seront considérés comme 2 mots distincts de par une nature différente, l'un pronom relatif et l'autre locution conjonctive :

Air succinct —

Aucun dominant n’a dû
Quand s’y lança mon souhait
Jaillir là-haut morfondu,
Ouragan pourtant qu’on tait

Par voix d’inconnus buissons,
Sinon miroitant du bruit
Sans piaf dont ouïr nul song,
Nonobstant hasard fortuit.

Hagard façon troubadour
Fluctuant parmi moult flots,
Si hors son for — pas autour —
Ont sailli cris ou sanglots

Pour qu’alors quasi-haillon
Aboutît sur un layon.




II — "Bis repetita placent" : d'après l'Ars Poetica d'Horace, maxime latine selon laquelle "deux fois les choses répétées plaisent". L'oulipote Rémi Schulz a suggéré d'appeler "contrainte d'Horace" celle imposant que tous les mots d'un texte apparaissent deux fois, pas plus, pas moins. Il est commode d'écrire un palindrome de mots pour y arriver sans risque d'erreur.
Signé d'Alain Chevrier, un précédent intitulé "Menu symétrique" figure dans le n°4 de la Bibliothèque Liste-Oulipienne.

1/ Sonnet à non-rimes masculines :

Envers l’à-propos, tenons-nous
bien pour mener tel va-et-vient
moins au terme ? Quel risque alors
abouti serait disparu ?

Avoir d’ordre tout retourné :
ainsi, vers ces coupes tu vois
répétition chaque mot,
mot chaque répétition.

Vois : tu coupes ces vers ; ainsi
retourné, tout ordre d’avoir
disparu serait abouti.

Alors, risque quel terme au moins
vient et va tel mener pour bien ;
nous tenons propos à l’envers.

2/ D'après El Desdichado :

Fée ou ténébreux cri, dit-on qu’inconsolé
Orphée arme Aquitaine en enceinte abolie.
L’Achéron astral mort voyageant constellé,
Sirène ancrons soleil noir et mélancolie.

Reine encor ! D’Oc rougit tombeau du Consolé.
Biron accostait Oïl, océane Italie ;
Élie inverse fleur à pampre désolé.
Seul ! seul désolé pampre à fleur inverse : Élie.

Italie océane, Oïl accostait Biron.
Consolé du tombeau, rougit Oc d’encor reine...
Mélancolie et noir soleil, ancrons sirène.

Constellé voyageant ? Mort astral ? Achéron !
L’abolie enceinte en Aquitaine arme Orphée,
inconsolé qu’on dit cri ténébreux ou fée.

Et pour quelques ouïseaunets de plus...

Façon d'exaspérer Nicolas Boileau ou Théodore de Banville, les entorses seront doubles en cet ouïseaunet à vers homophones, où les rimes associent à la fois singulier & pluriel, masculin & féminin.

L’oiseau vit par
lois ovipares :
songe et nid
sont génies.

Le sonnet suivant aligne trois ouïseaunets et demi qui varient les fautes prosodiques : le premier déroge à la règle de la liaison supposée, le deuxième se conforme comme un bon élève aux rimes classiques, mais aussitôt le troisième enfreint à la fois le genre et le nombre, et la strophe de chute associe féminin et masculin. Les couples de vers se succèdent quasi homophones, y compris le distique final en 4 et 3 syllabes, diérèse à "ou-ïe" pour synérèse à "oui".

Homard, mit-on
aux marmitons
dix rondelles
d’hirondelle ?

Hé ! lapin, son
aile à pinson
vaut l’attelle.
Vola-t-elle ?

Vois : le dépit
voile des pies
qu’on traçait
contrastées.

C’est l’oie ouïe ?
Ses lois, oui !



Gavées de céréales et fleurs, plus question d’imposer un régime à tes colombes (strophe 1), fier hobereau anglo-normand dont le camaïeu du bibelot s’échange au prix du blé... si ne le chipent des passereaux chapardeurs (strophe 2) à l’origine d’édits félons donnant ta colombe pour sale rongeur, voire pour colvert décoloré dont on prétendra que la bande à Bonnot le fume (strophe 3).

Dans l'esprit où Raymond Roussel a écrit certains de ses livres, ci-dessus l'ébauche d'un conte déduit non de l'imagination, mais de trois ouïseaunets dont les vers homophones font double entorse au genre et au nombre des rimes :

Épis, jonquilles
et pigeons qui
t’en picorent...
tant pis corps !

Lord-Duc, ah mais
l’or du camée
vaut l’épi ?
Volez pies !

Lois scélérates :
l’oiselle est rat,
canard gris
qu’anars grillent.



Refoulant un fatras d'échassiers et de parasites, d’hémoglobine et d’aubépine, le tout acculé à des porches, le dieu du vent a délivré l’oracle (strophe 1) : « Ô gentil blason aquilin, ta céréale aux chlorures de sodium teinterait-elle d'indigo mes ciels multiples ? » (strophe 2)

... soit un autre scénario inspiré des méthodes de Raymond Roussel. La mécanique d’un procédé littéraire ultra contraint (ouïseaunets à vers homophones dérogeant doublement au genre et au nombre des rimes) y régit rebondissements et apparition de protagonistes que l'imagination serait en peine d'inventer, à moins de s'appeler Luis Buñuel ?

Poussant hérons,
poux, sang et ronce
par les halls,
parle Éole :

« Douce aigle, est-ce elle
d’où seigle et sels
m’y lasurent
mil azurs ? »



Enfin douze ouïseaunets normaux, sauf la richesse excessive des rimes. Chaque strophe peut être prise pour résumé d'un épisode rocambolesque à développer sans frein — cf. plus haut les recettes de Raymond Roussel...

Vingt exocets
vont t’exaucer
si dix Perses
s’y dispersent.

Ma thérapie
matera pies,
épi, jonc
et pigeons.

Parlez, moineaux,
par l’émoi nô
qui déchaîne
gui des chênes !

Levant frégates,
le vent frais gâte
l’orme où sont
leurs moussons.

En accords beaux
on a Corbeau,
poème, arbre,
Poe et marbres.

Nouveau ramage :
nous, vos Rois Mages,
le pigeons,
le pigeon.

Si querellez
ce cœur ailé,
mal y êtes
Maliette.

De quoi s’écrivent
Ducasse et grives ?
Mal d’or hors
Maldoror.

L’écho — hélant
les goélands —
sonne aux larmes
son alarme.

Ô lac, ô quilles,
ô la coquille !
Dizzy bout
dix hiboux.

Lacan nomma
la cane aux mâts
d’onde et signe :
don des cygnes.
Ode aux canards :
« Ô docte anar,
on se marre
en ces mares ! »



Post-scriptum :

Popes moujiks,
euh... pop-music
d’Ivan ; pire :
dix vampires.



Épilogue en survol synthétique de la linguistique structuraliste :

« Geais de Saussure,
j’ai deux chaussures,
Ferdinand !
Fiers dînons
où l’acte est signe :
au Lac des Cygnes
subclaquants »
sut Lacan.

Mors morse

Accent et son de cors
Croyez-vous que le lise
Voie en couleurs et grise
En hoquetant le mors

Combien pèse leur dos
Qui les serre les vise
Ces bouquets sont en guise
De druidisme pour pros

Les rimes féminines de ces quatrains sont embrassées par les masculines, ordre que l’on peut inverser sans rien changer sauf à faire glisser les -e finals : "cors" devient "corse" quand "lise" devient "lis", etc.

Accent et son de Corse
Croyez-vous que le lis
Voie en couleurs et gris
En hoquetant le morse

Combien pèse leur dose
Qui les serre les vis
Ces bouquets sont en guis
De druidisme pour prose

Maliettes

Plusieurs réécritures des "mœurs des maliettes", oiseau imaginaire dans L'Arrache-cœur de Boris Vian, Oulipien de l'année 2025 chez Zazie Mode d'Emploi.




La Maliette en soi —

La maliette ulule un air comme il lui sied,
elle ne mange pas la mûre blanche et molle
d’où s’imprègne l’effluve en sa gorge à corolle.
La maliette au for patient et douillet

ne picore aucun fruit, car si le bruit brouillait
l’accord tout d’harmonie alors qu’elle s’envole,
elle mourrait au son palpitant du symbole,
sinistre octave et morne idéal inquiet.

Esquissant ses atours, duvet couleur de suie
dont on fait une eau-forte, un fertile burin
cisèle élégamment d’un trait son œil de lune…

Mais meurt la maliette à moins qu’elle ne fuie :
en elle nul boyau, ce corps n’enrobe rien
qu’un cœur pourquoi sans fin la maliette ulule.

Sonnet, d'après Les Vers à soie de Jacques Roubaud.




La Malieta —

Je suis la maliette à cœur vif et fragile
qui pince — occulte graine et contour du secret
où se dévoile en sorte un burin si fertile —
l’orbe encre caviar pour un autoportrait.

Dégarnir un chapeau, cette scène mutile
la suie ornant mon frac, qu’alors déchirerait
la peur d’un dos tourné, cause à vos yeux futile
mais dont sommeille l’ombre en morose forêt.

Las, qui m’étudiera ?... Qui saura me décrire ?
Mon poitrail rouge est corps de petite souris ;
j’ai gravé sous eau-forte une page de cris...

Je n’ai de foie au torse accroché, rien n’y gire
ondulant, fors le cœur, loge à spirituals
quand d’autres animaux n’ont qu’organes banals.

Un autre sonnet, d'après El Desdichado de Gérard de Nerval.




La Légende des Maliettes —

Jacquemort, bon docteur d’ornitho-dysphorie,
soigne en Cocagne un piaf au cœur triste, il s’écrie :
« Rond chapeau ! Rond chapeau ! Que ne le garde-t-on
sur nos cheveux trop blancs : la mort est sans pardon
pour la Doulce des Airs, la maliette ailée.
Elle a peur de nos fronts et s’enfuit accablée. »
Alors le toubib grave avec pointe et burin
le corps blessé qui clamse au maudit galurin,
au vil coucher qui tombe, aux bruits de nuit vilaine.
L’oiseau n’a de repos qu’occis, ô cantilène !?

Le psychiatre en vient à l’éros enfoui
qu’un doigt clinicien pointe, au risque inouï
que meure, comme on meurt par abus de souffrance,
la maliette : enjeu des experts de la transe,
défi d’animaliers qui n’ont pas quatre bras
et manquent, car trop lents, le poitrail rouge et ras,
le cou, les cris légers, l’effroi sur le plumage,
l’impalpable frisson dont s’écoute une image...
enfin ce cœur bombé qui se tienne en dedans
sans organes banals autres d’êtres vivants.

Réécriture en assonances des 2 premières strophes d’Aymerillot.




Sélénets de la Maliette —

Mœurs des maliettes,
lisons Jacquemort,
ses notes expertes
sur un gros support.

Il confie un livre
en riches papiers
au burin fertile
d’as animaliers.

Oiselle en eau-forte,
un jeu de couleurs
savamment rapporte
l’ordre de ses mœurs.

Ça fait d’en prendre une
pis qu’épouvantail,
pique à l’œil de lune,
au rouge poitrail.

S’il faut qu’elle fuie
de vie à trépas
en robe de suie,
n’hésitera pas.

Par chansons et fables
ses traits sont décrits,
plumes impalpables
et cris de souris.

Sujet de martyre,
lui tourner le dos,
ou si l’on retire
bérets et chapeaux,

ou qu’on la regarde
un peu trop longtemps...
survient la camarde
à peine d’instants.

La nuit n’est pas tendre
ni déjà le soir,
leur souffle à s’entendre
étouffe l’espoir.

Maliette à huppe,
fragile pourquoi ?
Tout un cœur l’occupe
sous frêle paroi.




Nox maliatarum —

« Nox maliatarum » s’avisa Jacquamarcq
— son latin copiait Buffon, Darwin, Lamarck...
Qui, pour approfondir mon imparfait savoir ?
Par quoi, maliata, m’instruirait-on t’y voir,
sauf dans un folio tout d’illustrations
sous un burin rompu rainurant mil sillons
par la main d’un Franz Marc ou d’un Fantin-Latour ?
Ô toi, maliata, tant à la nuit qu’au jour,
si jamais l’on fixait ton iris lilial ;
ou frôlait l’obscur khôl autour ton roux poitrail ;
à moins qu’un pavillon n’ait ouï d’aigus cris
— ta voix sur nos tympans imitant la souris —...
tu mourrais au contact d’un doigt ou d’un fanon ;
sans raison tu mourrais pour un oui pour un non,
pour un galurin bas, pour un ris, un chagrin,
pour un couchant hâtif, tu mourrais pour un grain !
Tu n’as, maliata, saisissant animal,
fors ton gros palpitant aucun boyau banal.

Ce poème dresse le constat de notre nuit d'ignorance quant aux maliettes ("nox maliatarum" en latin certifié) et à leurs œufs disparus.




Maliette vs pinsonogryve —

1) Maliette décollant sur coussin d’air —

Mœurs des maliettes se dit Chakemort. Les étudiera-t-on ? Saura-t-on les décrire ? Mieux vaudrait un énorme livre sur vélin couché illustré de ciselures en couleurs : celles dues au burin virtuose de nos meilleurs animaliers. Maliettes ô maliettes on devrait creuser vos mœurs ! Mais las d’une occasion où saisir une maliette — bel oiseau couleur de suie au torse roux et à l’œil de lune et aux cris subtils de minuscule souris. Maliette tu mourras si l’on touche de l’index le moins lourd ton duvet éthéré — ou tu meurs à la moindre cause si l’on t’observe à l’excès ou si l’on rit en te détaillant ou si l’on te tourne le dos ou si l’on enlève son béret — ou encore si la nuit s’entend et si le soir tombe très tôt. Maliette subtile et tendre : toi dont le cœur se tient à l’intérieur de tout ton volume — là où les autres bêtes recèlent des viscères banals.

Boris Vian - L’Arrache-cœur - 1953
Volet XXI - 28 octembre

2) pinsonogryve piégée sous un appeau —

mœurs pinsonogryvesques, pensa jacquemoy : qui pour évoquer, qui pour examiner...

ça exigera un gros corpus sur papier premium, épreuves imagées en nuances copiées au crayon ingénieux par nos as graveurs.

pinsonogryve, personne ne creuse ses mœurs ; mais pis, personne jamais pour en agripper une, pinsonogryve imprégnée en suie, à gorge rouge, aux yeux vénusiens, aux cris comme pépie une souris...

pinsonogryves qui mourez si on pose sur vos pennages aériens un pouce ou un majeur vaporeux ; qui mourez pour une cause mineure ; qui mourez si, sous nos yeux, on vous vise sans une pause, ou on rie à vous voir, ou on vous esquive ; ou encore on range son casque, ou on oie une sorgue ; qui mourez aussi si un soir exagère son arrivée précoce.

pinsonogryve exquise, gracieuse avec un cœur qui occupe, en son giron, un copieux espace, çui où quiconque oiseau a réservé séjour aux organes prosaïques.

joris vian, un coupe-cœur
passage seizun, cinquonze januin

1) Lipogramme en f, g, j, p, q, y et z (les lettres à jambage en écriture manuscrite) ; absence de virgules, points-virgules et de tout signe ou fragment typographique qui dépasserait l’interligne par le bas.

2) Lipogramme en b, d, f, h, k, l et t (les lettres à hampes en écriture manuscrite) ; absence de capitales, de points d’exclamation ou d’interrogation, de tout signe ou fragment typographique qui dépasserait l’interligne par le haut — sauf les accents divers et points sur les i et les j.




Maliette éteinte tintamarre marabout —

1) Marabout mot à mot : la dernière syllabe de chaque mot = la première du mot suivant :

Maliette étrange, angélique icône
connaissance sensitive, ivresse resplendie
discret crescendo d’autrui

Druidesse d’esprit primal
maliette étudiée diététiquement, mandée dégrossie
aussi siffler l’écrit rituel tuait l’ailette létale

Tallipot possessif siphonné
nénuphar pharaonique
Icare caracolant l’envoi, voilà l’animal maliette

Étourdi d’idées déjà Jaquemort moribond bondira râblé
blessure, surplus, plumes, luminescence
Samson sondé découpe ou pas

Papier, piédestal alangui guidé
délicat cadeau d’eau-forte horticole collant l’entrechat
chapeau positionné néfaste

Astucieusement, mentionna Naja
Jaquemort morcelant l’entendu duodénum
nomma maliette l’hyétométrie

Triplant l’encart cardiologique
icône conique nyctalope :
l’Optimale Maliette




2) Marabout trisyllabique : A-B-C / C-D-E / E-F-G / G-H-I / etc. (diérèse légitime à "ma-li-ette", synérèse abusive à "hié-ro-glyphe") :

Maliette,
yeah ! tu casses
qu’As de Cœur
querellât
l’animal...

Mal t’en prit,
prisonnière
hérissée :
s’écoula
la vie fauve
au vaudou
d’où ton sang
s’embruma.

Maliette
étudiée
d’hiéroglyphe
hivernal,
n’allumons
mon chapeau
polémique !

Michel-Ange,
l’engin plane,
l’anormal
mal d’eau-forte
horticole
colle aux doigts.

Doit-on dire
d’iriser
ses organes ?

Gagnes-tu,
tube aqueux,
que le cœur
querelleur
leurre au lac
lacrymal ?

Maliette
es-tu morte
hors tempo
poétique ?

Icare oui :
où hisser
ses traumas,
maliette !

La Disparition avant-propos rimant

L'avant-propos de La disparition est accessible en ligne, précédé d'un sonnet d'alexandrins en 11 syllabes (sic) de Jacques Roubaud et suivi d'une douzaine de pages du premier chapitre. J'en ai ci-après assez librement versifié le tout début, voyelle E disparue va sans dire — brouillon sujet à de fréquentes et sensibles modifications jusqu'à nouvel avis.

La nouveauté ici, à la suite des réécritures dans "La disparition" de Mallarmé, Rimbaud, Baudelaire ou Hugo, sera dans la prosodie, fidèle à l'époque de ces poètes — ce dont Perec s’est joyeusement dispensé, avec l’assentiment probable de son complice Marcel Bénabou. Par exemple la terminaison "-ion" compte pour diérèse, l'hiatus sera proscrit, on veillera à la liaison supposée (ou "rime pour l'œil"... qu'il vaudrait mieux nommer "pour l'oreille baroque", le 19e siècle faisant encore comme si la consonne finale était audible), etc.

On trouvera en bas de cette page davantage de détails techniques relatifs à cet état provisoire du texte.







I — Chant introductif / Un piaf qu'on n'ouït jamais -

Vaillant sans faiblir a dû
Quand mon souhait s’y lança
Jaillir l’ostinato tu,
Fracas ici, motus çà :

Cri toujours loin du buisson
Ou suivi par nul phono,
Piaf qu’à jamais nous n’oyions
La nuit ni d’a giorno.




II — Tripla Rima -

Lisons l’avant-propos d’où l'on apprit plus tard
qu’un bruit s’inaugurait, d’abord pris pour un faux :
hou ! la Damnation nous assignait rancard.

Ô marins au compas pointant trois cardinaux !
Politicards soumis au trust anglo-saxon !
Tous l’auront fait savoir par flashs aux radios...

Buzz insignifiant ? Intox à la flonflon,
ou risquait-on la mort ? L’info sur maints placards
affichait mil martyrs par inanition.

L’opinion suivit, qui lors invoquant Mars
s’arma d’un gourdin fort, balança son grappin
aux portails, aux parois, aux murs, aux huis d’hangars.

Tout un pays hurlait : — Argh ! nous voulons du pain !
On conspuait patrons, nantis, pouvoir publics...
chacun pour soi, qu’on fût franc-maçon ou rabbin.

Qui maraudait la nuit ? À coup sûr aucuns flics,
trop craintifs d’un contact aux pillards du frigo
bâfrant du cachalot — l’ord gang à Body Mick’s.

Ça conspirait partout ; titan, troll, virago
furax ont mis la main sur Mâcon, sur Pirou,
puis sur Rocamadour, Clignancourt, Monaco...

Glouton du bon plaisir, brutal, pillait-on prou
du thon, du chocolat, du maïs, du curry :
frichtis subtils ad hoc aux crocs d’un loup-garou.

Par kilos, par quintaux... si ç’avait l’air pourri,
haro sur toi, marchand idiot ou fautif,
car nous guillotinons, clouons au pilori !

Un slogan foisonnait : — Foin d’administratif.
Il s’agissait, dit-on, d’abolir tout pouvoir ;
on vous aurait tondu nonobstant sans nul tif.

Au mitan d’un rond-point — titrait un blog du soir —,
on cracha dans l’hanap d’un sacristain catho
oignant un argousin mourant sur son trottoir.

Un yatagan frappait ? Un flot d’avis mytho
distillait son pathos au substrat du journal,
pourvu qu’y figurât du sang sur la photo.

On tuait son frangin pour un saucisson d’ail,
on tuait son cousin pour un croûton bâtard,
on tuait un quidam pour un quignon morfal.




III — Pantoum -

Dans la nuit du lundi 6 avril au mardi,
On compta vingt-cinq fois l’impact sourd du plastic
qu’un avion largua... bang ! sur la Tour d’Orly.
L’Hôpital Saint-Louis posa diagnostic.

On compta vingt-cinq fois l’impact sourd du plastic
qui toucha l’Institut, qui fuma l’Alhambra.
L’Hôpital Saint-Louis posa diagnostic :
l’abus du glas pour sûr accroît la furia.

Qui toucha l’Institut ? Qui fuma l’Alhambra ?
Pour l’opposition un truc avait failli :
l’abus du glas pour sûr accroît la furia !
Façon Saint-Just, un dur attaqua, malpoli.

Pour l’opposition un truc avait failli :
Palais-Bourbon ou pas, l’on y vint aux jurons.
Façon Saint-Just, un dur attaqua, malpoli ;
à foison on vomit d’avilissants affronts.

Palais-Bourbon ou pas, l’on y vint aux jurons
— à part vingt-trois plantons, bâillon autour du cou.
À foison on vomit d’avilissants affronts
quant aux marquis blafards raccourcis du caillou.

À part vingt-trois plantons, bâillon autour du cou,
on garrota du col un lascar hors-complot.
Quant aux marquis blafards raccourcis du caillou,
un plumitif barjo bombardait un brûlot.

On garrota du col un lascar hors-complot.
Dans la nuit du lundi 6 avril au mardi,
un plumitif barjo bombardait un brûlot
qu’un avion largua... bang ! sur la Tour d’Orly.




IV — Stupor Mundi 1 -

N’usant du yatagan ni d’incisif surin,
un colon du Kansas lisait La Vis du Rail ;
voyant son canasson maladif du poitrail,
plutôt qu’hara-kiri, l’abattit sous un train.

Un cow-boy du Kansas accablait son bourrin,
il l’avait alourdi d’un compact attirail :
colts, fusils, bazookas, saint-frusquin d’un travail
dont l’animal mourut… ô guignon, ô chagrin !

Or, un instant plus tard, agrippant un mustang,
surgit Wild Bill Hickok ; il domptait tout pur-sang
mais, barjo, prit Isou pour Sioux à dada.

À moins qu’il galopât, Rossinant trottait-il ?
On l’ouït qui courait : tagada tagada…
quand d’un coup son sabot sauta sur un baril.




V — L'Antichrist à Longchamp -

Il cravachait au point qu’on n’aurait jamais cru
aucun harnais ad hoc aux impacts d’assommoir :
quand advint Attila, sans bonjour ni bonsoir,
il cavalait assis sur quoi ? Du bison cru.

Sancho Panza cabot aboya-t-il, waf-waf ?
Son bourricot Grison broutait un talipot,
mais Buridan confus tournait autour du pot :
qu’assouvir tout d’abord, la faim sinon la soif ?

Promu Grand Postillon par la vox populi,
qui liquida Longchamp, gain au Monopoly
moins vingt-cinq millions soustraits du fisc au turf ?

Vlad ! L’uhlan moustachu barbu poilu rouquin,
montait Aliboron ; on l’applaudit du bluff
couronnant son dada : kokoshnik sur du crin.




VI — Saga -

Un caporal zinzin s’affolait d’avoir faim.
Il flinguait à-tout-va, son bazooka soudain
pointant son bataillon ; on l’a vu massacrant
du commandant-major jusqu’aux soldats du rang.
Il cannibalisa tout à trac bras, doigts, mains,
bouts qu’il accommodait sur du jambon d’humains
y rajoutant du coq, du faisan, du dindon.
Pour qui sonnait son glas, pour qui trois din’ ding’ don' ?
Quand l’aigri morfalou hurlait à cor, à cris,
tant humains qu’animaux, on courait aux abris.

S.O.S poussins :
toujours un goupil rôdait
aux abords du ranch.
Chut, la maman du chapon
à huis clos pondit un... ouf !

Un champion d’aviron grimpa sur un pavois.
Un pavillon puissant amplifiait sa voix,
galvanisant l’afflux. À son cocorico,
la tribu proclama : — Couronnons l’illico
"Attila III" grand roi… sinon "King Fantômas" :
ça fait plus imposant ! Mais vu qu’il n’aimait pas,
on l’assomma sitôt pour choisir un couillon
à qui l’on impartit un stick à cabochon,
un plastron, un gibus, un bâton d’acajou.
Puis on l’accompagna, promu Grand Manitou,
dans un lourd palanquin, cap sur Palais-Royal.
Il n’arriva jamais : un gus provincial
cria : — Mort au tyran ! Imitant Ravaillac,
il l’ouvrit au rasoir, du nombril au colback.
Alors qu’on l’inhumait au columbarium,
un commando surgit, ahuri d’opium
qui du sol au plafond, n’y sachant trop pourquoi,
profana la koubba… bandits sans foi ni loi !




VII — Lu dans La Voix du Nord -

Un motif incongru convainquit un commis
au trois quarts abruti qui voulut qu’aux ch’timis
— du matin jusqu’au soir, schlass, boit-sans-soif, soûls, ronds —
on prohibât bistrots, bars, zincs... tombals corons
où la soif apparut : point d’alcool doux ni brut,
on souffrit du typhus, on clamsa du scorbut.
Un Lillois subclaquant zappa du "Profundis"
à l’air dont sa maman l’hypnotisait jadis :

Dors min p’tit quinquin
Min p’tit pouchin
Min gros rogin
Tu m’fras du chagrin
Si tu n’dors point j’qu’à d’main




VIII — L’instant chirurgical -

Pour un oui, pour un non, on virait assassin :
d’Arras à Locquignol, d'Azincourt à Wormouth,
chacun son tour viandard, chacun son tour kapout.
Ô Nord carillonnant maint sanglot, ô tocsin !

Durant qu’on s’acharnait sur l’hôpital d’Anzin,
un toubib furibond profita du raout.
Il mixa mort-aux-rats au sirop : fatal moût,
drink qu’il administra dans un dortoir voisin.

Doc Folamour autopsiait brancard, sofa...
Qui ronflait tout son soûl armait sa mafia
à vif d’un bistouri hard à l’instar du pal.

S’il zigouillait la bru, Doc poussait son mari
dans un chaudron bouillant, output conjugal.
Hosto capharnaüm ! Mouroir charivari !




IX — Saga bis -

"Prairial" disait-on jadis du Champ, du Fruit.
Mai fut-il joli mois, l’an VI fois X plus VIII ?
L’almanach à Paris pronostiquait la paix
quand son Faubourg Latin y chamailla tout faix...

Hallucination ? Tour d’un mauvais plaisant ?
Un fada corrosif fut surpris arrosant
un bon quart du Faubourg Saint-Martin au napalm ;
l’ignition fondit la poix du macadam,
tout un chacun rôtit dans l’S (un autobus).
Quid d’un Caïus Gracchus, d’un Fabius Maximus
quand Habsbourg poignarda Saint-Just, sachant qu’Othon
combattait l’Atatürk, Mata-Hari Danton ?
Nom du Salut Public ! Marat tapa du poing
quand un Charlot Corday lui piqua son shampooing ;
vingt-six moins un vingt-cinq, calcul tout intuitif
sans ordi ni stylo, il lui manquait un tif :
çui qui poussait pas haut, qui figurait un rond
non pas tout à fait clos, mais qui barrait son front.
Corday saigna Marat amolli dans son tub ;
imaginons l’impact : bingo d’un coup, la pub !
Son avocat marron plaida qu’on abolît
l’outil à Guillotin, qu’il mourût dans son lit.
L’à-propos Girondin opposait son holà
aux slogans montagnards convoquant Dracula...
mais, sournois, il brandit haut sa kalachnikov
sur qui du tribunal formulait « non » — ou « bof ».

Boum ! l’ultimatum
À cinq magistrats
Vit comptant quorum
D’autant sous contrats

Du scotch brut alcool
Sparadrap d’Haddock
S’affaissait formol
Qu’imbibait un bock

Trois jours plus loin, tous azimuts tirait un char.
Ainsi donc s’imprima point final au pouvoir.
L’adjoint municipal qui monta jusqu’aux toits
du bastion vaincu paniquait, aux abois ;
agitant un drap blanc, il glapit au micro
— Capitulation ! Sus au politburo !
ajoutant aussitôt qu’il offrait, quant à lui
pour garantir la paix, son plus loyal appui.
Sursaut improductif car, sourd au baratin,
l’imposant tank d’assaut rasa l’honni fortin,
atomisa l’adjoint, broya la garnison,
concassa corbillards (y compris cargaison),
bousilla wagons-lits, victorias, motos,
autocars, trains, taxis, landaus, fourgons-postaux...
La raison s’obscurcit d’un fol coup du lapin
quand C-Niouz bavassa : — Hourra Marin Lupin !
Sous mil vasistas clos sans halo ni pardon,
s’abattit un coma plus profond qu’un bourdon.




X — Coda hors gabarit -

Soir d’autan d’ouragan d’inondation
Tout vigilants lisons un manga
Traduit du roman Hauts d’Aquilon
Or choc soudain la fulguration fait du flot continu un vrai grain

Ici foudroyant là diffus un tourbillon
Dirait-on il bat la frondaison
Dans un gris nocturnal
S’infiltrant aux bords du châssis

Un courant d’oblongs fils ondoyants va
Soumis aux coups d’un bouc soufflant
Sur l’abondant flux qu’humains ou gazons ont proscrit

Non plus la fulmination qui vous voit bondir
À la façon d’un gamin
Ou l’autan proclamant quasi aboli tout gong du soir




XI —Post-scriptum quant au plomb rond pas tout à fait clos -

Intact à soi toujours mutant aux infinis,
Troubadour, il frappa sous son yatagan nu
Un aujourd’hui hagard pour n’avoir pas connu
Quand la mort triomphait par signaux inouïs.

Djinns ! un trop vil sursaut s’oyant jadis du Styx
Ouvrit un for plus pur aux mots dans la tribu ;
Alors y proclamons si haut talisman bu
Qu’un flot court d’infamants profonds brouillaminis.

Du sol puis d’un azur alarmants — ô chagrin
D’aucun plan vis-à-vis qu’ajustât un burin
Dont wigwam ni koubba n’affichât nuls rayons ! —,

Bloc gisant ici-bas chu d’un guignon obscur,
Son granit tout du moins n’arma jamais jalons
Aux noirs vols profanant maint chaos du futur.




XII — Imago d’imago -

Dix purs doigts au plus haut consacrant un onyx,
Minuit, fonds du chagrin, arc-bouta, clinquant tors,
Maint soir dont l’imago brûla vif un bombyx
Qui butinait banni d’abstrait hanap aux morts

Sur nos bahuts au salon d’abandon : nul ptyx,
Aboli talisman d’un hallali sans cors,
(Car l’occupant parti du fumoir jusqu’au Styx,
Pygmalion, puisait à nos sanglots majors.)

Mais non loin du châssis au nord vacant, un or
Agonisait suivant un plan du corridor
D’opalins flambants cobs ruant aux rifs du stick,

Lui, cirrus disparu fors son miroir — tussor ! —,
Fixa dans l’oubli clos, sitôt huis sur batik,
La scintillation, moins un à l’octuor.




Augustus qui frappait un accord atonal
nota qu’Haig vacillait, droit puis diagonal.
D’un coup tout valdingua, kif-kif aux dominos.
— Au sol nos baldaquins, pour plafond nos linos,
l’azur sous nos panards basculant d’horizons
aux summums abyssaux ? Donc palindromisons :

XII — Juron d’Augustus sursautant -

Tortura-t-on mix à mort si Bob a valu ?
D’un nocif fusa mac, il lia, jura trop :
— Par un as noir si mou qu’omis rions à nu !
Rapport à ru jailli, ça m’a suffi connu
du lavabo-bistro : Maxim nota rut rôt.








On a donc pu lire successivement :

- une introduction d'après Petit air II, y compris la rime dérogatoire des vers 5 et 7,

- des strophes en terza rima,

- des vers au format d'un pantoum bouclé,

- deux sonnets sur 25 lettres où alternent rimes vocaliques et consonantiques,

- des rimes plates ad libitum entrecoupées de formes diverses : tanka de basse-cour, berceuse ch'ti, sélénet qui sous-entend l'-E surnuméraire des rimes impaires (comme dans "Au clair de la lu-nE" : "ultimatum" => "ultime ato-mE", "vit comptant quorum" => "vicomte encore hom-mE", "du scotch brut alcool" => "du scotch brutal col-lE", "s'affaissait formol" => "sa fesse est fort mol-lE"),

- un sonnet en vers libres inspiré de Harry Mathews,

- un sonnet en postface, hybridation de Mallarmé et Perec (les rimes féminines étant impossibles, l'alternance se joue entre mots au singulier et au pluriel (S ou X finals)),

- puis une traduction du Sonnet en X de Mallarmé, dont la version initiale s’intitulait Sonnet allégorique de lui-même transformé en "Imago d'imago" (remarque 1 : le lipogramme en E interdisait a priori l’alternance des rimes, qui s’est jouée ici par blocs entre quatrains pluriels (-yx, -ors) et tercets singuliers (-ik, -or) ; remarque 2 : la syntaxe colle au modèle qui, cela ne saute pas aux yeux, circonscrit le poème en une seule phrase incluant la parenthèse des vers 7 & 8),

- enfin une incursion au chapitre 13, dont premier jet de palindrome sibyllin incluant le non moins abscons juron d'Augustus sursautant dans le roman (Par Un as noir si mou qu'omis rions à nu !), extrait à insérer quelque part quand la syntaxe en sera satisfaisante.

À suivre ? euh... il resterait 300 pages avant d'avoir épuisé le roman.

De la sérendipité en cuisine polyglotte

Exercices de style d'après un souper amical en Belgique. La recette de Bart Van Loo avait malencontreusement traduit poivrons flamands en piments français. Pour adoucir son potage incandescent, Bart nous a suggéré de le saupoudrer d'avoine, flocons si succulents que nous avons surpris des charançons pique-assiettes en train de s'en goberger. Soirée exquise assurément, si l'on s'en tient à la qualité des convives. La preuve, l'un des sonnets à suivre mentionne Lol, à savoir Olivier Salon, auteur désormais de deux exploits invraisemblables : déjà en Californie il avait escaladé El Capitan ; et chez Bart il a mangé sa soupe jusqu'à la dernière cuillerée.




Aux fins d’étalonner l’échelle des piments,
dînâmes-nous un soir chez des hôtes flamands.
La soupe y reflétait, de sa robe avenante,
un pieux clair-obscur : atmosphère flamande
où l’hospitalité précède chaque vœu.

Alors qu’on déglutit, s’ouït un râle : — Au feu !
Quel distillat jailli de cuves Soufrière
chambardait nos boyaux dès la prime cuillère ?
Consécutivement de la sorte épicer,
un griffon sur nos reins tançait : Sortez pisser !

Épisode suivant, ces mythes et légendes
s’en vont nous régaler de mites alléchantes...




De la sérendipité en cuisine polyglotte —

Le 7 décembre 1864, Alfred Nobel, encore indécis sur sa carrière, séjournait à Klow. Il s’essayait au métier d’éditeur gastronomique et travaillait à un guide de menus exotiques européens. Ce qui l’intéressait en Syldavie, c’étaient évidemment les matrices médiévales figurant les premiers festins de la dynastie Ottokar. Rendez-vous avec le professeur Nestor Halambique, le savant sigillographe qu’il retrouva penché sur un idéogramme figurant la recette du sprbodj, saucisse vernaculaire des Balkans. On était côté cuisine dans l’auberge du chef étoilé Bharts-Vnloowkz. Conversation jubilatoire du français au suédois, du suédois au syldave, et inversement. Le mélange d’ingrédients et d’idiomes n’empêcha que l’on reconstituât la recette originelle de la saucisse syldave — du moins une formule approchée. Des gastronomes tatillons objecteront plus tard qu’un jeu de paronymes leur fit confondre le sel (solzk) avec du glycérol (zklos), les condiments (füszerekz) avec l’acide nitrique (zkűszeref), la chair à saucisse (kolzbäsz hursk) avec la terre de diatomée (zolkbusz harsk), le tout sous forme de bâtonnets enveloppés de papier alimentaire façon Bouillon Kub. N’empêche, aux approximations près, le succès ne laissait place au doute. Ç’allait faire boum à la fois dans les tubes digestifs et les galeries de mines.




Sonnet lipogramme en E ; "Loo" monosyllabique ; rimes alternées d'Ô fermés et O ouverts. —

Bart Van Loo marmiton n’ouvrit un snack à Qom,
non plus à Zanzibar, ni sur un oppidum.
Son bouillon s’infusait d’incisif capsicum
local, aussi piquant qu’un court-jus par loi d’Ohm.

Pour saisir un poivron, faut-il l'outil ad hoc :
fin cuistot, il brandit un tranchant tomahawk
dont l’à-coup ondulant à l’instar du moon-walk
mixa du paprika planant, kif-kif Woodstock.

Confus du ciboulot, Lol tangua jusqu’au hall,
au comptoir s’accouda, but un cocktail au khôl ;
vis-à-vis du miroir s’y maquilla d’alcool...

Impact, on l’a compris, au point d’un punching-ball
dans un corps convulsif : son boyau fit du crawl !
— L’assaut du Capitan fut plus cool, conclut Lol.




Sonnet lipogramme en E & W où "Lo-o" est dissyllabique tel le Booz de Victor Hugo ; diérèse classique à la fin de "positi-on" ; alternance de rimes consonantiques et vocaliques. —

Van Loo s’alita, fourbu par un travail
qui du matin au soir fouissait maint sillon.
Il a fait son plumard dans la position
où toujours il pionçait, non loin du bon bucail.

Avant qu’il s’assoupît, Van Loo çà soupa
d’un bol au sarrasin — on dit "bucail" au nord,
bouillon qu’il parfumait au choix d’un chili fort
ou qu’il accommodait d’un pur jus paprika.

La soif, qu’on fût humain ou charançon gourmand,
son silo l’apaisait d’un frais cocktail flamand
dormitif d’harissa mi-grisou mi-cactus.

Tout somnolait dans Ur, dans Looz-Borgloon.
Par l’horizon divin jusqu’à Sarimaktuz,
sa faux d’or rayonnait aux champs d'Amphitryon !



Le Renard et l'Harissa

Certain Renard wallon, d’autres disent flamand,
Apprenti Lucullus par le bouche-à-oreille,
Pelait des gousses de piment
Pour corser la salsepareille.

Ardent fut son bouillon infusé d’harissa
Vrillant son œsophage en cintre.
Et son pelage roux de feu se hérissa
Sans qu’il en pût la torche éteindre.




Riquet à la Soupe —

Instruit en cosmétique d’art
et charançons à crête en dard,
Riquet appareille sa Houppe :
il l’enduit de piquante soupe
puis harponne, Dame, ton cœur.
Recette de l’amour vainqueur.




Exquise soupe au piment rouge,
hélas n’en reste qu’une louche...
Ces gens encourent le danger
de se battre et non partager.
L’orde hécatombe s’est conclue
au bloc en urgence absolue.

    

(Photo : Sud-Ouest du 28 février 2025)



Le jardinier qui a fourni ses légumes à Bart se prénomme Dirk. Ayant lu la prose et les poèmes qui précèdent, Dirk précise qu'il fut en effet un peu surpris que Bart lui commandât assez de piments qu'il en fallut à Néron pour incendier Rome. Cela vaut bien une dédicace :

Il n’est d’incandescente Frousse
des Ducs de Bourgogne et Rois d’Ourcq,
ni d’obscur côté de la Farce
aux mains du tordant Vador Dark,
n’est non plus d’écrasante Force
au cœur des Princes qu’on sort d’York...
que n’effrite en pays de Frise
l’Onguent piquant du Druide Dirk !




(à suivre)

Babel 2025

.

D’abord l’animation carrée-cubique de Nicolas Graner ;
puis cet extrait de Ronsard, in Les Amours & Odes II :

Je me relie et me délace (...)
Page, reverse dans ma tasse !

La Pléiade tenait 441 pour Nombre de Babel fatidique ;
1585-2026 : anticipons l’an prochain une commémoration
grandiose des 441 ans après la disparition de Ronsard.
Cadet de Nostradamus, Ronsard affecta une posture tout
en contradiction du vieux maître : « Il dit l’avenir ?
Eh bien, remontons le temps ! » Il usera alors du vers
comme filon étymologique à "renversement", et usant de
ces fréquents va-et-vient d’un état contraint (« je me
relie ») ou relax (« et me délace »). Le "reversement"
est l’exemple d’un autre usage de la racine "vers", où
il met en scène son disciple Rémy Belleau, assimilé au
page doublé d’un échanson généreux. Ronsard consacrera
parallèlement un authentique culte à la Muse Calliope,
qui le fait remonter, comblé, à la vie intra-utérine :

Dedans le ventre avant que ne je fusse,
Pour t’honorer tu m'avais ordonné :
Le ciel voulut que cette gloire j’eusse
D’être ton chantre avant que d’être né.

Cet extrait du Second Livre des Odes signe une posture
existentielle palindrome, comme "vers" sera "renversé"
et "reversé" ou qu’une alternance vitale le lace, puis
délie, puis lace sans fin. Avant nous dès 1960 en note
de son Traité de Prosodie (éd. Ichthusson, Bruxelles),
Gilbert Farelly datait ce caractère singulier du poète
au moment de la puberté, où un premier "poil" de barbe
orthographié à l’envers apparut portion de "Calliope".
Il n’en fallait pas plus que Farelly compose un de ses
fameux haïkus pré-oulipiens, en hommage à Ronsard et à
Rémy Belleau - prénommé" Rémi" sans Y afin de tenir la
contrainte palindrome doublée d’une gématrie = 441. Un
autre Rémi, Schulz notre oulipote, a relevé que le mot
central "lace" a 21 de gématrie, racine carrée de 441.

Rémi reversa
Le Poil lace Calliope
L’As rêve rimer

Jacques Roubaud

Ce billet, sommaire à l'annonce de la disparition de Jacques Roubaud, se verra complété au fil de souvenirs qui me reviendront de lui.




Jacques Roubaud alias JR né le 5 décembre 1932 est mort aujourd'hui, anniversaire de ses 92 ans.

J'ai eu la chance depuis presque deux décennies d'une correspondance suivie. Il était gentil, réservé (mais avec quelle allure !), disponible dès lors qu'il s'agissait de Zazie Mode d'Emploi, de poésie universelle, de littérature potentielle. Et il m'a conforté d'écrire sans renoncer aux protocoles et contraintes sévères ; cela ne l'empêchait pas d'exceller partout, y compris à composer les comptines les plus charmantes et accessibles — cf. "Les animaux de personne" et "Les animaux de tout le monde".

Un fichier monumental occupe la mémoire de mon ordinateur, pans entiers du corpus roubaldien qu'il avait confiés à une douzaine de camarades avec lesquels il n'était pas brouillé — ça lui arrivait en effet de se fâcher, on ne comprenait pas toujours pourquoi. En tout cas voilà des centaines de pages que j'ose à peine explorer. Trop fort pour moi, sauf la typographie et la ponctuation, désinvoltes ; il avait sans doute plus urgent à faire que de se relire.

JR a été joyeusement surpris en 2006 de lire les "2 × 20 cœurs" sur la photo. Cela ressemblait pas mal à son recueil Cœurs paru à la Bibliothèque Oulipienne. Suivant un protocole marrant, j'avais composé des quatrains imitant les siens... sans les connaître encore, juste selon une description de Gilles Esposito-Farèse après d'une lecture de l'Oulipo à la BnF.

Un jour je me suis marié avec Christiane V la Jardinière, et notre voyage de noces a été calqué sur l'itinéraire des troubadours comme rapporté par Jacques Roubaud. Il en parle comme d'un instant fugace suspendu au fil de l'Histoire. Roubaud a dit Lastours, nous irons à Lastours. Sensation de poursuite... trop tard sous le cagnard en pensant à JR infatigable marcheur ? Là-haut les archéologues ont retrouvé les reliefs d'un repas précipitamment interrompu par l'arrivée d'assaillants Croisés.

   

Quelques liens à JR, le premier chez Zazie Mode d'Emploi, les autres ici :
- Les vers à soie
- Colloque séricicole
- Roubaud plagié par Mallarmé
- Hugo a-t-il plagié Roubaud ?
- etc.

Sonymes

Le sonyme a été ainsi nommé (on peut dire trouvé) par Gilles Esposito-Farèse. Le billet ci-après compile des tentatives, des imitations, des prolongements de la forme sonyme.




Trois sonymes inspirés des rimes à signes extérieurs de richesse (une autre trouvaille du même Gef) et dédiés à des oulipiens, majeurs les trois :

Qui tancerait vos plumes
du major jappe avec
quittance, rai, volumes :
Dumas, Georges Perec…

Mob ? Idiome ? Un homme
s’allégea que, turbot,
Moby Dick gastronome
salât Jacques Roubaud.

Poe aime Chasles, Sévigné,
gilet Zeiss, prosit, anamnèse,
poème chaleureux signé
Gilles Esposito-Farèse.




Pierre Le Baud avait adjoint un quatrain rimé à son
manuscrit en prose des "Chronicques et Ystoires des
Bretons". Par inadvertance, ce poème fut oublié des
versions imprimées ultérieures. Mais chance que les
éditions Ichthusson de Bruxelles l’aient racheté en
1955 chez Sotheby’s, grâce à quoi nous tirons cette
strophe de l’oubli, pas tant pour nous en distraire
qu’avec l’intention d’une expérience oulipienne des
plus sérieuses. En 1480, le texte de Pierre Le Baud
rapportait en octosyllabes un vif dialogue entre le
Roi Gradlon & Saint Guénolé à l’instant où la ville
de Kêr-Is se trouve face l’imminence d’un tsunami :

— Sanct Gwennole l’Occean frape
Neiera tantost la Citeiz
En abismes de cecitéz
— C’est tens Gradlon que l’on eschape

Cela donnera une fois traduit en français moderne :

— Saint Guénolé, l’Océan frappe
Qui noiera tantôt la Cité
En abîme de cécité...
— C’est temps, Gradlon, que l’on s’échappe !

Réécrivons maintenant ce dialogue au format sonyme,
dont l’apparente rigueur (4, 4, 3, 3 mots) s’adapte
pour sûr aussi bien aux incunables qu’aux modernes.

— J’ois l’han
d’Ys : l’Onde
et l’Ombre…
— Viens-t’en !



Deux sonymes longs, vers de 14 et 10 syllabes.

1) Eleftérios Alexandris a signé en 2006 la toute première réécriture de la rubrique "l'Oulipien de l'année" chez Zazipo, une traduction en grec des Vers à Soie de Jacques Roubaud dont la mesure de 14 syllabes est le standard hellénique classique. Alors, classicisme oblige, prononcera-t-on en retour une diérèse à "étudi-ant", "Eleftéri-os", "aristotélici-en" en un sonyme, quatrain aux vers tétradécasyllabes contraignant à des mots très longs :

Au phénoménologique étudiant propédeute
hellène Eleftérios, son kinésithérapeute
aristotélicien — douillet sériciculteur —
administre cataplasme homogénéisateur.

2) Avec des mots de Mallarmé, décasyllabes 4 + 6 :

L’Azur soutient victorieusement
une clarté véridique sonore.
Hérodiade — écume, châtiment —
argentera Paphos lampadophore.



Sonymes brefs, dissyllabes :

Si un paresseux à Pondichéry
écoute la radio d’Aquitaine,
il entend "roll’n’rock" en 2
syllabes d’où les 4, 4, 3, 3
mots d’un sonyme très bref :

L’aï d’Inde
n’oit d’Oc
qu’une onde
roll’n’rock

Paradis terrestre du Ch’ti =
sonyme en vers dissyllabes :

N’est-ce Ève ?
L’œil d’Oïl
n’en rêve
qu’à poil !



Sonyme Caradec.

Une rue au hasard
L’initiale est bonne
Escamotez tout art
Paname la fredonne

Le pavé rime ainsi
Fredonnons dans la rue
Elle dira merci
La ville disparue



Contrerime & Sonyme selon le 1er principe de Roubaud :

Lorsque votre strophe combine
Des rimes s’embrassant
Avec métrique croisement
Nommez-la contrerime

Poursuivez la même comptine
Quatre mots se doublant
Ensuite trios seulement
Baptisez-la sonyme




Le miroir est un élément explicite du Sonnet en X. Gilles Esposito-Farèse a remarqué la position médiane de la parenthèse (vers 7 & 8), coïncidant justement à celle d’un miroir :

(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)

Cela ne serait pas la seule fois où Mallarmé fusionnerait le sens et la forme d’un poème — cf. Petit air 2. La réécriture ci-dessous d’un autre sonnet fameux, celui du Cygne, tente de reprendre le même effet de symétrie optique, le contexte du lac gelé tenant pour miroir : 3 strophes de rimes croisées FMFM, 1 de rimes embrassées FMMF, 3 de rimes croisées MFMF, chaque strophe étant sonyme (4, 4, 3, 3 mots). L’invention de Gef, reformuler un sonnet d’alexandrins en 7 sonymes de pentasyllabes — un par distique — réduit à peine l’original, puisque l’on passe de 168 à 140 syllabes. Il y a cependant dans chaque strophe l’effet d’haïkaïsation introduit par Raymond Queneau dans "La redondance chez Phane Armé".

Le vierge et vivace
et beau : l’aujourd’hui,
par voilure rase
déchirée, a brui.

Lac hanté de glace,
d’ivresse, d’oubli,
jamais nulle trace
d’envolement fui.

Sans espoir un cygne
a lesté pour frein
l’autrefois sublime
figé de chagrin.

À ne chanter vivre
d’huis ni région,
resplendit l’ion
de stérile givre.

L’agonie en blanc,
son col la secoue,
maudissant l’étang,
vaine psyché floue.

Non horreur du sol
où chut le plumage,
l’éclatant envol
assigne la page.

Froid clus d’idéal,
le cygne en prolonge
l’exil abyssal
revêtu de songe.




Un autre "hexasonyme", celui-là d’après Sur un miroir de Charles Cros, est composé selon une double logique de miroir :
- 3 quatrains de forme "emynos" (3, 3, 4, 4 mots), et 3 quatrains de forme sonyme (4, 4, 3, 3 mots) ;
- les 3 premières strophes avec des rimes M-F-M-F, puis les 3 suivantes sur schéma inversé : F-M-F-M.

Chaque fois, miroir,
que, vertus vaudoues,
elle met du noir
aux sourcils, aux joues

un poudreux parfum
encadrant sa lèvre
de charme et carmin,
tu diras ma fièvre :

« Je dors reflétant
le lyrique ivoire
qu’il poinçonne quand
votre œillade en moire

par ses atours creuse
l’éclat nommé chair
— d’où victorieuse
trichromie en clair. »

Qu’alors tu ressentes
son regard d’humeur
et fins négligentes
à m’abandonner,

brise-toi la glace !
puisque je ne vaux
apprêter sa classe,
pourquoi mes rivaux ?





Un grand sommeil noir de Verlaine modifié de sorte que les strophes 2 et 3 deviennent des sonymes comme l’était déjà la première.

Un grand sommeil noir
Tombe sur ma vie :
Dormez, tout espoir,
Dormez, toute envie !

Je n’entrevois rien,
Je perds la mémoire,
Défiant du bien...
Triste mon histoire !

Je suis un berceau
Qu’une main balance
Dedans un caveau :
Silence, ô silence !




Le poème précédent peut se développer en un sélénantoum dont les strophes soient sonymes.

Un grand sommeil noir
Tombe sur ma vie
Expire l’espoir
Expire l’envie

Tombe sur ma vie
L’écume du rien
Expire l’envie
D'improbable bien

L’écume du rien
S’enivre en mémoire
D'improbable bien
Triste cette histoire

S’enivre en mémoire
De mon vieux berceau
Triste cette histoire
Dedans un caveau

De mon vieux berceau
Qu’une main balance
Dedans un caveau
Pleure le silence

Qu’une main balance
Un grand sommeil noir
Pleure le silence
Expire l’espoir




Vache de Zeus, Rockefeller, Louis Vuitton :
Sous cette Trinité, que fête soit coutume !
Et le dieu protecteur à l’huis de ta maison
Joue en latin la Pâque et ta bonne fortune.

Quatrain d'influence surréaliste (attribué à Gilbert Farelly) que l'on pourrait traduire en sonyme palindrome, par exemple :

Io, Trust et Luxe
Et l’us nocera...
Le Lare consulte,
Exultet sur toi !



Solstice embrasant juin, le cirque d’Olympie
signe un décor parfait : là cet époux à poil,
faussaire, corromprait ma peinte Eucharistie ?
— Va te taire en prison ! tranche le tribunal.

Second quatrain fou de Gilbert Farelly traduisible en ce palindrome fidèle au "sens" initial :

Un été l’arène,
nec à mari nu,
punira ma Cène ?
— Ne râle tenu !



Un forçat fait la sieste, entendez-le railler
le caillou qu’il concasse avant sa limonade.
La brebis de Bashō lui répond « Ô bélier,
Georges dessus tes reins fléchit ta promenade ! »

Gilbert Farelly en 1960 ne pouvait pas connaître Georges Perec, mais on fera comme si, en tirant un sonyme palindrome de cet autre strophe hallucinée :

En gag ce repos :
roc, soda, le bagne…
Renga bêla « Dos,
corso, Perec gagne ! »



Maille à l'envers, maille à l'endroit = quelques sonymes palindromes de mots — dont certains changent de sens, de nature, d'acception, voire d'orthographe : "étale" adjectif puis verbe, "chut" = choir puis se taire, "bouffe" substantif puis verbe... "boîte" & "boite", "ouvre" & "ouvré", etc.

Maille étale il chut,
versa vice, aïe aïe.
Vice versa... chut !
il étale maille.

La bouffe, oiseau-mouche,
grise Iris... la-la !
Iris grise mouche,
oiseau, bouffe-la.

Lui, ferme ouvre-boîte,
marche entre boui-boui,
entre, marche, boite...
ouvré ferme-lui.

Cri : notre amour-propre
rime avec gri-gri,
avec rime propre :
amour notre cri !




Imité de Gef encore, le poème suivant est un « solénet auto-acrostiche de mot, c.-à-d. :
— sélénet = deux quatrains de pentasyllabes à rimes croisées fmfm fmfm ;
— chaque quatrain est un sonyme = dont les vers comptent successivement 4, 4, 3 et 3 mots ;
— la lecture verticale des premiers mots des huit vers reproduit la fin du même poème. »

Au halo de lune
Soir qui s'éclaira
Quel joli costume
Rayon contient "Râ"

Scintille, ô ma ville !
Bougeoir vif au soir
Quel rayon scintille
Bougeoir quel bougeoir




5 solénets (= sélénets-sonymes) d’après comptines :

Est-ce une panthère
Ce civet tout cru
Sous le cimeterre
Du Chef Lustucru ?

L’as des casseroles
Barbe poivre et sel
Nourrit de paroles
La Mère Michel

— — — — / — — —

Qui mettrait la patte
Au lait des brebis
Souillerait la pâte
Tirée entre pis

Que fais-tu Bergère
N’occis ces chatons
Retiens ta colère
Reviens aux moutons

— — — — / — — —

Au halo de lune
L’onde dit allo
Radio de plume
Pour feuille prolo

L’adresse fut brève
L’appel un pamphlet
Convaincu de grève
Le Meunier ronflait

— — — — / — — —

Mais gare au gorille
Un peu trop câlin
S’ensuit peccadille
Torpeur et déclin

Un dicton s’obvie
Des goûts du Malin :
« Meunier qui roupille,
Dégâts au moulin »

— — — — / — — —

Dors-tu Frère Jacques ?
Ne crains-tu pécher
En oubliant Pâques
Muet ton clocher

Sois noble aux platines
Et fantasque au gong
Sonne les matines
Digne dingue donc

Fables du Choucas

1 — Sélénet de sonymes
La lune étant noire,
Poe en pareil cas
embrume une histoire
de bègue tracas...

D’ombre où Leonore
s’éteint, un fracas
sourd : le Nevermore !
fatal du choucas.

2 — Médaille
L’aphone choucas
Dam ! veut recouvrer ses cordes
Il vole un cachou

3 — Ouïseaunet
Plane un choucas
Plume moka
Sur mes peines
Nuits d’ébène

4 — Petite boîte
la pensée en-soi pour-soi
piaf pas dupe du miroir
quand d’arrogants laborantins
réduisent
l’intelligence du choucas
à des exploits de cobaye

5 — Onzinet
choucas
insectes enfouis
brindille idoine outil
observation déduction pour recette
festin




Post-scriptum sans rapport sinon que ç'a été écrit en même temps, un distique burlesque composé au cours d'une discussion sur la liste oulipo... Il était question d'écrire un distique d'alexandrins holorimes sur La Palice, maréchal de François 1er dont la bravoure fit des envieux, à en croire l'épitaphe sur sa tombe :
« Ci-gît le Seigneur de La Palice
S’il n'était mort il ferait encore envie »
Par confusion typographique possible entre F et S, l’on aurait réécrit pour rire le second vers en :
« S'il n'était mort il Serait encore en / vie »
D’où l’idée de ce distique quasi holorime, sauf les F devenant S :

Polyphone aile ! Écot biffé ! L’appât (lit fade
poli) sonnait l’écho : bis et lapalissade.




Post-post-scriptum sans rapport de chez sans rapport, rangeons autrement les 26 lettres de l’alphabet...

M Y H A D Z U T K V W Q J B C P I G O L X F E S R N

... et l'on entendra :

Émigrer cacha des aides
Hutte et cave et doux bleu
Vécu j’y baissais pays, géo, hélix et feux
Et ses reines




Post-post-post-scriptum du coq à l'âne, un haïku palindrome retrouvé dans mes brouillons :

Du sud remué
Ida se verse des rêves
Adieu mer du sud

Un Rat de Banksy

.

   Rien d’invraisemblable qu’un Rat de Banksy,
   monochrome, t’inspire une strophe monorime.
   Par ex. ci-dessous de tonalité symboliste :

Reviens nous déchiffrer dans l’infini des cieux,
Vieux Banksy, ton Fétiche aux comptoirs besogneux.
L’étoffe t’en revient, écot délicieux
D’un Lascaux tout urbain et comme belliqueux.

   Par effet de pochoir, le Rat de Banksy est
   inversible & il peut revenir ad libitum...
   qualités propices à composer un palindrome
   en guise de résumé mot à mot du quatrain :

Et tu lis au quorum astral
âgé : Rat ou quai rétamé,
matériau, quota régal,
arts à mur ou quasi lutté.

   (palindrome en 77 lettres et gématrie 999)

À supposer Patrick Smith

À supposer qu’on me demande ici, non pas une de ces louanges sans retenue dont on couronne nos proches à leur disparition, mais quelques mots plus réservés à propos des vertus de Patrick Smith, je soulignerais chez lui une carence au titre de physionomiste : — Non, Patrick, n’insiste pas, je ne suis pas Brulois ; à croire que Brulois et moi nous nous ressemblons beaucoup, mais ici ça n’est pas lui, c’est moi Bébert ; et s’il te plaît ne m’appelle plus Brulois la prochaine fois que tu me rencontres !... physionomiste défaillant donc, cependant (merveille le paradoxe) doué d’une invraisemblable acuité quand il observait la vie en train de se déployer, capable avec ses mains colossales — parmi les plus belles depuis Lascaux — de combiner une corde remisée, de la ferraille au rebut, du carton usagé, du bois flotté, ce genre de choses qu’il brassait en des protocoles alchimiques surhumains, tout un système incarné débordant d’improbables Arches de Noé, exacts galops, ébrouements à point nommé, envols soudains dans la lumière d’une vie si vivante qu’une fois retombé le rideau du Théâtre de la Licorne, on aurait parié que, de l’autre côté, les assemblages de corde, de ferraille, de carton et de bois continuaient de galoper, de s’ébrouer et de s’envoler, là-bas comme en nos cœurs aujourd’hui.

  

Photo / Patrick au jeu des 7 différences : saura-t-il distinguer le vrai Brulois du faux Bébert ?

L’ouïseaunet et sa contrerime

.

L’ouïseaunet et sa contrerime, ou comment
l’ordre des vers va en infléchir le sens.
On explorera ici une classe d’ouïseaunets
convertibles en contrerimes. La structure
initiale sera de 4-4-3-3 syllabes à rimes
embrassées, cela de sorte que l’inversion
des vers médians ménage la syntaxe mais y
apporte nuance au sens initial du poème :

Mille sardines !
Les pélicans
plongent quand
tous en dînent.

Mille sardines
plongent quand
les pélicans,
tous en dînent.




À plus d’un titre
et autres noms :
ci Baron
d’Oise-aux-Pîres.

À plus d’un titre,
ci-baron
et autres noms
d’oiseaux pires.




Voler des pages
en revenant
aux romans
de voyage.

Voler des pages
aux romans
en revenant
de voyage.




Quel vol d’aigrettes
aux épluchures,
je le jure
sur ta tête !

Quel vol d’aigrettes !
Je le jure
aux épluchures
sur ta tête.




Variante de comment basculer d’ouïseaunet
à contrerime grâce à des vers holorimes :

Tu téléphones
nous sanglotons
Avion
monotone

Tutelle et faunes
À vie on
nous sangle aux tons
Mon eau tonne




Idem avec calembours (ou contrepèteries).
1er exemple, rimes plates puis croisées :

Sardanapale
mangeait nos râles :
geai menu
de minus,

sardine à poils,
gemmes nues...
mon général
diminue !




Des macs hérons
trop dégueulasses :
l’appeau catche...
mirliton !

Décaméron :
là Boccace
droguait de glaces
mil litrons.




(à suivre...)

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