Le blogue de Robert Rapilly

Maliettes

Plusieurs réécritures des "mœurs des maliettes", oiseau imaginaire dans L'Arrache-cœur de Boris Vian, Oulipien de l'année 2025 chez Zazie Mode d'Emploi.




La Maliette en soi —

La maliette ulule un air comme il lui sied,
elle ne mange pas la mûre blanche et molle
d’où s’imprègne l’effluve en sa gorge à corolle.
La maliette au for patient et douillet

ne picore aucun fruit, car si le bruit brouillait
l’accord tout d’harmonie alors qu’elle s’envole,
elle mourrait au son palpitant du symbole,
sinistre octave et morne idéal inquiet.

Esquissant ses atours, duvet couleur de suie
dont on fait une eau-forte, un fertile burin
cisèle élégamment d’un trait son œil de lune…

Mais meurt la maliette à moins qu’elle ne fuie :
en elle nul boyau, ce corps n’enrobe rien
qu’un cœur pourquoi sans fin la maliette ulule.

Premier sonnet, d'après Les Vers à soie de Jacques Roubaud.




La Malieta —

Je suis la maliette à cœur vif et fragile
qui pince — occulte graine et contour du secret
où se dévoile en sorte un burin si fertile —
l’orbe encre caviar pour un autoportrait.

Dégarnir un chapeau, cette scène mutile
la suie ornant mon frac, qu’alors déchirerait
la peur d’un dos tourné, cause à vos yeux futile
mais dont sommeille l’ombre en morose forêt.

Las, qui m’étudiera ?... Qui saura me décrire ?
Mon poitrail rouge est corps de petite souris ;
j’ai gravé sous eau-forte une page de cris...

Je n’ai de foie au torse accroché, rien n’y gire
ondulant, fors le cœur, loge à spirituals
quand d’autres animaux n’ont qu’organes banals.

Un autre sonnet, d'après El Desdichado de Gérard de Nerval.




La Légende des Maliettes —

Jacquemort, bon docteur d’ornitho-dysphorie,
soigne en Cocagne un piaf au cœur triste, il s’écrie :
« Rond chapeau ! Rond chapeau ! Que ne le garde-t-on
sur nos cheveux trop blancs : la mort est sans pardon
pour la Douce des Airs, la maliette ailée.
Elle a peur de nos fronts et s’enfuit accablée. »
Alors le toubib grave avec pointe et burin
le corps blessé qui clamse au maudit galurin,
au vil coucher qui tombe, aux bruits de nuit vilaine.
L’oiseau n’a de repos qu’occis, ô cantilène !

Le psychiatre en vient à l’éros enfoui
qu’un doigt clinicien pointe, au risque inouï
que meure, comme on meurt par abus de souffrance,
la maliette : enjeu des experts de la transe,
défi d’animaliers qui n’ont pas quatre bras
et manquent, car trop lents, le poitrail rouge et ras,
le cou, les cris légers, l’effroi sur le plumage,
l’impalpable frisson dont s’écoute une image...
enfin ce cœur bombé qui se tienne en dedans
sans organes banals autres d’êtres vivants.

Réécriture en assonances des 2 premières strophes d’Aymerillot.




Sélénets de la Maliette —

Mœurs des maliettes,
lisons Jacquemort,
ses notes expertes
sur un gros support.

Il confie un livre
en riches papiers
au burin fertile
d’as animaliers.

Oiselle en eau-forte,
un jeu de couleurs
savamment rapporte
l’ordre de ses mœurs.

Ça fait d’en prendre une
pis qu’épouvantail,
pique à l’œil de lune,
au rouge poitrail.

S’il faut qu’elle fuie
de vie à trépas
en robe de suie,
n’hésitera pas.

Par chansons et fables
ses traits sont décrits,
plumes impalpables
et cris de souris.

Sujet de martyre,
lui tourner le dos,
ou si l’on retire
bérets et chapeaux,

ou qu’on la regarde
un peu trop longtemps...
survient la camarde
dès quelques instants.

La nuit n’est pas tendre
ni déjà le soir,
leur souffle à s’entendre
étouffe l’espoir.

Maliette à huppe,
fragile pourquoi ?
Tout un cœur l’occupe
sous frêle paroi.




Nox maliatarum —

« Nox maliatarum » s’avisa Jacquamarcq
— son latin copiait Buffon, Darwin, Lamarck...
Qui, pour approfondir mon imparfait savoir ?
Par quoi, maliata, m’instruirait-on t’y voir,
sauf dans un folio tout d’illustrations
sous un burin rompu rainurant mil sillons
par la main d’un Franz Marc ou d’un Fantin-Latour ?
Ô toi, maliata, tant à la nuit qu’au jour,
si jamais l’on fixait ton iris lilial ;
ou frôlait l’obscur khôl autour ton roux poitrail ;
à moins qu’un pavillon n’ait ouï d’aigus cris
— ta voix sur nos tympans imitant la souris —...
tu mourrais au contact d’un doigt ou d’un fanon ;
sans raison tu mourrais pour un oui pour un non,
pour un galurin bas, pour un ris, un chagrin,
pour un couchant hâtif, tu mourrais pour un grain !
Tu n’as, maliata, saisissant animal,
fors ton gros palpitant aucun boyau banal.

Ce poème dresse le constat de notre nuit d'ignorance quant aux maliettes ("nox maliatarum" en latin certifié) et à leurs œufs disparus.




Maliette vs pinsonogryve —

1) Maliette décollant sur coussin d’air —

Mœurs des maliettes se dit Chakemort. Les étudiera-t-on ? Saura-t-on les décrire ? Mieux vaudrait un énorme livre sur vélin couché illustré de ciselures en couleurs : celles dues au burin virtuose de nos meilleurs animaliers. Maliettes ô maliettes on devrait creuser vos mœurs ! Mais las d’une occasion où saisir une maliette — bel oiseau couleur de suie au torse roux et à l’œil de lune et aux cris subtils de minuscule souris. Maliette tu mourras si l’on touche de l’index le moins lourd ton duvet éthéré — ou tu meurs à la moindre cause si l’on t’observe à l’excès ou si l’on rit en te détaillant ou si l’on te tourne le dos ou si l’on enlève son béret — ou encore si la nuit s’entend et si le soir tombe très tôt. Maliette subtile et tendre : toi dont le cœur se tient à l’intérieur de tout ton volume — là où les autres bêtes recèlent des viscères banals.

Boris Vian - L’Arrache-cœur - 1953
Volet XXI - 28 octembre

2) pinsonogryve piégée sous un appeau —

mœurs pinsonogryvesques, pensa jacquemoy : qui pour évoquer, qui pour examiner...

ça exigera un gros corpus sur papier premium, épreuves imagées en nuances copiées au crayon ingénieux par nos as graveurs.

pinsonogryve, personne ne creuse ses mœurs ; mais pis, personne jamais pour en agripper une, pinsonogryve imprégnée en suie, à gorge rouge, aux yeux vénusiens, aux cris comme pépie une souris...

pinsonogryves qui mourrez si on pose sur vos pennages aériens un pouce ou un majeur vaporeux ; qui mourrez pour une cause mineure ; qui mourrez si, sous nos yeux, on vous vise sans une pause, ou on rie à vous voir, ou on vous esquive ; ou encore on range son casque, ou on oie une sorgue, ou un soir exagère son arrivée précoce.

pinsonogryve exquise, gracieuse avec un cœur qui occupe, en son giron, un copieux espace, çui où quiconque oiseau a réservé séjour aux organes prosaïques.

joris vian, un coupe-cœur
passage seizun, cinquonze januin

1) Lipogramme en f, g, j, p, q, y et z (les lettres à jambage en écriture manuscrite) ; absence de virgules, points-virgules et de tout signe ou fragment typographique qui dépasserait l’interligne par le bas.

2) Lipogramme en b, d, f, h, k, l et t (les lettres à hampes en écriture manuscrite) ; absence de capitales, de points d’exclamation ou d’interrogation, de tout signe ou fragment typographique qui dépasserait l’interligne par le haut — sauf les accents divers et points sur les i & j.

La Disparition avant-propos rimant

L'avant-propos de La disparition est accessible en ligne, précédé d'un sonnet d'alexandrins en 11 syllabes (sic) de Jacques Roubaud et suivi d'une douzaine de pages du premier chapitre. J'en ai ci-après assez librement versifié le tout début, voyelle E disparue va sans dire — brouillon sujet à de fréquentes et sensibles modifications jusqu'à nouvel avis.

La nouveauté ici, à la suite des réécritures dans "La disparition" de Mallarmé, Rimbaud, Baudelaire ou Hugo, sera dans la prosodie, fidèle à l'époque de ces poètes — ce dont Perec s’est joyeusement dispensé, avec l’assentiment probable de son complice Marcel Bénabou. Par exemple la terminaison "-ion" compte pour diérèse, l'hiatus sera proscrit, on veillera à la liaison supposée (ou "rime pour l'œil"... qu'il vaudrait mieux nommer "pour l'oreille baroque", le 19e siècle faisant encore comme si la consonne finale était audible), etc.

On trouvera en bas de cette page davantage de détails techniques relatifs à cet état provisoire du texte.







I — Chant introductif / Un piaf qu'on n'ouït jamais -

Vaillant sans faiblir a dû
Quand mon souhait s’y lança
Jaillir l’ostinato tu,
Fracas ici, motus çà :

Cri toujours loin du buisson
Ou suivi par nul phono,
Piaf qu’à jamais nous n’oyions
La nuit ni d’a giorno.




II — Tripla Rima -

Lisons l’avant-propos d’où l'on apprit plus tard
qu’un bruit s’inaugurait, d’abord pris pour un faux :
hou ! la Damnation nous assignait rancard.

Ô marins au compas pointant trois cardinaux !
Politicards soumis au trust anglo-saxon !
Tous l’auront fait savoir par flashs aux radios...

Buzz insignifiant ? Intox à la flonflon,
ou risquait-on la mort ? L’info sur maints placards
affichait mil martyrs par inanition.

L’opinion suivit, qui lors invoquant Mars
s’arma d’un gourdin fort, balança son grappin
aux portails, aux parois, aux murs, aux huis d’hangars.

Tout un pays hurlait : — Argh ! nous voulons du pain !
On conspuait patrons, nantis, pouvoir publics...
chacun pour soi, qu’on fût franc-maçon ou rabbin.

Qui maraudait la nuit ? À coup sûr aucuns flics,
trop craintifs d’un contact aux pillards du frigo
bâfrant du cachalot — l’ord gang à Body Mick’s.

Ça conspirait partout ; titan, troll, virago
furax ont mis la main sur Mâcon, sur Pirou,
puis sur Rocamadour, Clignancourt, Monaco...

Glouton du bon plaisir, brutal, pillait-on prou
du thon, du chocolat, du maïs, du curry :
frichtis subtils ad hoc aux crocs d’un loup-garou.

Par kilos, par quintaux... si ç’avait l’air pourri,
haro sur toi, marchand idiot ou fautif,
car nous guillotinons, clouons au pilori !

Un slogan foisonnait : — Foin d’administratif.
Il s’agissait, dit-on, d’abolir tout pouvoir ;
on vous aurait tondu nonobstant sans nul tif.

Au mitan d’un rond-point — titrait un blog du soir —,
on cracha dans l’hanap d’un sacristain catho
oignant un argousin mourant sur son trottoir.

Un yatagan frappait ? Un flot d’avis mytho
distillait son pathos au substrat du journal,
pourvu qu’y figurât du sang sur la photo.

On tuait son frangin pour un saucisson d’ail,
on tuait son cousin pour un croûton bâtard,
on tuait un quidam pour un quignon morfal.




III — Pantoum -

Dans la nuit du lundi 6 avril au mardi,
On compta vingt-cinq fois l’impact sourd du plastic
qu’un avion largua... bang ! sur la Tour d’Orly.
L’Hôpital Saint-Louis posa diagnostic.

On compta vingt-cinq fois l’impact sourd du plastic
qui toucha l’Institut, qui fuma l’Alhambra.
L’Hôpital Saint-Louis posa diagnostic :
l’abus du glas pour sûr accroît la furia.

Qui toucha l’Institut ? Qui fuma l’Alhambra ?
Pour l’opposition un truc avait failli :
l’abus du glas pour sûr accroît la furia !
Façon Saint-Just, un dur attaqua, malpoli.

Pour l’opposition un truc avait failli :
Palais-Bourbon ou pas, l’on y vint aux jurons.
Façon Saint-Just, un dur attaqua, malpoli ;
à foison on vomit d’avilissants affronts.

Palais-Bourbon ou pas, l’on y vint aux jurons
— à part vingt-trois plantons, bâillon autour du cou.
À foison on vomit d’avilissants affronts
quant aux marquis blafards raccourcis du caillou.

À part vingt-trois plantons, bâillon autour du cou,
on garrota du col un lascar hors-complot.
Quant aux marquis blafards raccourcis du caillou,
un plumitif barjo bombardait un brûlot.

On garrota du col un lascar hors-complot.
Dans la nuit du lundi 6 avril au mardi,
un plumitif barjo bombardait un brûlot
qu’un avion largua... bang ! sur la Tour d’Orly.




IV — Stupor Mundi 1 -

N’usant du yatagan ni d’incisif surin,
un colon du Kansas lisait La Vis du Rail ;
voyant son canasson maladif du poitrail,
plutôt qu’hara-kiri, l’abattit sous un train.

Un cow-boy du Kansas accablait son bourrin,
il l’avait alourdi d’un compact attirail :
colts, fusils, bazookas, saint-frusquin d’un travail
dont l’animal mourut… ô guignon, ô chagrin !

Or, un instant plus tard, agrippant un mustang,
surgit Wild Bill Hickok ; il domptait tout pur-sang
mais, barjo, prit Isou pour Sioux à dada.

À moins qu’il galopât, Rossinant trottait-il ?
On l’ouït qui courait : tagada tagada…
quand d’un coup son sabot sauta sur un baril.




V — L'Antichrist à Longchamp -

Il cravachait au point qu’on n’aurait jamais cru
aucun harnais ad hoc aux impacts d’assommoir :
quand advint Attila, sans bonjour ni bonsoir,
il cavalait assis sur quoi ? Du bison cru.

Sancho Panza cabot aboya-t-il, waf-waf ?
Son bourricot Grison broutait un talipot,
mais Buridan confus tournait autour du pot :
qu’assouvir tout d’abord, la faim sinon la soif ?

Promu Grand Postillon par la vox populi,
qui liquida Longchamp, gain au Monopoly
moins vingt-cinq millions soustraits du fisc au turf ?

Vlad ! L’uhlan moustachu barbu poilu rouquin,
montait Aliboron ; on l’applaudit du bluff
couronnant son dada : kokoshnik sur du crin.




VI — Saga -

Un caporal zinzin s’affolait d’avoir faim.
Il flinguait à-tout-va, son bazooka soudain
pointant son bataillon ; on l’a vu massacrant
du commandant-major jusqu’aux soldats du rang.
Il cannibalisa tout à trac bras, doigts, mains,
bouts qu’il accommodait sur du jambon d’humains
y rajoutant du coq, du faisan, du dindon.
Pour qui sonnait son glas, pour qui trois din’ ding’ don' ?
Quand l’aigri morfalou hurlait à cor, à cris,
tant humains qu’animaux, on courait aux abris.

S.O.S poussins :
toujours un goupil rôdait
aux abords du ranch.
Chut, la maman du chapon
à huis clos pondit un... ouf !

Un champion d’aviron grimpa sur un pavois.
Un pavillon puissant amplifiait sa voix,
galvanisant l’afflux. À son cocorico,
la tribu proclama : — Couronnons l’illico
"Attila III" grand roi… sinon "King Fantômas" :
ça fait plus imposant ! Mais vu qu’il n’aimait pas,
on l’assomma sitôt pour choisir un couillon
à qui l’on impartit un stick à cabochon,
un plastron, un gibus, un bâton d’acajou.
Puis on l’accompagna, promu Grand Manitou,
dans un lourd palanquin, cap sur Palais-Royal.
Il n’arriva jamais : un gus provincial
cria : — Mort au tyran ! Imitant Ravaillac,
il l’ouvrit au rasoir, du nombril au colback.
Alors qu’on l’inhumait au columbarium,
un commando surgit, ahuri d’opium
qui du sol au plafond, n’y sachant trop pourquoi,
profana la koubba… bandits sans foi ni loi !




VII — Lu dans La Voix du Nord -

Un motif incongru convainquit un commis
au trois quarts abruti qui voulut qu’aux ch’timis
— du matin jusqu’au soir, schlass, boit-sans-soif, soûls, ronds —
on prohibât bistrots, bars, zincs... tombals corons
où la soif apparut : point d’alcool doux ni brut,
on souffrit du typhus, on clamsa du scorbut.
Un Lillois subclaquant zappa du "Profundis"
à l’air dont sa maman l’hypnotisait jadis :

Dors min p’tit quinquin
Min p’tit pouchin
Min gros rogin
Tu m’fras du chagrin
Si tu n’dors point j’qu’à d’main




VIII — L’instant chirurgical -

Pour un oui, pour un non, on virait assassin :
d’Arras à Locquignol, d'Azincourt à Wormouth,
chacun son tour viandard, chacun son tour kapout.
Ô Nord carillonnant maint sanglot, ô tocsin !

Durant qu’on s’acharnait sur l’hôpital d’Anzin,
un toubib furibond profita du raout.
Il mixa mort-aux-rats au sirop : fatal moût,
drink qu’il administra dans un dortoir voisin.

Doc Folamour autopsiait brancard, sofa...
Qui ronflait tout son soûl armait sa mafia
à vif d’un bistouri hard à l’instar du pal.

S’il zigouillait la bru, Doc poussait son mari
dans un chaudron bouillant, output conjugal.
Hosto capharnaüm ! Mouroir charivari !




IX — Saga bis -

"Prairial" disait-on jadis du Champ, du Fruit.
Mai fut-il joli mois, l’an VI fois X plus VIII ?
L’almanach à Paris pronostiquait la paix
quand son Faubourg Latin y chamailla tout faix...

Hallucination ? Tour d’un mauvais plaisant ?
Un fada corrosif fut surpris arrosant
un bon quart du Faubourg Saint-Martin au napalm ;
l’ignition fondit la poix du macadam,
tout un chacun rôtit dans l’S (un autobus).
Quid d’un Caïus Gracchus, d’un Fabius Maximus
quand Habsbourg poignarda Saint-Just, sachant qu’Othon
combattait l’Atatürk, Mata-Hari Danton ?
Nom du Salut Public ! Marat tapa du poing
quand un Charlot Corday lui piqua son shampooing ;
vingt-six moins un vingt-cinq, calcul tout intuitif
sans ordi ni stylo, il lui manquait un tif :
çui qui poussait pas haut, qui figurait un rond
non pas tout à fait clos, mais qui barrait son front.
Corday saigna Marat amolli dans son tub ;
imaginons l’impact : bingo d’un coup, la pub !
Son avocat marron plaida qu’on abolît
l’outil à Guillotin, qu’il mourût dans son lit.
L’à-propos Girondin opposait son holà
aux slogans montagnards convoquant Dracula...
mais, sournois, il brandit haut sa kalachnikov
sur qui du tribunal formulait « non » — ou « bof ».

Boum ! l’ultimatum
À cinq magistrats
Vit comptant quorum
D’autant sous contrats

Du scotch brut alcool
Sparadrap d’Haddock
S’affaissait formol
Qu’imbibait un bock

Trois jours plus loin, tous azimuts tirait un char.
Ainsi donc s’imprima point final au pouvoir.
L’adjoint municipal qui monta jusqu’aux toits
du bastion vaincu paniquait, aux abois ;
agitant un drap blanc, il glapit au micro
— Capitulation ! Sus au politburo !
ajoutant aussitôt qu’il offrait, quant à lui
pour garantir la paix, son plus loyal appui.
Sursaut improductif car, sourd au baratin,
l’imposant tank d’assaut rasa l’honni fortin,
atomisa l’adjoint, broya la garnison,
concassa corbillards (y compris cargaison),
bousilla wagons-lits, victorias, motos,
autocars, trains, taxis, landaus, fourgons-postaux...
La raison s’obscurcit d’un fol coup du lapin
quand C-Niouz bavassa : — Hourra Marin Lupin !
Sous mil vasistas clos sans halo ni pardon,
s’abattit un coma plus profond qu’un bourdon.




X — Coda hors gabarit -

Soir d’autan d’ouragan d’inondation
Tout vigilants lisons un manga
Traduit du roman Hauts d’Aquilon
Or choc soudain la fulguration fait du flot continu un vrai grain

Ici foudroyant là diffus un tourbillon
Dirait-on il bat la frondaison
Dans un gris nocturnal
S’infiltrant aux bords du châssis

Un courant d’oblongs fils ondoyants va
Soumis aux coups d’un bouc soufflant
Sur l’abondant flux qu’humains ou gazons ont proscrit

Non plus la fulmination qui vous voit bondir
À la façon d’un gamin
Ou l’autan proclamant quasi aboli tout gong du soir




XI —Post-scriptum quant au plomb rond pas tout à fait clos -

Intact à soi toujours mutant aux infinis,
Troubadour, il frappa sous son yatagan nu
Un aujourd’hui hagard pour n’avoir pas connu
Quand la mort triomphait par signaux inouïs.

Djinns ! un trop vil sursaut s’oyant jadis du Styx
Ouvrit un for plus pur aux mots dans la tribu ;
Alors y proclamons si haut talisman bu
Qu’un flot court d’infamants profonds brouillaminis.

Du sol puis d’un azur alarmants — ô chagrin
D’aucun plan vis-à-vis qu’ajustât un burin
Dont wigwam ni koubba n’affichât nuls rayons ! —,

Bloc gisant ici-bas chu d’un guignon obscur,
Son granit tout du moins n’arma jamais jalons
Aux noirs vols profanant maint chaos du futur.




XII — Imago d’imago -

Dix purs doigts au plus haut consacrant un onyx,
Minuit, fonds du chagrin, arc-bouta, clinquant tors,
Maint soir dont l’imago brûla vif un bombyx
Qui butinait banni d’abstrait hanap aux morts

Sur nos bahuts au salon d’abandon : nul ptyx,
Aboli talisman d’un hallali sans cors,
(Car l’occupant parti du fumoir jusqu’au Styx,
Pygmalion, puisait à nos sanglots majors.)

Mais non loin du châssis au nord vacant, un or
Agonisait suivant un plan du corridor
D’opalins flambants cobs ruant aux rifs du stick,

Lui, cirrus disparu fors son miroir — tussor ! —,
Fixa dans l’oubli clos, sitôt huis sur batik,
La scintillation, moins un à l’octuor.




Augustus qui frappait un accord atonal
nota qu’Haig vacillait, droit puis diagonal.
D’un coup tout valdingua, kif-kif aux dominos.
— Au sol nos baldaquins, pour plafond nos linos,
l’azur sous nos panards basculant d’horizons
aux summums abyssaux ? Donc palindromisons :

XII — Juron d’Augustus sursautant -

Tortura-t-on mix à mort si Bob a valu ?
D’un nocif fusa mac, il lia, jura trop :
— Par un as noir si mou qu’omis rions à nu !
Rapport à ru jailli, ça m’a suffi connu
du lavabo-bistro : Maxim nota rut rôt.








On a donc pu lire successivement :

- une introduction d'après Petit air II, y compris la rime dérogatoire des vers 5 et 7,

- des strophes en terza rima,

- des vers au format d'un pantoum bouclé,

- deux sonnets sur 25 lettres où alternent rimes vocaliques et consonantiques,

- des rimes plates ad libitum entrecoupées de formes diverses : tanka de basse-cour, berceuse ch'ti, sélénet qui sous-entend l'-E surnuméraire des rimes impaires (comme dans "Au clair de la lu-nE" : "ultimatum" => "ultime ato-mE", "vit comptant quorum" => "vicomte encore hom-mE", "du scotch brut alcool" => "du scotch brutal col-lE", "s'affaissait formol" => "sa fesse est fort mol-lE"),

- un sonnet en vers libres inspiré de Harry Mathews,

- un sonnet en postface, hybridation de Mallarmé et Perec (les rimes féminines étant impossibles, l'alternance se joue entre mots au singulier et au pluriel (S ou X finals)),

- puis une traduction du Sonnet en X de Mallarmé, dont la version initiale s’intitulait Sonnet allégorique de lui-même transformé en "Imago d'imago" (remarque 1 : le lipogramme en E interdisait a priori l’alternance des rimes, qui s’est jouée ici par blocs entre quatrains pluriels (-yx, -ors) et tercets singuliers (-ik, -or) ; remarque 2 : la syntaxe colle au modèle qui, cela ne saute pas aux yeux, circonscrit le poème en une seule phrase incluant la parenthèse des vers 7 & 8),

- enfin une incursion au chapitre 13, dont premier jet de palindrome sibyllin incluant le non moins abscons juron d'Augustus sursautant dans le roman (Par Un as noir si mou qu'omis rions à nu !), extrait à insérer quelque part quand la syntaxe en sera satisfaisante.

À suivre ? euh... il resterait 300 pages avant d'avoir épuisé le roman.

De la sérendipité en cuisine polyglotte

Exercices de style d'après un souper amical en Belgique. La recette de Bart Van Loo avait malencontreusement traduit poivrons flamands en piments français. Pour adoucir son potage incandescent, Bart nous a suggéré de le saupoudrer d'avoine, flocons si succulents que nous avons surpris des charançons pique-assiettes en train de s'en goberger.
Un des sonnets à suivre mentionne Lol parmi les convives, à savoir Olivier Salon, auteur désormais de deux exploits invraisemblables : en Californie il a escaladé El Capitan ; chez Bart il a mangé sa soupe jusqu'à la dernière cuillerée.




Aux fins d’étalonner l’échelle des piments,
dînâmes-nous un soir chez des hôtes flamands.
La soupe y reflétait, de sa robe avenante,
un pieux clair-obscur : atmosphère flamande
où l’hospitalité précède chaque vœu.

Alors qu’on déglutit, s’ouït un râle : — Au feu !
Quel distillat jailli de cuves Soufrière
chambardait nos boyaux dès la prime cuillère ?
Consécutivement de la sorte épicer,
un griffon sur nos reins tançait : Sortez pisser !

Épisode suivant, ces mythes et légendes
s’en vont nous régaler de mites alléchantes...




De la sérendipité en cuisine polyglotte —

Le 7 décembre 1864, Alfred Nobel, encore indécis sur sa carrière, séjournait à Klow. Il s’essayait au métier d’éditeur gastronomique et travaillait à un guide de menus exotiques européens. Ce qui l’intéressait en Syldavie, c’étaient évidemment les matrices médiévales figurant les premiers festins de la dynastie Ottokar. Rendez-vous avec le professeur Nestor Halambique, le savant sigillographe qu’il retrouva penché sur un idéogramme figurant la recette du sprbodj, saucisse vernaculaire des Balkans. On était côté cuisine dans l’auberge du chef étoilé Bharts-Vnloowkz. Conversation jubilatoire du français au suédois, du suédois au syldave, et inversement. Le mélange d’ingrédients et d’idiomes n’empêcha que l’on reconstituât la recette originelle de la saucisse syldave — du moins une formule approchée. Des gastronomes tatillons objecteront plus tard qu’un jeu de paronymes leur fit confondre le sel (solzk) avec du glycérol (zklos), les condiments (füszerekz) avec l’acide nitrique (zkűszeref), la chair à saucisse (kolzbäsz hursk) avec la terre de diatomée (zolkbusz harsk), le tout sous forme de bâtonnets enveloppés de papier alimentaire façon Bouillon Kub. N’empêche, aux approximations près, le succès ne laissait place au doute. Ç’allait faire boum à la fois dans les tubes digestifs et les galeries de mines.




Sonnet lipogramme en E ; "Loo" monosyllabique ; rimes alternées d'Ô fermés et O ouverts. —

Bart Van Loo marmiton n’ouvrit un snack à Qom,
non plus à Zanzibar, ni sur un oppidum.
Son bouillon s’infusait d’incisif capsicum
local, aussi piquant qu’un court-jus par loi d’Ohm.

Pour saisir un poivron, faut-il l'outil ad hoc :
fin cuistot, il brandit un tranchant tomahawk
dont l’à-coup ondulant à l’instar du moon-walk
mixa du paprika planant, kif-kif Woodstock.

Confus du ciboulot, Lol tangua jusqu’au hall,
au comptoir s’accouda, but un cocktail au khôl ;
vis-à-vis du miroir s’y maquilla d’alcool...

Impact, on l’a compris, au point d’un punching-ball
dans un corps convulsif : son boyau fit du crawl !
— L’assaut du Capitan fut plus cool, conclut Lol.




Sonnet lipogramme en E & W où "Lo-o" est dissyllabique tel le Booz de Victor Hugo ; diérèse classique à la fin de "positi-on" ; alternance de rimes consonantiques et vocaliques. —

Van Loo s’alita, fourbu par un travail
qui du matin au soir fouissait maint sillon.
Il a fait son plumard dans la position
où toujours il pionçait, non loin du bon bucail.

Avant qu’il s’assoupît, Van Loo çà soupa
d’un bol au sarrasin — on dit "bucail" au nord,
bouillon qu’il parfumait au choix d’un chili fort
ou qu’il accommodait d’un pur jus paprika.

La soif, qu’on fût humain ou charançon gourmand,
son silo l’apaisait d’un frais cocktail flamand
dormitif d’harissa mi-grisou mi-cactus.

Tout somnolait dans Ur, dans Looz-Borgloon.
Par l’horizon divin jusqu’à Sarimaktuz,
sa faux d’or rayonnait aux champs d'Amphitryon !



Le Renard et l'Harissa

Certain Renard wallon, d’autres disent flamand,
Apprenti Lucullus par le bouche-à-oreille,
Pelait des gousses de piment
Pour corser la salsepareille.

Ardent fut son bouillon infusé d’harissa
Vrillant son œsophage en cintre.
Et son pelage roux de feu se hérissa
Sans qu’il en pût la torche éteindre.




Riquet à la Soupe —

Instruit en cosmétique d’art
et charançons à crête en dard,
Riquet appareille sa Houppe :
il l’enduit de piquante soupe
puis harponne, Dame, ton cœur.
Recette de l’amour vainqueur.




Exquise soupe au piment rouge,
hélas n’en reste qu’une louche...
Ces gens encourent le danger
de se battre et non partager.
L’orde hécatombe s’est conclue
au bloc en urgence absolue.

    

(Photo : Sud-Ouest du 28 février 2025)



Le jardinier qui a fourni ses légumes à Bart se prénomme Dirk. Ayant lu la prose et les poèmes qui précèdent, Dirk précise qu'il fut en effet un peu surpris que Bart lui commandât assez de piments qu'il en fallut à Néron pour incendier Rome. Cela vaut bien une dédicace :

Il n’est d’incandescente Frousse
des Ducs de Bourgogne et Rois d’Ourcq,
ni d’obscur côté de la Farce
aux mains du tordant Vador Dark,
n’est non plus d’écrasante Force
au cœur des Princes qu’on sort d’York...
que n’effrite en pays de Frise
l’Onguent piquant du Druide Dirk !




(à suivre)

Babel 2025

.

Pot-pourri de Ronsard (d’après Les Amours & Odes II) :

Je me relie et me délace (...)
Page, reverse dans ma tasse !

La Pléiade tenait 441 pour Nombre de Babel cardinal...
1585-2026 : anticipons l’an prochain une commémoration
grandiose des 441 ans après la disparition de Ronsard.
Cadet de Nostradamus, Ronsard affecta une posture tout
en contradiction du vieux maître : « Il dit l’avenir ?
Eh bien, remontons le temps ! » Il usera alors du vers
comme filon étymologique à "renversement", et usant de
ces fréquents va-et-vient d’un état contraint (« je me
relie ») ou relax (« et me délace »). Le "reversement"
est l’exemple d’un autre usage de la racine "vers", où
il met en scène son disciple Rémy Belleau, assimilé au
page doublé d’un échanson généreux. Ronsard consacrera
parallèlement un authentique culte à la Muse Calliope,
qui le fait remonter, comblé, à la vie intra-utérine :

Dedans le ventre avant que ne je fusse,
Pour t’honorer tu m'avais ordonné :
Le ciel voulut que cette gloire j’eusse
D’être ton chantre avant que d’être né.

Cet extrait du Second Livre des Odes signe une posture
existentielle palindrome, comme "vers" sera "renversé"
et "reversé" ou qu’une alternance vitale le lace, puis
délie, puis lace sans fin. Avant nous dès 1960 en note
de son Traité de Prosodie (éd. Ichthusson, Bruxelles),
Gilbert Farelly datait ce caractère singulier du poète
au moment de la puberté, où un premier "poil" de barbe
orthographié à l’envers apparut portion de "Calliope".
Il n’en fallait pas plus que Farelly compose un de ses
fameux haïkus pré-oulipiens, en hommage à Ronsard et à
Rémy Belleau - prénommé" Rémi" sans Y afin de tenir la
contrainte palindrome doublée d’une gématrie = 441. Un
autre Rémi, Schulz notre oulipote, a relevé que le mot
central "lace" a 21 de gématrie, racine carrée de 441.

Rémi reversa
Le Poil lace Calliope
L’As rêve rimer

Jacques Roubaud

Ce billet, sommaire à l'annonce de la disparition de Jacques Roubaud, se verra complété au fil de souvenirs qui me reviendront de lui.




Jacques Roubaud alias JR né le 5 décembre 1932 est mort aujourd'hui, anniversaire de ses 92 ans.

J'ai eu la chance depuis presque deux décennies d'une correspondance suivie. Il était gentil, réservé (mais avec quelle allure !), disponible dès lors qu'il s'agissait de Zazie Mode d'Emploi, de poésie universelle, de littérature potentielle. Et il m'a conforté d'écrire sans renoncer aux protocoles et contraintes sévères ; cela ne l'empêchait pas d'exceller partout, y compris à composer les comptines les plus charmantes et accessibles — cf. "Les animaux de personne" et "Les animaux de tout le monde".

Un fichier monumental occupe la mémoire de mon ordinateur, pans entiers du corpus roubaldien qu'il avait confiés à une douzaine de camarades avec lesquels il n'était pas brouillé — ça lui arrivait en effet de se fâcher, on ne comprenait pas toujours pourquoi. En tout cas voilà des centaines de pages que j'ose à peine explorer. Trop fort pour moi, sauf la typographie et la ponctuation, désinvoltes ; il avait sans doute plus urgent à faire que de se relire.

JR a été joyeusement surpris en 2006 de lire les "2 × 20 cœurs" sur la photo. Cela ressemblait pas mal à son recueil Cœurs paru à la Bibliothèque Oulipienne. Suivant un protocole marrant, j'avais composé des quatrains imitant les siens... sans les connaître encore, juste selon une description de Gilles Esposito-Farèse après d'une lecture de l'Oulipo à la BnF.

Un jour je me suis marié avec Christiane V la Jardinière, et notre voyage de noces a été calqué sur l'itinéraire des troubadours comme rapporté par Jacques Roubaud. Il en parle comme d'un instant fugace suspendu au fil de l'Histoire. Roubaud a dit Lastours, nous irons à Lastours. Sensation de poursuite... trop tard sous le cagnard en pensant à JR infatigable marcheur ? Là-haut les archéologues ont retrouvé les reliefs d'un repas précipitamment interrompu par l'arrivée d'assaillants Croisés.

   

Quelques liens à JR, le premier chez Zazie Mode d'Emploi, les autres ici :
- Les vers à soie
- Colloque séricicole
- Roubaud plagié par Mallarmé
- Hugo a-t-il plagié Roubaud ?
- etc.

Sonymes

Le sonyme a été ainsi nommé (on peut dire trouvé) par Gilles Esposito-Farèse. Le billet ci-après compile des tentatives, des imitations, des prolongements de la forme sonyme.




Trois sonymes inspirés des rimes à signes extérieurs de richesse (une autre trouvaille du même Gef) et dédiés à des oulipiens, majeurs les trois :

Qui tancerait vos plumes
du major jappe avec
quittance, rai, volumes :
Dumas, Georges Perec…

Mob ? Idiome ? Un homme
s’allégea que, turbot,
Moby Dick gastronome
salât Jacques Roubaud.

Poe aime Chasles, Sévigné,
gilet Zeiss, prosit, anamnèse,
poème chaleureux signé
Gilles Esposito-Farèse.




Pierre Le Baud avait adjoint un quatrain rimé à son
manuscrit en prose des "Chronicques et Ystoires des
Bretons". Par inadvertance, ce poème fut oublié des
versions imprimées ultérieures. Mais chance que les
éditions Ichthusson de Bruxelles l’aient racheté en
1955 chez Sotheby’s, grâce à quoi nous tirons cette
strophe de l’oubli, pas tant pour nous en distraire
qu’avec l’intention d’une expérience oulipienne des
plus sérieuses. En 1480, le texte de Pierre Le Baud
rapportait en octosyllabes un vif dialogue entre le
Roi Gradlon & Saint Guénolé à l’instant où la ville
de Kêr-Is se trouve face l’imminence d’un tsunami :

— Sanct Gwennole l’Occean frape
Neiera tantost la Citeiz
En abismes de cecitéz
— C’est tens Gradlon que l’on eschape

Cela donnera une fois traduit en français moderne :

— Saint Guénolé, l’Océan frappe
Qui noiera tantôt la Cité
En abîme de cécité...
— C’est temps, Gradlon, que l’on s’échappe !

Réécrivons maintenant ce dialogue au format sonyme,
dont l’apparente rigueur (4, 4, 3, 3 mots) s’adapte
pour sûr aussi bien aux incunables qu’aux modernes.

— J’ois l’han
d’Ys : l’Onde
et l’Ombre…
— Viens-t’en !



Deux sonymes longs, vers de 14 et 10 syllabes.

1) Eleftérios Alexandris a signé en 2006 la toute première réécriture de la rubrique "l'Oulipien de l'année" chez Zazipo, une traduction en grec des Vers à Soie de Jacques Roubaud dont la mesure de 14 syllabes est le standard hellénique classique. Alors, classicisme oblige, prononcera-t-on en retour une diérèse à "étudi-ant", "Eleftéri-os", "aristotélici-en" en un sonyme, quatrain aux vers tétradécasyllabes contraignant à des mots très longs :

Au phénoménologique étudiant propédeute
hellène Eleftérios, son kinésithérapeute
aristotélicien — douillet sériciculteur —
administre cataplasme homogénéisateur.

2) Avec des mots de Mallarmé, décasyllabes 4 + 6 :

L’Azur soutient victorieusement
une clarté véridique sonore.
Hérodiade — écume, châtiment —
argentera Paphos lampadophore.



Sonymes brefs, dissyllabes :

Si un paresseux à Pondichéry
écoute la radio d’Aquitaine,
il entend "roll’n’rock" en 2
syllabes d’où les 4, 4, 3, 3
mots d’un sonyme très bref :

L’aï d’Inde
n’oit d’Oc
qu’une onde
roll’n’rock

Paradis terrestre du Ch’ti =
sonyme en vers dissyllabes :

N’est-ce Ève ?
L’œil d’Oïl
n’en rêve
qu’à poil !



Sonyme Caradec.

Une rue au hasard
L’initiale est bonne
Escamotez tout art
Paname la fredonne

Le pavé rime ainsi
Fredonnons dans la rue
Elle dira merci
La ville disparue



Contrerime & Sonyme selon le 1er principe de Roubaud :

Lorsque votre strophe combine
Des rimes s’embrassant
Avec métrique croisement
Nommez-la contrerime

Poursuivez la même comptine
Quatre mots se doublant
Ensuite trios seulement
Baptisez-la sonyme




Le miroir est un élément explicite du Sonnet en X. Gilles Esposito-Farèse a remarqué la position médiane de la parenthèse (vers 7 & 8), coïncidant justement à celle d’un miroir :

(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)

Cela ne serait pas la seule fois où Mallarmé fusionnerait le sens et la forme d’un poème — cf. Petit air 2. La réécriture ci-dessous d’un autre sonnet fameux, celui du Cygne, tente de reprendre le même effet de symétrie optique, le contexte du lac gelé tenant pour miroir : 3 strophes de rimes croisées FMFM, 1 de rimes embrassées FMMF, 3 de rimes croisées MFMF, chaque strophe étant sonyme (4, 4, 3, 3 mots). L’invention de Gef, reformuler un sonnet d’alexandrins en 7 sonymes de pentasyllabes — un par distique — réduit à peine l’original, puisque l’on passe de 168 à 140 syllabes. Il y a cependant dans chaque strophe l’effet d’haïkaïsation introduit par Raymond Queneau dans "La redondance chez Phane Armé".

Le vierge et vivace
et beau : l’aujourd’hui,
par voilure rase
déchirée, a brui.

Lac hanté de glace,
d’ivresse, d’oubli,
jamais nulle trace
d’envolement fui.

Sans espoir un cygne
a lesté pour frein
l’autrefois sublime
figé de chagrin.

À ne chanter vivre
d’huis ni région,
resplendit l’ion
de stérile givre.

L’agonie en blanc,
son col la secoue,
maudissant l’étang,
vaine psyché floue.

Non horreur du sol
où chut le plumage,
l’éclatant envol
assigne la page.

Froid clus d’idéal,
le cygne en prolonge
l’exil abyssal
revêtu de songe.




Un autre "hexasonyme", celui-là d’après Sur un miroir de Charles Cros, est composé selon une double logique de miroir :
- 3 quatrains de forme "emynos" (3, 3, 4, 4 mots), et 3 quatrains de forme sonyme (4, 4, 3, 3 mots) ;
- les 3 premières strophes avec des rimes M-F-M-F, puis les 3 suivantes sur schéma inversé : F-M-F-M.

Chaque fois, miroir,
que, vertus vaudoues,
elle met du noir
aux sourcils, aux joues

un poudreux parfum
encadrant sa lèvre
de charme et carmin,
tu diras ma fièvre :

« Je dors reflétant
le lyrique ivoire
qu’il poinçonne quand
votre œillade en moire

par ses atours creuse
l’éclat nommé chair
— d’où victorieuse
trichromie en clair. »

Qu’alors tu ressentes
son regard d’humeur
et fins négligentes
à m’abandonner,

brise-toi la glace !
puisque je ne vaux
apprêter sa classe,
pourquoi mes rivaux ?





Un grand sommeil noir de Verlaine modifié de sorte que les strophes 2 et 3 deviennent des sonymes comme l’était déjà la première.

Un grand sommeil noir
Tombe sur ma vie :
Dormez, tout espoir,
Dormez, toute envie !

Je n’entrevois rien,
Je perds la mémoire,
Défiant du bien...
Triste mon histoire !

Je suis un berceau
Qu’une main balance
Dedans un caveau :
Silence, ô silence !




Le poème précédent peut se développer en un sélénantoum dont les strophes soient sonymes.

Un grand sommeil noir
Tombe sur ma vie
Expire l’espoir
Expire l’envie

Tombe sur ma vie
L’écume du rien
Expire l’envie
D'improbable bien

L’écume du rien
S’enivre en mémoire
D'improbable bien
Triste cette histoire

S’enivre en mémoire
De mon vieux berceau
Triste cette histoire
Dedans un caveau

De mon vieux berceau
Qu’une main balance
Dedans un caveau
Pleure le silence

Qu’une main balance
Un grand sommeil noir
Pleure le silence
Expire l’espoir




Vache de Zeus, Rockefeller, Louis Vuitton :
Sous cette Trinité, que fête soit coutume !
Et le dieu protecteur à l’huis de ta maison
Joue en latin la Pâque et ta bonne fortune.

Quatrain d'influence surréaliste (attribué à Gilbert Farelly) que l'on pourrait traduire en sonyme palindrome, par exemple :

Io, Trust et Luxe
Et l’us nocera...
Le Lare consulte,
Exultet sur toi !



Solstice embrasant juin, le cirque d’Olympie
signe un décor parfait : là cet époux à poil,
faussaire, corromprait ma peinte Eucharistie ?
— Va te taire en prison ! tranche le tribunal.

Second quatrain fou de Gilbert Farelly traduisible en ce palindrome fidèle au "sens" initial :

Un été l’arène,
nec à mari nu,
punira ma Cène ?
— Ne râle tenu !



Un forçat fait la sieste, entendez-le railler
le caillou qu’il concasse avant sa limonade.
La brebis de Bashō lui répond « Ô bélier,
Georges dessus tes reins fléchit ta promenade ! »

Gilbert Farelly en 1960 ne pouvait pas connaître Georges Perec, mais on fera comme si, en tirant un sonyme palindrome de cet autre strophe hallucinée :

En gag ce repos :
roc, soda, le bagne…
Renga bêla « Dos,
corso, Perec gagne ! »



Maille à l'envers, maille à l'endroit = quelques sonymes palindromes de mots — dont certains changent de sens, de nature, d'acception, voire d'orthographe : "étale" adjectif puis verbe, "chut" = choir puis se taire, "bouffe" substantif puis verbe... "boîte" & "boite", "ouvre" & "ouvré", etc.

Maille étale il chut,
versa vice, aïe aïe.
Vice versa... chut !
il étale maille.

La bouffe, oiseau-mouche,
grise Iris... la-la !
Iris grise mouche,
oiseau, bouffe-la.

Lui, ferme ouvre-boîte,
marche entre boui-boui,
entre, marche, boite...
ouvré ferme-lui.

Cri : notre amour-propre
rime avec gri-gri,
avec rime propre :
amour notre cri !




Imité de Gef encore, le poème suivant est un « solénet auto-acrostiche de mot, c.-à-d. :
— sélénet = deux quatrains de pentasyllabes à rimes croisées fmfm fmfm ;
— chaque quatrain est un sonyme = dont les vers comptent successivement 4, 4, 3 et 3 mots ;
— la lecture verticale des premiers mots des huit vers reproduit la fin du même poème. »

Au halo de lune
Soir qui s'éclaira
Quel joli costume
Rayon contient "Râ"

Scintille, ô ma ville !
Bougeoir vif au soir
Quel rayon scintille
Bougeoir quel bougeoir




5 solénets (= sélénets-sonymes) d’après comptines :

Est-ce une panthère
Ce civet tout cru
Sous le cimeterre
Du Chef Lustucru ?

L’as des casseroles
Barbe poivre et sel
Nourrit de paroles
La Mère Michel

— — — — / — — —

Qui mettrait la patte
Au lait des brebis
Souillerait la pâte
Tirée entre pis

Que fais-tu Bergère
N’occis ces chatons
Retiens ta colère
Reviens aux moutons

— — — — / — — —

Au halo de lune
L’onde dit allo
Radio de plume
Pour feuille prolo

L’adresse fut brève
L’appel un pamphlet
Convaincu de grève
Le Meunier ronflait

— — — — / — — —

Mais gare au gorille
Un peu trop câlin
S’ensuit peccadille
Torpeur et déclin

Un dicton s’obvie
Des goûts du Malin :
« Meunier qui roupille,
Dégâts au moulin »

— — — — / — — —

Dors-tu Frère Jacques ?
Ne crains-tu pécher
En oubliant Pâques
Muet ton clocher

Sois noble aux platines
Et fantasque au gong
Sonne les matines
Digne dingue donc

Fables du Choucas

1 — Sélénet de sonymes
La lune étant noire,
Poe en pareil cas
embrume une histoire
de bègue tracas...

D’ombre où Leonore
s’éteint, un fracas
sourd : le Nevermore !
fatal du choucas.

2 — Médaille
L’aphone choucas
Dam ! veut recouvrer ses cordes
Il vole un cachou

3 — Ouïseaunet
Plane un choucas
Plume moka
Sur mes peines
Nuits d’ébène

4 — Petite boîte
la pensée en-soi pour-soi
piaf pas dupe du miroir
quand d’arrogants laborantins
réduisent
l’intelligence du choucas
à des exploits de cobaye

5 — Onzinet
choucas
insectes enfouis
brindille idoine outil
observation déduction pour recette
festin




Post-scriptum sans rapport sinon que ç'a été écrit en même temps, un distique burlesque composé au cours d'une discussion sur la liste oulipo... Il était question d'écrire un distique d'alexandrins holorimes sur La Palice, maréchal de François 1er dont la bravoure fit des envieux, à en croire l'épitaphe sur sa tombe :
« Ci-gît le Seigneur de La Palice
S’il n'était mort il ferait encore envie »
Par confusion typographique possible entre F et S, l’on aurait réécrit pour rire le second vers en :
« S'il n'était mort il Serait encore en / vie »
D’où l’idée de ce distique quasi holorime, sauf les F devenant S :

Polyphone aile ! Écot biffé ! L’appât (lit fade
poli) sonnait l’écho : bis et lapalissade.




Post-post-scriptum sans rapport de chez sans rapport, rangeons autrement les 26 lettres de l’alphabet...

M Y H A D Z U T K V W Q J B C P I G O L X F E S R N

... et l'on entendra :

Émigrer cacha des aides
Hutte et cave et doux bleu
Vécu j’y baissais pays, géo, hélix et feux
Et ses reines




Post-post-post-scriptum du coq à l'âne, un haïku palindrome retrouvé dans mes brouillons :

Du sud remué
Ida se verse des rêves
Adieu mer du sud

Un Rat de Banksy

.

   Rien d’invraisemblable qu’un Rat de Banksy,
   monochrome, t’inspire une strophe monorime.
   Par ex. ci-dessous de tonalité symboliste :

Reviens nous déchiffrer dans l’infini des cieux,
Vieux Banksy, ton Fétiche aux comptoirs besogneux.
L’étoffe t’en revient, écot délicieux
D’un Lascaux tout urbain et comme belliqueux.

   Par effet de pochoir, le Rat de Banksy est
   inversible & il peut revenir ad libitum...
   qualités propices à composer un palindrome
   en guise de résumé mot à mot du quatrain :

Et tu lis au quorum astral
âgé : Rat ou quai rétamé,
matériau, quota régal,
arts à mur ou quasi lutté.

   (palindrome en 77 lettres et gématrie 999)

À supposer Patrick Smith

À supposer qu’on me demande ici, non pas une de ces louanges sans retenue dont on couronne nos proches à leur disparition, mais quelques mots plus réservés à propos des vertus de Patrick Smith, je soulignerais chez lui une carence au titre de physionomiste : — Non, Patrick, n’insiste pas, je ne suis pas Brulois ; à croire que Brulois et moi nous nous ressemblons beaucoup, mais ici ça n’est pas lui, c’est moi Bébert ; et s’il te plaît ne m’appelle plus Brulois la prochaine fois que tu me rencontres !... physionomiste défaillant donc, cependant (merveille le paradoxe) doué d’une invraisemblable acuité quand il observait la vie en train de se déployer, capable avec ses mains colossales — parmi les plus belles depuis Lascaux — de combiner une corde remisée, de la ferraille au rebut, du carton usagé, du bois flotté, ce genre de choses qu’il brassait en des protocoles alchimiques surhumains, tout un système incarné débordant d’improbables Arches de Noé, exacts galops, ébrouements à point nommé, envols soudains dans la lumière d’une vie si vivante qu’une fois retombé le rideau du Théâtre de la Licorne, on aurait parié que, de l’autre côté, les assemblages de corde, de ferraille, de carton et de bois continuaient de galoper, de s’ébrouer et de s’envoler, là-bas comme en nos cœurs aujourd’hui.

  

Photo / Patrick au jeu des 7 différences : saura-t-il distinguer le vrai Brulois du faux Bébert ?

L’ouïseaunet et sa contrerime

.

L’ouïseaunet et sa contrerime, ou comment
l’ordre des vers va en infléchir le sens.
On explorera ici une classe d’ouïseaunets
convertibles en contrerimes. La structure
initiale sera de 4-4-3-3 syllabes à rimes
embrassées, cela de sorte que l’inversion
des vers médians ménage la syntaxe mais y
apporte nuance au sens initial du poème :

Mille sardines !
Les pélicans
plongent quand
tous en dînent.

Mille sardines
plongent quand
les pélicans,
tous en dînent.




À plus d’un titre
et autres noms :
ci Baron
d’Oise-aux-Pîres.

À plus d’un titre,
ci-baron
et autres noms
d’oiseaux pires.




Voler des pages
en revenant
aux romans
de voyage.

Voler des pages
aux romans
en revenant
de voyage.




Quel vol d’aigrettes
aux épluchures,
je le jure
sur ta tête !

Quel vol d’aigrettes !
Je le jure
aux épluchures
sur ta tête.




Variante de comment basculer d’ouïseaunet
à contrerime grâce à des vers holorimes :

Tu téléphones
nous sanglotons
Avion
monotone

Tutelle et faunes
À vie on
nous sangle aux tons
Mon eau tonne




Idem avec calembours (ou contrepèteries).
1er exemple, rimes plates puis croisées :

Sardanapale
mangeait nos râles :
geai menu
de minus,

sardine à poils,
gemmes nues...
mon général
diminue !




Des macs hérons
trop dégueulasses :
l’appeau catche...
mirliton !

Décaméron :
là Boccace
droguait de glaces
mil litrons.




(à suivre...)

Sonnets acrostiches d'hémistiches

Sonnets générés par acrostiches d'hémistiches des vers successifs, forme explorée par Gilles Esposito-Farèse en 2020. Les chiffres ci-dessous indiquent l'ordre d'apparition des hémistiches. La densité répétitive croissante dote les poèmes d'un dénouement paroxystique.

1  -  2
3  -  4
5  -  6
7  -  8

9  - 10
11 - 12
13 - 14
1  -  3

5  -  7
9  - 11
13 -  1

5  -  9
13 -  5
13 - 13

D'après François Caradec

La première est la bonne en sortant de chez soi
Ô ville disparue ô la belle sortie
Celle que l’on fredonne et qui vous remercie
On en fait des refrains merci Paris ma foi

Aucun effet de l’art à chanter dans la rue
Merci les riverains merci d’avoir chanté
Une rue au hasard cette rue a rimé
La première est la bonne ô ville disparue

Celle que l’on fredonne on en fait des refrains
Aucun effet de l’art merci les riverains
Une rue au hasard la première est la bonne

Celle que l’on fredonne aucun effet de l’art
Une rue au hasard celle que l’on fredonne
Une rue au hasard une rue au hasard



Premier sonnet auto-acrostiche d'après Le cimetière marin (dont une entorse prosodique = rimes non alternées entre les quatrains) —

La mer la mer la mer toujours recommencée
D’imperceptible écume y compose de feux
Idoles du soleil sur le calme des dieux
Le vrai rongeur le ver après une pensée

Sous un voile de flamme un seul soupir résume
Édifice de l’âme un dédain souverain
Au silence pareil de mon regard marin
La mer la mer la mer d’imperceptible écume

Idoles du soleil le vrai rongeur le ver
Sous un voile de flamme édifice de l'âme
Au silence pareil la mer la mer la mer

Idoles du soleil sous un voile de flamme
Au silence pareil idoles du soleil
Au silence pareil au silence pareil



Deuxième sonnet auto-acrostiche d'après Le cimetière marin —

En l’abîme un soleil après une pensée
Semble se concevoir dominé de flambeaux
Au silence pareil y dort sur mes tombeaux
Dans une absence épaisse ô puissance salée

Cette flèche qui vibre à son frêle mouvoir
A bu la blanche espèce et jusque sur ma couche
Et referme mon livre il veut il songe il touche
En l’abîme un soleil semble se concevoir

Au silence pareil dans une absence épaisse
Cette flèche qui vibre a bu la blanche espèce
Et referme mon livre en l’abîme un soleil

Au silence pareil cette flèche qui vibre
Et referme mon livre au silence pareil
Et referme mon livre et referme mon livre



Taratantara ta rate en tara —

Citant Marathon Tensing il a ri
Au pied d’Everest tirebouchonnés
Pic d’hilarités la babouche au nez
Tant se marra-t-on avec Hillary

Taratantara l’ampleur des vers est
Deux fois cinq hoquets comptons dix latex
Ta rate en tara quand on dilate ex-
-citant Marathon au pied d’Everest

Pic d’hilarités tant se marra-t-on
Taratantara deux fois cinq hoquets
Ta rate en tara citant Marathon

Pic d’hilarités taratantara
Ta rate en tara pic d’hilarités
Ta rate en tara ta rate en tara



Une pensée après une pensée —

Sans mouvement sous un voile de flamme
Les derniers dons peuvent pour contenir
Maint diamant rendre nu l’avenir
Et l’amertume y dort sonnant dans l’âme

Sa flèche ailée a pris sur les maisons
Et m’accoutume à ne tenter de vivre
Une pensée est douce absolue ivre
Sans mouvement avec les derniers dons

Maint diamant se meurt et l’amertume
Sa flèche ailée y pense et m’accoutume
Une pensée en soi sans mouvement

Maint diamant ombre sa flèche ailée
Une pensée après maint diamant
Une pensée après une pensée

À la différence du "taratantara" précédent (5 + 5 syllabes), les décasyllabes de Paul Valéry pour Le cimetière marin se scindent en 4 + 6 syllabes. Dans le sonnet ci-dessus, les 2 syllabes après césure (celles en positions 5 & 6) ont un statut de joker. Les mots en question viennent certes du poème source mais ils sont librement répartis au service de la syntaxe. Simultanément la forme générale est un acrostiche de tétrasyllabes.




D'après Mallarmé —

Candeur de plume aux souvenirs qui sont
dans la révolte : ils mangent de la cendre
parmi l’écume, un soir fier d’y descendre.
Bel aujourd’hui le solitaire bond.

Un glaive sûr se laisse sur l’eau morte
taire ébloui… — Voulez-vous, mon enfant,
un sens plus pur que la blancheur défend,
candeur de plume où fuir dans la révolte,

parmi l’écume et le bel aujourd’hui :
un glaive sûr, solitaire, ébloui,
un sens plus pur que sa candeur de plume ?

— Parmi l’écume ainsi qu’un glaive sûr,
un sens plus pur : être parmi l’écume ;
un sens plus pur : donner un sens plus pur !



El Variablogéométricacrostichémisticho

Tour abolie et sirène, j’ai deux
cris, fée ou veuf au front encore rouge :
— Mélancolie ! a soupiré la rose,
— Desdichado ! le pampre ténébreux.

Tant à mon cœur qu’à la lyre d’Orphée,
nuit et tombeau rendent la grotte en fleur.
Le soleil noir, à toi plaisant vainqueur,
tourne aboli par les cris de la fée.

Mélancolie : ainsi Desdichado
tenta mon cœur dans la nuit du tombeau,
d’un soleil noir sur ma tour abolie…

Mélancolie où s’attenta mon cœur
d’un soleil noir : plus que mélancolie,
ce soleil noir porte tout soleil noir.

Décasyllabes 4+6 répétant ces mots ou sons au sein d’un sonnet acrostiche d’hémistiches à géométrie variable (chiffres entre parenthèses = ordre des apparitions et répétitions) :

- tour abolie   (1  - 15 - 22)
- cris fée      (3  - 16)
- mélancolie    (5  - 17 - 23 - 26)
- Desdichado    (7  - 18)
- tant mon cœur (9  - 19 - 24)
- nuit tombeau	(11 - 20)
- soleil noir	(13 - 21 - 25 - 27 - 28)

Le sélénantoum facile

Le "sélénantoum" serait un poème hybride tenant du sélénet mais une fois sur deux inversant l’alternance de rimes croisées féminines & masculines comme en pantoum.

Au clair de la lune
Mon ami Pierrot
Prête-moi ta plume
Pour écrire un mot

Mon ami Pierrot
Entre ciel et terre
Pour écrire un mot
Mande un secrétaire

Entre ciel et terre
Un ange passa
Mande un secrétaire
Il est là pour ça

Un ange passa
Au clair de la lune
Il est là pour ça
S’ôter une plume



Méthode comment composer un sélénantoum (forme voisine mais distincte du sélénÉtoum précédemment visible chez Zazipo, ici même et chez Gef) :

1) recopier telle quelle une strophe de sélénet classique ;

2) au fil de quatrains en ordre de pantoum (canevas ci-dessous), la métisser d’emprunts à un autre poème du répertoire ;

3) reprendre les vers 1 & 3 du début, cette fois en positions 2 & 4 (la dernière strophe n’interdit pas de légères modifications aux vers antérieurs).

Pour exemple, canevas depuis Ma chambre de Marceline Desbordes-Valmore (les rimes des vers A & A' seront féminines, B & B' masculines) :

Ma demeure est haute
Donnant sur les cieux
La lune en est l’hôte
Pâle et sérieux

Donnant sur les cieux
A — — — — — — —
Pâle et sérieux
A' — — — — — — —

A — — — — —
B — — — — — — —
A’ — — — — — — —
B’ — — — — — — —

B — — — — — — —
Ma demeure est haute
B’ — — — — — — —
La lune en est l’hôte



Sélénantoum Desbordes-Valmore vs Mallarmé puis Calvino puis Nerval

Ma demeure est haute
Donnant sur les cieux
La lune en est l’hôte
Pâle et sérieux

Donnant sur les cieux
Dans le cadre fixe
Pâle et sérieux
Le feu rue — ô nixe

Dans le cadre fixe
Peut-être décor
Le feu rue — ô nixe
Du miroir encor

Peut-être décor
Ma demeure haute
Du miroir encor
La lune en fut hôte



Ma demeure est haute
Donnant sur les cieux
La lune en est l’hôte
Pâle et sérieux

Donnant sur les cieux
Luit une coupole
Pâle et sérieux
Trois jours marche l’homme

Luit une coupole
Théâtre présent
Trois jours marche l’homme
Jusques au levant

Théâtre présent
Ma demeure est haute
Après le couchant
La lune en est l’hôte



Ma demeure est haute
Donnant sur les cieux
La lune en est l’hôte
Pâle et sérieux

Donnant sur les cieux
Par tour abolie
Pâle et sérieux
Le pampre s’allie

Par tour abolie
Ô luth constellé
Le pampre s’allie
À l’inconsolé

Ô luth constellé
Ma demeure est haute
Et l’inconsolé ?
La lune en est l’hôte



Sélénantoum Rimbaud vs Verlaine

Elle est retrouvée
Quoi ? l’éternité
C’est la mer allée
Avec le soleil

Quoi ? l’éternité
Au cœur monotone
Avec le soleil
M’emporte l’automne

Au cœur monotone
Deçà vent mauvais
M’emporte l’automne
Tout de sanglots longs

Delà vent mauvais
Elle est retrouvée
Tout de sanglots longs
La mer est salée


Sélénantoum Lubin vs Nerval puis Caradec

Au clair de la lune
Mon ami Pierrot
Prête-moi ta plume
Pour écrire un mot

Mon ami Pierrot
Prince d’Aquitaine
Pour écrire un mot
Rêve de sirène

Prince d’Aquitaine
Ma nuit au tombeau
Rêve de sirène
Effet placebo

Ma nuit au tombeau
A voilé la lune
Effet placebo
Garde-la ta plume



Au clair de la lune
Mon ami Pierrot
Prête-moi ta plume
Pour écrire un mot

Mon ami Pierrot
Chaque rue est bonne
Pour écrire un mot
Qu’on rime ou fredonne

Chaque rue est bonne
Choisie au hasard
Qu’on rime ou fredonne
Sans effet de l’art

Choisie au hasard
Au clair de la lune
Sans effet de l’art
Grand merci ta plume


Sélénantoum d’après deux sélénets connus (Lubin, Desbordes-Valmore) et des pentasyllabes de Hugo dans Les djinns.

Au clair de la lune
Mon ami Pierrot
Prête-moi ta plume
Pour écrire un mot

Mon ami Pierrot
Ta demeure est haute
Pour écrire un mot
La lune en est l’hôte

Ta demeure est haute
Et tantôt grandit
La lune en est l’hôte
L’écho la redit

Et tantôt grandit
Clair disque la lune
L’écho la redit
Des djinns à ta plume

Terine Waterloo

L’Empereur est déchu, la Légende l’enchaîne :
Triomphe, apside, chute, exil à Sainte-Hélène —
Lors Hugo parapha « Waterloo ! morne plaine ! »




Nombre de syllabes mot à mot :
        3 1 2 - 1 3 2
        2 3 1 - 2 1 3
        1 2 3 - 3 2 1
Verticalement, les premiers et
seconds hémistiches génèrent 2
terines de chiffres ; 3e vers,
les chiffres sont palindromes.

Carrollnine

Tous devrons passer la borne
Qu’au-delà serons péris
Parfois neveu d’avant oncle
De vêpre jusqu’au matin
Tant pis qu’Orlando fut brave

Karolus sur marbre grave
Épitaphe au Preux qui corne
À conjurer le Malin
Notre-Dame de Paris
Recueille onyx de son ongle

Prisme par le gemme l’angle
Darde d’éclat une grive
Ombre qu’aux vitraux pâlis
Son chant tout d’optique cerne
Du verre un pigment salin

Point longtemps l’ord ne salit
Plume de grive ni d’aigle
L’éclisse paraissait terne
Elle s’enflamme et les grime
Rosace à galbes polis

Ci l’ange mande un colis
D’Orlando l’âme en salut
Mais vivants tenons la prime
Durandal frappe tel sigle
Roncesvalles est sur terre

Idée précédemment explorée par Annie Hupé,
cette quinine ne renouvelle pas exactement
les mots-rimes, elle les transforme en une
suite de doublets de Carroll en 5 lettres.



Touché qui
es-tu Duc ?
Roland Fol

Haut le col
fut ouï
un fouet dur

Répons pur
à ton cor
c'était l’oud

         qui ouï oud
         duc dur pur
         fol col cor

Sans quitter Orlando Furioso & l'Arioste
une "carrollterine" en vers trisyllabes.



Les mots-rimes de cette carrollquatrine
comptent 4 lettres. Les vers sur 4 mots
tétrasyllabes font 16 espaces-machine :

           Qui fait du troc
           Scinde un é-crou
           Prix d’auto-stop
           Pour pas un clou

           Le flash du flou
           L’allure au trot
           Prix d’auto-stop
           Gain peu ou prou

           Les mots du proc
           Vol de frou-frou
           Prix d’auto-stop
           Seiz’ans au trou

Les Fables disparates d'Hérode Neth-Omphale

Dérobées en 1884, les Fables disparates d’Hérode Neth-Omphale ont refait surface en 2021 au Salon du Livre ancien et de l’Estampe de Pirou. L’exemplaire rescapé a bénéficié d’une restauration somptueuse des collages par Philippe Lemaire et de la reliure par Nadège Moyart.

J'ai eu la chance de retracer l’histoire de cet album fulgurant revenu du néant, aventure contée en postface du recueil. Il apparaît qu’une puissante alchimie de poèmes illustrés avait vu le jour bien avant les inventions oulipiennes, pataphysiques ou surréalistes. Rien moins que prémonition des Ou-X-Po selon François Le Lionnais.

Qui se cachait sous le pseudonyme crypté d’Hérode Neth-Omphale ? Une injustice est ici réparée, sources à l’appui : honorer la visionnaire Abipone Lules, géniale créatrice franco-argentine du XIXe siècle dont le chef-d’œuvre fut dérobé, le nom presque oublié.

      


Ces Fables de 1884 sont une ahurissante prémonition de Dada, de la ’pataphysique, de l’Oulipo.
(Martin Granger — Les Nouvelles d'Archimède)



Depuis les notes de Walter Benjamin à Portbou, l’Espagne des Lettres brûlait de connaître les personnages des Fábulas dispares, Gil Blas en tête !
(Pablo Martín Sánchez — Revista de Erudición y Crítica)



Combinez la langue de Marceline Desbordes-Valmore, l’œil de Berthe Morisot, la science de Marie Curie… voici Abipone Lules et les Fables Disparates.
(Coraline Soulier — Zazie Mode d’Emploi)



Après que Gérard de Nerval ayant retrouvé François Villon dans l’au-delà lui eut parlé longuement des Fables disparates d’Hérode Neth-Omphale, tous deux dirent à l’unisson : « Ciel, ma potence ! »
(Jacques Jouet — Projet Poétique Planétaire)



Saura-t-on jamais qui a inventé pareil prodige éditorial : Hérode Neth-Omphale ou Abipone Lules ?
(Gilbert Farelly— Traité de Prosodie Ichthusson)



Unique recueil, et d’emblée le meilleur, de la grande Abipone ! Une œuvre lumineuse enfin tirée de son obscurité.
(Jean-Paul Honoré — Atamashiri International Book Review of Osaka)



Ah, le fameux manuscrit trouvé à Pirou, ce féerique collage de poésie et d’érudition !
(Bart Van Loo — Belgisch Literaire Tijdingen)

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